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Le pacte de responsabilité de François Hollande

Publié le 21 janvier 2014 par Raphael57

Competitivite.jpg

Révolution : François Hollande vient d'annoncer clairement qu'il s'était converti au social-libéralisme ! Pourtant, la politique qu'il menait depuis le début de son mandat ne laissait guère de doutes à ce sujet, même si les mots employés n'étaient pas encore aussi explicites. Désormais, c'est dit et assumé : le gouvernement place l'entreprise au coeur de ses préoccupations.


Pacte de responsabilité : les contours du... par LCP

Bien entendu, cela n'a pas manqué de provoquer la liesse dans les milieux patronaux, le président du MEDEF allant même jusqu'à revendiquer la paternité de ce pacte qu'il qualifiait lui de "pacte de confiance" en novembre dernier...

De plus, cet épisode démontre surtout que les mots n'ont plus de sens en politique et les chiffres non plus malheureusement, puisque lorsque Pierre Gattaz évoquait la création d'un million d'emplois en échange d'une baisse de 100 milliards d'euros des prélèvements sur les entreprises (sic !), Arnaud Montebourg monte la barre à 1,8 million d'emplois sur 5 ans !

Mais quel sont les tenants et aboutissants de ce pacte de responsabilité ? Commençons par évoquer la notion de compétitivité que le lecteur pourra aussi retrouver en détails dans mon livre, les grands débats économiques actuels.

La compétitivité

Pour une entreprise, la compétitivité est sa capacité à vendre durablement ses produits à un prix supérieur à ses coûts, en faisant face à la concurrence. La compétitivité peut être divisée en deux composantes :
 * la compétitivité-prix, qui repose sur l’évolution des prix domestiques comparée à l’évolution des prix dans les pays concurrents.
 * la compétitivité hors-prix, qui trouve son origine dans d’autres déterminants que le prix, comme par exemple l’innovation, la qualité, le niveau de gamme, etc.

Le pacte de responsabilité se focalise donc uniquement sur la première composante, c'est-à-dire les coûts.

Le pacte de responsabilité

Un petit schéma qui en dit plus qu'un long discours (cliquer sur l'image pour l'agrandir) :

Pacte-de-responsabilite.jpg

[ Source : Le Parisien ]

Le pacte de responsabilité, comme le choc de compétitivité (ou de confiance) de Louis Gallois, consiste donc à diminuer les cotisations sociales employeurs - dans le cas présent, les cotisations familiales - dans le but de reconstituer les marges des entreprises et créer l'équivalent d'une dévaluation (voir mon billet sur les dévaluations internes), qui permettrait de relancer les exportations. Lorsque les États disposaient encore du pouvoir régalien de battre monnaie, c'était le taux de change qui était utilisé pour retrouver de la compétitivité-prix au travers d'une dévaluation.

En contrepartie de cette baisse des cotisations sociales patronales (que le patronat appelle, par un subtile glissement sémantique charges sociales), l'État attend des engagements chiffrés du patronat sur les questions d'embauches et de dialogue social, qui devront être définies au niveau national, puis déclinées par branche.

Comment sera financé ce pacte de responsabilité ?

Les cotisations familiales patronales, qui pèsent 35 milliards d'euros par an, doivent être supprimées d'ici à 2017, vraisemblablement de manière progressive à compter de 2015. Pour financer ces baisses de cotisations sociales, le gouvernement ne veut peut plus augmenter les impôts (le grand soir fiscal aurait-il déjà fait long feu ?) et coupera donc dans les dépenses publiques : 18 milliards d'euros en 2015 et 2016 et 17 milliards en 2017, après 15 milliards en 2014 !

Reste donc la question de l'avenir du crédit d'impôt compétitivité et emploi (CICE), qui constitue déjà 20 milliards de baisse du coût du travail sous forme de crédit d'impôt. Or, sans rentrer dans la technique comptable, tout le monde comprend que les entreprises ne seront pas toutes sur un pied d'égalité puisque les allégements de cotisations se calculent avant impôt sur les sociétés, le CICE par définition après.

En définitive, de nombreuses zones floues subsistent sur le financement du pacte, d'autant qu'il faut avoir à l'esprit que la hausse de TVA qui s'applique depuis le 1er janvier 2014 sert justement déjà à financer des transferts vers les entreprises comme le CICE.

Quelles seront les contreparties ?

Disons-le d'emblée : pour l'instant les contreparties restent très vagues et le président du MEDEF a clairement fait comprendre qu'il ne s'engagerait pas sur des chiffres précis, alors même qu'il avançait la possibilité de créer 1 million d'emplois... Bien entendu, le gouvernement se déclare vigilant mais avalera son chapeau comme pour la TVA dans la restauration. C'est ce qui ressort d'un sondage réalisé il y a quelques jours et qui montre que les sondés ne croient pas en ces créations d'emplois.

