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Les Bonnets rouges frontaliers : ce qu’ils nous cachent

Publié le 30 janvier 2014 par David Talerman

Les Bonnets rouges frontaliers, vous connaissez ? Il y a quelques jours, sur notre page Facebook, j’ai lancé une vidéo qui dénonçait, entre autres, le mouvement des Bonnets rouges frontaliers. Pour ceux qui ne sont pas du coin, les bonnets rouges frontaliers, c’est un regroupement de personnes qui ont décidé de manifester de manière virulente contre le passage à la CMU pour les frontaliers en mai 2014 (et qui refusent la fin du régime privé d’assurance maladie frontaliers).

Ils se positionnent en tant que défenseurs de la cause des frontaliers,  et se mettent à contre-courant de l’action des associations de frontaliers (Groupement transfrontalier européen, Amicale des Frontaliers, CDTF pour ne citer que les principales) qu’ils accusent de ne rien faire pour la cause frontalière. Les Bonnets rouges frontaliers s’affichent clairement contre le Gouvernement, contre les associations de frontaliers et assureurs qu’ils mettent tous plus ou moins dans le même panier. A les lire, heureusement qu’ils sont là.

Derrière les Bonnets rouges frontaliers : des assureurs, des professionnels de la Communication et des spécialistes des bases de données clients

Ils n’ont pas d’existence juridique à proprement parler, et n’étant pas une association, il est très difficile de savoir ce qui (et qui) se cache derrière ces Bonnets rouges frontaliers. Sur leur page Facebook, le dirigeant utilise le pseudo « Annibal Lecter » (sic). Alors après quelques recherches, j’aimerais vous faire partager les dessous de ce collectif. Ce que j’ai découvert est ahurissant.

Une fois ce beau militantisme affiché mis de côté, et qu’on regarde de plus près, on trouve à la tête de ce collectif, ou plutôt à l’origine, un français, qui possède une société de courtage sur Genève et qui a autrefois travaillé pour un cabinet de courtage en assurance en France spécialisé notamment dans la vente de produits d’assurance maladie pour les frontaliers. Selon les statuts de la société genevoise, la société de courtage est domiciliée à Genève et commercialise des produits d’assurance vie et non vie (entre autre des contrats d’assurance maladie LAMal et des 3ème piliers), des prêts hypothécaires et autres produits. Dans les statuts, on trouve également une activité très intéressante de conseil en marketing et en communication, et de création et d’exploitation de bases de données clients. Je rappelle qu’en général, ce type de société de courtage, domiciliée dans le canton de Genève, est principalement active sur une clientèle de frontaliers.

La société comporte 2 autres actionnaires. Parmi eux, on retrouve un autre professionnel de l’assurance, qui a lui été actif dans une société d’assurance en France en zone frontalière en tant qu’agent général d’assurance, et qui réalisait une partie non négligeable de son chiffre d’affaires avec les clients frontaliers. Cet agent général a vendu il y a quelques mois son portefeuille de clients à la compagnie à laquelle il était rattaché.

En bref, à la tête (ou dans la zone d’influence dirigeante) des bonnets rouges frontaliers on trouve des professionnels de l’assurance en Suisse et en France, spécialisés dans les frontaliers, des professionnels de la communication et des spécialistes du traitement des bases de données (clients).

Comme vous pouvez le voir, le collectif les Bonnets rouges est bien évidemment au service de la collectivité, et est complètement désintéressé. Je laisse les sympathisants de ce collectif qui ne sont pas forcément au courant, juger de la situation. Quand on adhère à un collectif de défense des frontaliers dirigé en sous-marin par un professionnel de l’assurance qui vit grâce aux produits d’assurances et aux prêts hypothécaires qu’il vend aux frontaliers, on est en droit de se poser quelques questions. Mais ça c’est un autre débat.

Ce que je pense des Bonnets rouges frontaliers

Après les faits, voici mon avis. Du point de vue des professionnels de l’assurance et de la communication qui dirigent les Bonnets rouges frontaliers, la création de ce mouvement est une opportunité formidable :

