L’univers totalitaire en littérature et au cinéma (3/6)
Publié Par Johan Rivalland, le 25 janvier 2014 dans Cinéma, LectureL’univers totalitaire en littérature et au cinéma, à travers quelques œuvres. Aujourd’hui, l’évocation du Nazisme, à partir de quatre œuvres de nature différente.
Par Johan Rivalland.
La liberté est le sujet fondamental au centre des préoccupations de Contrepoints, à travers articles, analyses, réflexions, discussions. Au-delà de l’actualité, de l’Histoire, des perspectives d’avenir, qu’en est-il de ce sujet dans la littérature, en particulier lorsqu’on pense à son opposé le plus extrême : le totalitarisme ?
J’ai déjà eu l’occasion, ici-même, de commenter quelques grands romans d’Ayn Rand, qui trouveraient toute leur place dans cette série. Je vais donc prolonger avec d’autres réalisations, dans des registres parfois très voisins.
Troisième volet, aujourd’hui, avec l’évocation du Nazisme, à partir de quatre œuvres de nature différente, qui ont chacune leur message et leur efficacité à chacun de leur niveau.
La Voleuse de livres, de Markus Zusak
La Voleuse de livres est un roman classé plutôt comme livre destiné « à la jeunesse ». Mais quel livre ! Je ne saurais trop le conseiller y compris à des adultes. Je suis, personnellement, ressorti de cette lecture à la fois enchanté et… profondément bouleversé, en un sens, d’avoir dû le quitter.
Cela fait longtemps que je n’avais pas éprouvé cette sensation légèrement douloureuse de devoir quitter un livre ; généralement c’est plutôt le contraire, car bien d’autres attendent leur tour et attisent en permanence mon envie.
La petite voleuse de livre m’a bien charmé. Les 630 pages ont défilé très très vite, servies par une présentation très agréable qui privilégie la respiration avec des chapitres très courts (et un procédé de rédaction original). Un roman à la fois enchanteur, attendrissant, bouleversant, évocateur.
La mort raconte l’histoire, certes (comme le précise la couverture de manière mystérieuse), mais on comprend bien pourquoi. Et elle a du travail…
Il faut dire que l’histoire se déroule lors de la seconde Guerre Mondiale, en Allemagne.
Intéressant à plus d’un titre. Et intéressant de se plonger dans l’atmosphère de la société civile de l’époque, sous le règne de Hitler. Pas facile. Le peuple allemand a souffert, lui aussi. Et on ne doit jamais l’oublier.
Et dans ce contexte difficile, cette petite fable de la voleuse de livres. Un roman qui ne pouvait que séduire les amoureux des livres (là encore, comme nous l’avons évoqué dans les volets précédents, on retrouve d’ailleurs l’image des livres brûlés en place publique) qui n’en ressentent que mieux dans leur chair cet attrait irrésistible…
Je reste vague à souhait, me contentant de conseiller cette lecture passionnante.
Sans doute l’un de mes trois romans préférés, désormais, avec Nous les vivants d’Ayn Rand et Joue, joue sans t’arrêter ! : Vie et destin d’une pianiste prodige, 1941-1946 de Greg Dawson.
Une pure merveille.
A noter qu’un film va sortir au cinéma très bientôt (en février), si vous disposez de trop peu de temps pour lire. A en juger par la bande-annonce, que j’ai eu la surprise de découvrir très récemment au cinéma, il s’annonce de qualité et à première vue fidèle au texte.
Sophie Scholl de Marc Rothemund
A sa sortie, bien qu’ayant très peu de temps pour aller au cinéma, j’ai été tout de suite très attiré par ce film, même si je n’en savais pas grand chose au départ. Très motivé, je suis parvenu à aller le voir avant qu’il ne soit trop tard, alors qu’il n’était plus présent que dans une seule salle parisienne. Et je n’ai vraiment pas regretté le déplacement.
Sophie Scholl fait partie de ces personnages héroïques qui, pour moi, demeureront des références. Plus qu’un personnage, il s’agit d’une jeune femme dont l’histoire narrée ici est bien réelle et qui ressemble étrangement à une Antigone des temps modernes (si l’on peut dire). Elle et son frère ont fait preuve d’une force de caractère remarquable en défiant le régime Nazi et ce, au péril de leur vie, avec une détermination qui confine presque à l’inconséquence.
Pour la force des idées, leur soif de justice et de raison, ils n’hésitent pas à braver les interdits. Et lorsque le responsable de son interrogatoire la questionne, presque désireux de la sauver (tel le personnage de Créon qui tente, en vain, de ramener Antigone « à la raison » et d’ainsi lui épargner la mort), sur ce qui la motive, sur ce qui peut être plus fort que le droit, elle répond, sûre d’elle-même et pleine de dignité, « la conscience ». Il s’agit là du moment fort de ce film, celui où on perçoit à quel point les idées, les notions philosophiques, le respect de la vie peuvent l’emporter sur l’idée de mort, telle la leçon universelle que nous a prodiguée le personnage d’Antigone.
On trouve là, dans le sens le plus fort que l’on puisse imaginer, l’illustration de ce que recouvre la notion de liberté, mot qu’elle inscrit d’ailleurs, et ce n’est pas un hasard, sur une feuille de papier avant de quitter sa cellule à un moment du film.
Un bon cas pratique de ce à quoi entend remédier Le droit naturel.
Un film réellement bouleversant sur une mort qui semble à première vue absurde et inutile et qui pourtant doit mener à une vraie réflexion sur l’idée pratique de conscience et de liberté.
Et un acte héroïque d’autant moins inutile que l’on n’oublie pas Sophie Scholl et La Rose blanche aujourd’hui, qui représentent d’un certain point de vue ceux qui ont sauvé durablement l’honneur de l’Allemagne.