Pourtant le MEDEF va encore plus loin, puisqu'il pousse désormais son avantage jusqu'à demander au gouvernement des mesures supplémentaires :

Vous noterez que c'est généralement au moment où l'on parle de flexibilité et de compétitivité que la référence au sacro-saint modèle allemand réapparaît. Mais comme il se doit, on oublie la pauvreté qui a augmenté très vite Outre-Rhin en raison notamment des minijobs, ces emplois payés 400 euros par mois et qui font basculer les personnes de la trappe à inactivité vers la trappe à misère ! J'ose espérer que ce n'est pas vers un tel modèle trappe à misère laborieuse que l'on se destine...


Le pacte de responsabilité va-t-il régler tous les problèmes ?

Ce gouvernement, tout comme le précédent, n'a donc pas compris que dans l'industrie le problème est que nos entreprises ont des coûts trop élevés au vu du niveau de gamme des produits vendus. C'est donc le couple coût-niveau de gamme qu'il conviendrait d'analyser et non le seul coût salarial unitaire. Pour le dire autrement, c'est sur la compétitivité hors prix qu'il faut désormais se concentrer et pas seulement sur les coûts, sauf à vouloir se tiers-mondiser en baissant les salaires au niveau de ceux du Bangladesh.

De plus, que vaudra ce faible gain de compétitivité-coût si le prix de l’énergie flambe ou si l’euro s’apprécie ? En effet, il faut se souvenir que le coût du travail représente en moyenne entre 20 et 25 % du coût de production total. Ainsi, en mettant en regard le total des rémunérations versées par les entreprises - c'est-à-dire salaires nets + cotisations employés et patronales, soit environ 700 milliards d’euros en 2012 - et les cotisations patronales (170 milliards d'euros), le lecteur saisit rapidement qu'en supprimant toutes les cotisations familiales patronales (35 milliards d'euros), les entreprises gagneront en compétitivité quelque chose de l'ordre de 1 % ! Tout ça pour ça ? Au surplus, ces baisses de cotisations sociales profiteront à toutes les entreprises, même celles qui sont à l'abri de la concurrence internationale, alors que le gouvernement souhaitait viser essentiellement l'industrie avec le CICE il y a un an...

En outre, en passant quasi exclusivement à une politique de l'offre, le gouvernement en oublie qu'il a été élu pour mener également une politique de la demande ! De plus, les coupes prévues dans les dépenses publiques nous réservent d'ores et déjà une austérité sans précédent dans l'histoire économique de la France, qui nous plongera encore un peu plus dans la crise au moment où le dernier moteur de la croissance, la consommation, s'essouffle... Mais ça, le peuple ne l'a pas encore compris, puisqu'on les persuade dans les médias que les dépenses publiques sont stériles.

Il suffit pourtant de se souvenir, comme je l'expliquais dans ce billet, que près de la moitié de la dépense publique est versée aux ménages sous formes de prestations sociales en espèce ou en nature, ce qui contribue évidemment à soutenir leur consommation. Imaginez alors les dégâts que vont causer une baisse aussi massive des dépenses publiques sur 3 ou 4 ans ! D'où les idées de décentralisation, de fusion des régions et/ou départements, c'est-à-dire autant d'idées qui peuvent s'avérer intéressantes et pertinentes mais pas en période de crise économique, doublée d'une crise politique si on en croit ce sondage ainsi que celui-ci

Lorsque j'annonçais il y a quelques mois que la France était en train de faire son entrée dans la course à la déflation salariale et au moins-disant social, oubliant les leçons de l'histoire (déflation Laval en France, déflation Brüning en Allemagne), certains m'ont pris pour un fou et m'ont dit que jamais un gouvernement n'oserait faire cela en France. C'est pourtant bien ce qui se passe actuellement depuis que la compétitivité-prix et la reconsitution des marges ont été érigés en cause nationale par le président de la République ! Paul Krugman, Prix Nobel d'économie, voit rouge lui-aussi, au point de commettre un billet de blog incendiaire...

Pour finir, gardons à l'esprit que ceux qui invoquent la compétitivité de la France ne comprennent pas que notre nation n'est pas une entreprise. D'où la très pertinente définition de la compétitivité d'un pays fournie par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) : "la compétitivité est la capacité de la France à améliorer durablement le niveau de vie de ses habitants, et à leur procurer un haut niveau d’emploi et de cohésion sociale, dans un environnement de qualité. Elle peut s’apprécier par l’aptitude des territoires à maintenir et à attirer les activités, et par celle des entreprises à faire face à leurs concurrentes".

N.B 1 : l'image de ce billet provient d'un article du quotidien La Croix.

N.B 2 : en raison de cette actualité, la prochaine cafet'éco ce mercredi aura comme par hasard pour thème... la compétitivité et le pacte de responsabilité !


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