  • Elle leurs permet de mettre en place un mouvement protestataire sur la base d’une frustration, d’une impuissance perçue comme une injustice par un nombre important de frontaliers (plus de 70 000 rien qu’à Genève, plus de 200 000 en Suisse). Cerise sur le gâteau, ces frontaliers sont précisément des clients potentiels de l’affaire qu’ils dirigent.
  • En axant leur discours sur un terreau quasi populiste (contre tout et tous et surtout contre le Gouvernement) et en se positionnant comme les seuls vrais défenseurs des frontaliers, ils sont assurés de récupérer en un temps minimum un nombre important de personnes qui adhèrent à leurs idées.
  • Conscient des espoirs que les frontaliers ont mis sur les associations de frontaliers pour défendre leurs intérêts, et voyant que le Gouvernement ne reculera pas (je rappelle que la création de la page Facebook des Bonnets rouges frontaliers est postérieure à l’annonce du Gouvernement confirmant la fin effective du régime d’assurance maladie privé), la probabilité que certains adhérents se détournent de ces associations est importante. En gardant des positions fermes pour le maintien du droit d’option, ils créent de la sympathie auprès de ces adhérents en les faisant rêver… pour mieux les récupérer. Et les professionnels du marketing le savent bien : pour favoriser l’achat, rien de mieux que de créer un climat de sympathie et de rêve. Tout y est.
  • En procédant ainsi, ils n’ont rien à perdre et tout à gagner. Si le régime d’assurance maladie privé n’est pas maintenu (ce qui est quasi certain aujourd’hui), ils gagnent : ils dénonceront l’impuissance des associations de frontaliers (selon eux « à la botte du Gouvernement »), et récupéreront de toute façon des affaires LAMal pour frontaliers par le biais de leur société. Si le régime d’assurance maladie privé est maintenu (c’est aujourd’hui peu probable), ils gagnent également : ils s’afficheront comme les défenseurs de toujours. Dans tous les cas, ces sympathisants potentiels sont tout autant de prospects à qui ils pourront proposer des crédits immobiliers frontaliers ou encore mieux, des 3ème piliers.

Cette récupération politico-commerciale leur a apporté et leur rapportera bien plus de notoriété et de contacts qu’ils n’auraient pu rêver avec des actions de communication plus traditionnelles. Le fait de reprendre le thème des Bonnets rouges, très médiatisé, est une excellente idée des spécialistes de la communication qui dirigent le collectif : ils ont rapidement créé de l’identification à une cause populaire en France.

Dans mon jargon, les dirigeants des Bonnets rouges frontaliers utilisent la technique de la guérilla marketing. C’est malin, c’est bien fait, et c’est surtout une belle récupération commerciale. Au passage, je dis quand-même « Bonnet d’âne aux bonnets rouges frontaliers » qui se sont laissés embarquer dans cette histoire sans aller un peu plus loin. Mais bon, difficile de savoir avec un collectif qui n’a aucune existence officielle hormis celle que les dirigeants veulent bien se donner.

Les dessous du discours démagogique des Bonnets rouges frontaliers

Après avoir passé un peu de temps sur leur page Facebook, j’avoue que les dirigeants maitrisent bien leur sujet (je parle de la communication). Leur page Facebook, a récupéré en quelques mois plus de 2 500 « j’aime » (ce qui n’est pas si mal à l’échelle du sujet) avec un nombre important de partages et de personnes qui sont actives. Les messages passés sont démagogiques au possible, mais ça fait forcément écho : on préfère écouter une histoire qui nous fait rêver plutôt qu’une qui nous fait peur ou pire, ou mal au porte-monnaie.

Leur page Facebook, mise en place en novembre 2013, leur a permis d’avoir une tribune que leur notoriété naturelle, bien faible, ne leur a jamais permis d’avoir. Selon leurs propres termes, Facebook est « une arme de destruction massive ». Et effectivement, bien utilisé comme ces professionnels de la Communication savent le faire, Facebook est redoutable. D’ailleurs, selon mes estimations, le collectif des Bonnet rouges frontaliers ne compte qu’une petite dizaine de personnes réellement et régulièrement actives, et probablement un peu mois d’un millier de sympathisants : c’est un collectif confidentiel qui utilise les réseaux sociaux comme caisse de résonance.

Leur page Facebook est remplie d’inexactitudes, et d’idées aussi ahurissantes que fantasques. Parmi les perles trouvées, un communiqué de presse déclare que les compagnies d’assurance françaises privées n’ont aucun intérêt à ce que le régime d’assurance privé perdure car c’est financièrement une perte pour elles. En clair, selon les Bonnets rouges frontaliers, elles sont de mèche avec le Gouvernement et les associations de frontaliers pour faire tomber le régime d’assurance maladie privé pour que les frontaliers basculent comme prévu à la CMU frontalier.

