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Liberté d’expression : l’envers du décor

Publié le 31 janvier 2014 par Copeau @Contrepoints

Par Melchior de Solages.

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Le limon de la bien-pensance s’est trouvé furieusement malmené par l’actualité de ces dernières semaines. Nous tâcherons de montrer que le débat sur la liberté d’expression, poussé à bout, est apte à le labourer en profondeur jusqu’à faire ressurgir les hypocrisies du système qui y sommeillent – comme autant de bulles troublant enfin l’épaisseur d’une boue stagnante.

Dans ce monde qui se fuit, délaissant dans sa course tout ce qui pèse, l’immédiateté est de mise et l’on ne s’embarrasse plus du fond des choses. Requérir un temps de réflexion, de maturation est considéré comme aveu de faiblesse. Très vite, le discours de part et d’autre du spectre politique tourne au binaire et à l’imprécatoire. Le débat sur la liberté d’expression ne fit pas exception et sombra à mesure des flash-actus dans le tourbillon médiatique. Pour ou contre. Tout ou rien. Ou bien l’État a à limiter la liberté d’expression, ou bien l’on doit se résoudre à lui laisser libre cours. Chaque intervenant est sommé de trancher, sous peine d’inaudibilité médiatique.

Tâchons de prospecter plus avant et de sonder le fond du problème. Pour commencer, il convient de rappeler une vérité première : la liberté n’est pas l’équivalent du champ des possibles ! Aussi bien, dans une certaine mesure, parler de limiter la liberté relève du tautologique. La liberté pleine et entière est un chemin déjà bordé de limites qui lui sont inhérentes. En prendre conscience permet de repousser le parti pris exposé supra d’une liberté d’expression libre de tous liens. Une liberté sans limite est un concept sans structure. Il ne gardera comme saveur que l’arrière-goût amer d’un idéal flétri. Bref, il est bon de voir la liberté d’expression dans son châssis, sans lequel elle n’avancera pas.

Poursuivons. Maintenant qu’il est établi qu’une liberté ne doit évoluer sans structure qui la sous-tende, il convient de s’interroger sur l’arbitre à qui l’on cède cette charge de structuration : en l’occurrence l’État. Mais l’État est-il véritablement en mesure d’assurer pareille tâche? En a-t-il seulement l’autorité ? Rappelons que l’autorité est tout autre chose que le pouvoir. Elle en est même aux parfaits antipodes étant l’art précieux de ne jamais rien avoir à imposer ou pour mieux friser l’aphorisme, l’art d’imposer en proposant. Or, démocratique, fondé sur un rapport de forces par nature volatile, l’État convainc difficilement de son autorité. Comment rendre compte sur la durée d’une censure ballotée par la houle électorale alors même que le bien et le mal ne partagent pas ce luxe ? Comment peut-on raisonnablement attendre de l’État une ligne de conduite stable et cohérente alors qu’il est lui-même en permanente évolution, jouet des éléments ? Tout indique que s’abandonner à l’État en matière de censure, c’est, en définitive, attendre d’une bouée ce qu’on attend d’une ancre un soir de tempête.

Mais alors, que faire si la censure démocratique n’a, en soi, aucune autorité en la matière ? Eh bien : commencer par remarquer qu’il en va de même pour la démocratie de façon générale. C’est une entité désincarnée, une nébuleuse éthique structurellement sans repère et sans attache. Comme pour tout en démocratie, on ne doit donc tolérer les limitations imposées par l’État à la liberté d’expression qu’au titre d’un arbitrage subtil entre attachement à la paix sociale et degré d’injustice subie. C’est le lot de notre époque.

Reconnaître qu’il n’est pas nécessairement mauvais de limiter la liberté d’expression et que, par suite logique, l’action même de censure n’est pas à rejeter en vrac est primordial, bien entendu. Mais dans la foulée, oublier de faire remarquer que l’État démocratique qui exerce cette censure n’a, dans le fond, aucune autorité quelle qu’elle soit, même théorique, c’est passer à côté d’une occasion trop rare – et pour certains savoureuse – de titiller du bout du doigt le bien-fondé du pouvoir en place.


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