Les guerres culturelles en France : les mésaventures du bolchévisme éclairé
Publié Par Aude De Kerros, le 14 janvier 2014 dans CultureEn France, l’artiste ne peut accomplir son « devoir de transgression » sans être missionné et garanti par l’État.
Par Aude de Kerros.
Le 7 janvier 2014, à propos de l’affaire Dieudonné Aurélie Filipetti déclare dans un entretien donné au Parisien : « Il n’est plus du coté des artistes et des créateurs. » « La liberté d’expression n’est pas la liberté de négation. Personne ne peut se retrancher derrière la liberté artistique pour éviter de tomber sous le coup de la loi pénale. » Par déclaration officielle : Dieudonné n’est pas un artiste, la loi pénale peut s’appliquer !
« Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » fut illustré dans l’histoire de façon mémorable par les révolutions française et bolchévique. Cela est rendu institutionnellement possible grâce aux FRAC, DRAC, CNAC, etc. créés il y a trente ans, en 1983 pour diriger la création en France. Devenues la seule source de légitimité, subvention, consécration et subvention, elles sont en mesure de décider, tous les jours, qui est artiste et qui ne l’est pas. Son corps « d’inspecteurs de la création » exerce ce pouvoir sans contrepouvoir ni contrôle. Staline a été le précurseur de ce type de gouvernance artistique en créant en 1944, le corps des « ingénieurs des âmes », heureusement aujourd’hui disparu depuis un quart de siècle. Cela étant dit : c’est la première fois que la doxa est prononcée d’une façon aussi visible.
La Transgression d’État et son ministère
Cette bureaucratie culturelle française aujourd’hui trentenaire a choisi de soutenir un seul courant artistique contre tous les autres : le conceptualisme, dit « Art contemporain ». La doxa de cet « art officiel » est que l’art a pour but de « déstabiliser », « déranger », « mettre en abîme », « déconstruire » ce qui existe. Ses moyens reconnus sont la destruction, la transgression et le blasphème. L’artiste, doit accomplir son devoir moral et « citoyen » : la « fonction critique ». Son statut lui permet de faire scandale à l’abri des institutions. Ainsi, impunément il peut devenir visible et coté. En France, l’artiste ne peut accomplir son « devoir de transgression » sans être missionné et garanti par l’État. Madame Filipeti est le neuvième ministre ayant eu à diriger un ministère de la Culture devenu ministère de la Création.
L’exemple des guerres culturelles américaines
Les États-Unis à la fin des années 80 ont connu des problèmes similaires. L’État fédéral américain avait subventionné des expositions, destinées à circuler dans tous les États, montrant des œuvres blasphématoires pour l’Église catholique (Piss Christ, entre autres). Cela a déclenché ce que l’on a appelé les « guerres culturelles » dans toute l’Amérique. Elles ont duré 10 ans et trouvé fin de cette manière : le pouvoir politique, pris a parti par une insurrection de l’opinion, relayée par une multitude d’associations dans toute l’Amérique, a sagement rejeté sur le pouvoir judiciaire la charge de régler, au cas par cas, ce conflit. Il a évité ainsi le vote de lois de censure, contraires au 1er Amendement, par la Cour Suprême. La séparation des pouvoirs, principe essentiel de la démocratie, a joué pleinement son rôle car les « guerres culturelles » ont donné lieu à des centaines de procès. L’État fédéral, pour conclure cette crise qui fut longue et violente, s’est donné à lui-même pour règle de ne pas subventionner, ni cautionner, des œuvre blasphématoire à l’égard de quelque religion que ce soit, et ceci sans en exclure aucune, soit dit en passant.
Les États, municipalités, institutions publiques ont suivi cet exemple, respectant ainsi l’argent du contribuable. Par contre sont autorisées toutes œuvres, spectacles, manifestations si elles sont financées par des fonds privés. Le pouvoir politique prend ce risque afin de respecter ce premier amendement qui est le fondement de la nation et de l’identité américaine, sa fierté. Il protège la liberté de penser pour ne pas compromettre le fondement des institutions démocratiques.
Libertés ou le tout à l’État ?
Nous avons aussi en France des institutions démocratiques qui bien appliquées sont en mesure d’une part d’empêcher le vote de lois de censure inutiles et d’autre part d’interdire à l’État de décider ce qui est de l’art ou ne l’est pas, qui pense ou ne pense pas !Il est sage de distinguer l’administration de l’art dévolue à Madame Filipetti du maintien de l’ordre public dévolu aux préfets dont la mission et d’évaluer, chacun sur son territoire, les risques réels pour l’ordre public.
Le pouvoir judiciaire a aussi son rôle à remplir, d’une façon indépendante du pouvoir politique si possible! Cela ne va pas sans d’inextricables débats… il existe de nombreux procès portant sur les transgressions artistiques. Le problème posé est toujours le même : Art ou délinquance ? Citons le procès de Pierre Pinnoncelli qui a cassé l’Urinoir de Beaubourg afin de poursuivre l’œuvre de son maître bien aimé Marcel Duchamp. Citons aussi les procès fait par des associations à des institutions subventionnées : l’affaire « Présumés Innocents » au CAPC de Bordeaux, l’affaire « Infamille » mettant en cause le FRAC institutionnel de Metz, l’affaire Golgotha Pic Nic au Théâtre du Rond Point à Paris. Il existe aujourd’hui des centaines de procès aux problématiques inextricables car les juges ne sont pas compétents, en principe, pour décider du statut des contrevenants, généralement subventionnés par l’État. « Artistes » ? « Artistes contemporains » ? Pas artistes ? En deux mots : officiels ou pas officiels ? La jurisprudence est des plus confuses.
On peut en conclure que nous vivons nous aussi en France une violente « guerre culturelle » qui est sans solution tant que l’État prétend entre autres diriger la culture, la création, l’information par le truchement d’un ministère. L’actualité artistique n’est qu’une longue suite de conflits d’intérêts. On ne peut être juge et partie ! La liberté d’expression et de création, quotidienne conquête, sont aujourd’hui fragilisées à la fois par des institutions qui ne devraient pas exister et la concentration actuelle de tous les pouvoirs dans les mains des mêmes. Pour faire face à ces malheurs de la démocratie nous ne bénéficions pas de la protection d’un 1er Amendement, comme c’est le cas en Amérique.
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Aude de Kerros est l’auteur de L’Art Caché, les dissidents de l’Art contemporain, Ed. Eyrolles, 2013 et de 1983 – 2013, Les années Noires de la peinture – Une mise à mort bureaucratique ?, avec Marie Sallantin et Pierre Marie Ziegler, Ed. Pierre Guillaume de Roux, 2013.
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