Hannah Arendt de Margarethe von Trotta
Très bonne idée que de réaliser un film sur Hannah Arendt et contribuer ainsi à la faire connaître.
Un film qui nous replonge dans le contexte du procès Eichman, au cœur de l’analyse de la philosophe sur les origines du totalitarisme.
Un procès au cours duquel elle découvre, avec stupeur, un Eichman humain, et non le monstre qu’elle s’attendait à découvrir (signalons, au passage, la présence à de multiples reprises de vraies images de ce procès, ce qui est intéressant et parfaitement approprié, permettant ainsi de renforcer l’impression liée aux événements, en les replaçant mieux encore dans leur contexte historique).
S’en suivent ses célèbres analyses sur la banalité du mal, avec à la source bien souvent l’incapacité de penser, qui va lui apparaître comme une révélation. Ainsi, c’est la plupart du temps par incapacité de penser et de savoir refuser de se soumettre à la loi que les hommes ont la capacité à commettre le mal, presque malgré eux. Et c’est ce qui va intriguer la philosophe.
On sait aujourd’hui que peu nombreux sont, hélas, ceux qui en des situations extrêmes font appel à leur conscience pour refuser l’obéissance aveugle à la loi inique.
Cependant, lorsqu’elle tente d’expliquer, au cours d’une série de quelques pages, la responsabilité qui a pu être aussi celle des Juifs eux-mêmes au cours des terribles événements de la Shoah, elle se heurte à un mur d’incompréhension. Et la haine se déchaîne contre elle, accusée à la fois d’arrogance, d’incapacité à éprouver des sentiments et de trahir le peuple juif. C’est aussi cet épisode qui est traité ici.
Le film fait référence également à son admiration de jeunesse, puis sa liaison avec le philosophe Heidegger, dont l’adhésion au Nazisme constitua pour elle un terrible traumatisme.
Au total, un film intéressant, qui doit conduire à s’intéresser à l’œuvre écrite de la philosophe et conduire ainsi à enrichir sa pensée sur les sujets graves du Bien et du Mal.
La vague de Dennis Gansel
Sans doute aurais-je dû préférer le livre, car le film est une véritable déception au regard de ce que j’espérais y trouver. Mais j’ai finalement opté pour le film, tout simplement par manque de temps, bien que le livre m’attirait.
L’idée est excellente. Comme indiqué sur le devant du DVD (affiche du film), « Vous croyez qu’une nouvelle dictature n’est pas possible ? » (sous-entendu ici, dans l’un de nos pays démocratiques, puisqu’ailleurs, hélas, on sait bien qu’il y en a un certain nombre). La réponse est naturellement Non. Je pense que cela est tout à fait plausible, et que cela peut arriver plus vite qu’on ne peut le croire. D’ailleurs, en 1933 ou en 1917, nombreux étaient ceux qui ne pouvaient croire en une telle hypothèse…
Et, pour reprendre certains propos fédérateurs du film, lorsqu’on évoque des éléments aussi simplificateurs et racoleurs, susceptibles d’entraîner beaucoup d’adhésion, que « les riches sont toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres » ou des propos dénonçant des ennemis providentiels qu’on jalouse ou rend responsable de certains de nos maux, tels que les américains (sous-entendu à un moment du discours) ou encore des propos catastrophistes susceptibles de fédérer (réchauffement de la planète ?), on s’aperçoit que quelques éléments sont éventuellement déjà en place (ceux-là ou d’autres, peu importe).
Lorsqu’on connaît, aussi, la capacité d’obéissance de l’être humain dans certaines situations (voir les expériences de Milgram, telles que relatées dans La réalité de la réalité de Paul Watzlawick ou, mieux encore, dans le somptueux Un si fragile vernis d’humanité : Banalité du mal, banalité du bien de Michel Terestchenko), on sait à quel point la question peut à juste titre être posée.
L’idée de départ est donc excellente, permet d’engager la réflexion et de montrer à quel point l’esprit humain est fragile et le sentiment collectif potentiellement dangereux (voir, notamment, Psychologie des foules de Gustave Le Bon, ou encore mon roman préféré : Nous les vivants d’Ayn Rand).
Mais le scénario semble bien peu crédible. En l’espace d’une seule journée, la plupart des étudiants du groupe seraient déjà en partie embrigadés et le seraient assurément les jours suivants ? Un peu rapide ! Ou alors la situation, les acteurs et les propos tenus ne le lancent pas penser sérieusement ici, puisqu’on évoque bien une histoire « inspirée de faits réels » (peut-être le livre est-il plus convaincant ?).
Pour le reste, on y trouve quelques allusions intéressantes, par exemple à Sophie scholl, sans que son nom, bien sûr, ne soit cité ; ou à toute la mystique qui pouvait être celle des Nazis, dont on retrouve bien de nombreux symboles.
Un peu trop caricatural, sans doute (comme d’autres films du genre « Le cercle des poètes disparus » ou « Entre les murs »), mais certainement efficace pour tenter d’amener le plus grand nombre à réfléchir.
Une très bonne idée, donc. Un film à voir, malgré ses faiblesses. Utile, peut-être, pour engager un débat, en particulier avec des plus jeunes.
Mais à prolonger par d’autres lectures.
Le prochain volet de notre série, dans les tous prochains jours, sera consacré, cette fois, au totalitarisme soviétique…
— Markus Zusak, La voleuse de livres, Pocket Littérature, mars 2008, 633 pages.
— Marc Rothemund, Sophie Scholl, les derniers jours, Arte Editions, janvier 2007.
— Margarethe von Trotta, Hannah Arendt, Blaq Out, octobre 2013.
— Dennis Gansel, La vague, BAC, janvier 2012.
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