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Les “cheikhs de la discorde”, héros du jihad, mais juste sur Twitter !

Publié le 27 janvier 2014 par Gonzo

shiryanpleure

المجتمع لازم يحاسبكم، المجتمع لازم يسائلكم، أنتم من غررتم بأولادنا (…) أفلتّم من العقاب في أفغانستان، وأفلتّم في العراق، في سوريا المفروض ألا تفلتوا « La société doit vous juger ! Vous avez trompé nos enfants. (…) Vous vous en êtes tirés en Afghanistan, vous vous en êtes tirés en Irak, mais pour la Syrie, pas question que ça se passe comme ça ! »

Celui qu’on appelle dans son pays « l’allumette de la presse », le journaliste saoudien Dawood al-Shiryân (داوود الشريان) « parle comme il est ». Dans son pays où les médias ont plutôt l’habitude de ronronner doucement, on peut dire que sa dernière sortie a fait du bruit ! Cela s’est passé il y a une semaine, lors du talk-show qu’anime ce journaliste chevronné sur un des canaux de la chaîne MBC, à une heure de grande écoute, huit heures du soir (le nom de son émission d’ailleurs). En présence de quelques invités, Dawood al-Shiryân s’en est donc pris très violemment à ceux qu’il appelle « les cheikhs de la discorde », les « héros de Twitter » sans scrupules, qui incitent de jeunes Saoudiens à partir se battre en Syrie quand eux-mêmes restent bien tranquilles chez eux. Pire, il les soupçonne – comme il le dira par la suite sur Internet – d’être parfaitement au courant de la réalité de la situation en Syrie, mais de bien se garder de l’avouer pour ne pas se mettre à dos leurs fidèles sur les médias qui les font vivre. روحوا أنتم للجنة أول، واحنا نلحقكم « Commencez par aller vous-même au paradis, on se contentera de vous suivre ! », a-t-il ironisé à l’antenne, en s’adressant nommément, ce qui n’est pas dans les habitudes du pays non plus, à quelques-unes des vedettes de l’islam radical sur les médias saoudiens : Muhammad al-Arifi (محمد العريفي), Salman al-’Awda (سلمان العودة), Sa’ad al-’Awaji (سعد العواجي), Mohsen al-Breik (محسن البريك), sans oublier leur collègue syrien, le très enflammé ‘Adnan al-’Ar’our (عدنان العرعور), installé de longue date dans le Royaume).

Cette attaque en règle, dans un pays où la religion est une affaire d’Etat (dans tous les sens de l’expression) a fait passer un grand frisson dans la société saoudienne, en particulier au moment où « Oumm Mouhammad », la mère d’un jeune de 17 ans, parti se battre dans les rangs de l’AIIL [armée islamique en Irak et au Levant] et disparu depuis, a livré, en direct à l’antenne, un témoignage poignant qui a fait fondre en larmes l’animateur (vidéo pour les arabophones).

A lire les réactions dans la presse et dans les réseaux sociaux, une bonne partie de la société saoudienne s’est reconnue dans cette charge contre un courant extrémiste qui fait parler de lui depuis pas mal d’années. Habitué des critiques contre l’islam politique (même s’il a naguère collaboré avec des journaux qui n’étaient pas si éloignés de ces idées), al-Shiryân reprend un dossier qui n’a jamais été vraiment traité depuis les années 1990, lorsque des religieux appelaient les jeunes Saoudiens, avec le succès que l’on sait, à s’engager pour le jihad. Certains d’entre eux ont sans doute connu de réels problèmes – Salman al-’Awda pour commencer, qui a été emprisonné à la fin des années 1990 et qui, une fois libéré, s’est vu interdire toute fonction officielle (mais il survit fort bien grâce au soutien d’un public fidèle). Néanmoins, il n’y a jamais eu de « vrai » procès à l’encontre des religieux extrémistes qui ont « envoyé » à la mort une partie de la jeunesse et qui ont contribué à donner au pays, surtout après les attentats du 11 septembre, une image aussi négative au yeux d’une bonne partie de l’opinion mondiale.

Très commentée dans les médias arabes, l’émission l’a été encore plus en Arabie saoudite où les cheikhs cloués au pilori télévisuel ont le soutien d’un public réel, ainsi que de réseaux qui ont également de l’influence… et leurs propres médias. Sur une chaîne religieuse, trois des « accusés » ont réglé son compte à leur contradicteur qui avait décliné l’invitation à débattre avec eux (résumé dans cet article en arabe). Al-’Awaji a commencé par rappeler l’importance essentielle du jihad en islam, manière de signifier aux critiques qu’ils frôlent la mécréance. Accusant al-Shiryân de se livrer à des accusations sans preuve aucune, il a nié s’être fait l’avocat du jihad… en Syrie ! Rappelant que ce n’était tout de même pas un crime que « d’appeler à la victoire des musulmans », Mohsen al-Breik a été plus direct, en accusant tout simplement le journaliste de ne travailler que pour l’argent et lui a conseillé de s’en prendre plutôt « aux confessions qui mobilisent leur jeunesse pour faire la guerre aux sunnites et au parti du diable » (comprendre le Hezbollah, bien entendu). Enfin, pour Muhammad al- ’Arîfi, il s’agit clairement, et c’est ce qui l’inquiète, d’une campagne médiatique, organisée « du jour au lendemain »…

Sur ce dernier point, on pourrait presque dire que tout le monde est d’accord tant il est évident qu’un journaliste saoudien, même aussi connu et éventuellement aussi audacieux que Dawood al-Shiryân, ne s’en prendrait pas à des religieux de ce calibre sans être certain de bénéficier de quelques appuis solides. En d’autres termes, cette émission, et les débats qu’elle a provoqués, doivent s’apprécier dans le contexte politique du moment. Sa’ad al-’Awaji le reconnaît d’ailleurs à sa façon quand il explique, en faisant allusion à l’actuelle conférence pour la paix à Genève (article en arabe), qu’il s’agit en réalité de « criminaliser le jihad ».

La diatribe insolite à laquelle s’est livré Dawood al-Shiryân sur la très officieuse MBC traduit donc les luttes intestines au sein du pouvoir saoudien à l’heure où s’accumulent les signes de l’échec de la politique menée, dans la région en général et en Syrie en particulier, par le prince de l’ombre, Bandar ben Sultan, aujourd’hui officiellement aux USA « pour raisons médicales »…


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