Cette idée qui consiste à dire que les assureurs privés ne gagnent pas d’argent avec les assurances maladie privée est grotesque, pour au moins deux raisons :

  1. Les assureurs ne sont pas des mécènes : s’ils commercialisent depuis des années des assurances maladie privée, c’est parce qu’ils ont intérêt à le faire.
  2. Les assureurs privés ont tout le loisir de ne pas accepter les clients (par exemple ceux qui sont en mauvaise santé) voire d’augmenter les primes en fonction du risque ou lorsqu’il y a de fortes dépenses, ce qui leur permet d’équilibrer leurs résultats.

En revanche, c’est le cas des compagnies et des agents généraux d’assurance qui ont peu de clients frontaliers : dans ce cas, il suffit par exemple que quelques clients aient un problème grave de santé – greffe ou autre pathologie lourde pour que ce ne soit plus rentable. Les agents généraux qui sont par définition rattachés à une seule compagnie d’assurance sont les plus touchés. Vous noterez que l’un des associés des dirigeants des Bonnets rouges frontaliers est dans ce cas et qu’il a probablement vendu son fichier clients à sa compagnie pour cette raison (mais cette hypothèse ne regarde que moi). Et c’est probablement sa rhétorique, issue de sa propre expérience ratée, qu’on retrouve. Pour travailler au quotidien avec des assureurs sérieux, je peux vous garantir que l’horizon 2014 est pour une eux une très mauvaise nouvelle sur le plan financier, bien évidemment.

Autre erreur grossière : les Bonnets rouges frontaliers parlent de la fin du droit d’option, ce qui est faux : le droit d’option sera maintenu, avec le choix de la CMU ou de la LAMal frontalier. Il serait plus judicieux de parler de fin du régime privé d’assurance maladie frontalier. Mais c’est un détail.

Quand le dirigeant des Bonnets rouges, courtier en assurance en Suisse, appelle les frontaliers à investir dans des 3ème piliers

Je finirai avec le meilleur : une fois qu’on sait que ce sont des assureurs en Suisse et professionnels de la communication qui dirigent les Bonnets rouges frontaliers, on lit avec un autre regard l’opération qu’ils ont lancé sur Facebook à l’attention des frontaliers, pour s’opposer à la CMU pour frontalier. Je cite « Annibal Lecter », la tête pensante des Bonnets rouges frontaliers :

Le gouvernement français a décidé par décret de nous imposer la CMU et nous retirer notre « droit d’option ».
Il ne veut pas nous entendre, nous comprendre, et prendre en compte notre demande. En réponse modifions nos stratégies de placements.
Depuis les bilatérales, tout travailleur en Suisse a le droit de placer ses économies en Suisse (2°pilier, 3°pilier…).

(…) Si vous avez des placements alimentés mensuellement, présentez ce courrier et arrêtez les mensualités par votre banquier, courtier ou assureur. C’est simple et opérationnel dès la prochaine mensualité. Faites ouvrir un compte 3° pilier dans votre banque ou auprès de votre assureur SUISSE.

(…) Pour les comptes, PEA ou assurances vie, qui dépassent les termes de contrat (8 ans), vous avez le droit de débloquer la totalité de la somme et sans frais : Actuellement, la bourse est bien portante, profitez de cette période pour prendre vos bénéfices et de les utiliser dans l’économie locale suisse en priorité (commerces, immobiliers, vies quotidiennes, remboursement anticipé, projets personnels…).
Vous pouvez ainsi diminuer les virements de SUISSE à France, placez vos économies sur le 2° pilier ou ouvrez plusieurs comptes 3° pilier.

Quand ce conseil émane d’un courtier en assurances en Suisse qui fait la plus grosse partie de ses commissions en vendant des 3ème piliers, on ne peut que s’interroger à la fois sur la valeur du conseil donné et sur la destination des fonds. Je passerai la qualité du conseil (conseiller de désinvestir des PEA ou des assurances vie, ce n’est pas tout à fait neutre). Je passerai également les risques juridiques auxquels s’expose cette personne car il suffirait qu’une personne mal intentionnée dénonce à la FINMA et à l’AMF ce courtier dissimulé pour qu’il risque très gros – perte de son droit d’exercer et une belle amende – car le démarchage actif des frontaliers pour des produits bancaires et d’assurance hors des frontières suisses (et qui est donc une violation des lois étrangères, en l’occurrence la loi française) est puni très sévèrement. Ce serait très fâcheux.

Pour ma part, je ne souhaite pas faire de publicité à ces professionnels de l’assurance et de la Communication. Sauf événement exceptionnel, c’est donc la première et la dernière fois que je parle des Bonnets rouges frontaliers.

Et vous, quel est votre avis ?

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