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Gauche-droite : vers un basculement idéologique d’ampleur ?

Publié le 03 février 2014 par Copeau @Contrepoints

Par Wenceslas Balyre.

Assemblée nationale
L’an dernier j’ai publié dans ces colonnes un article dans lequel je tentais de donner une explication fondamentale au « clivage droite-gauche », supposément né lors de la Révolution française quand s’opposèrent les partisans du veto royal et ceux de l’assemblée représentative. Je requalifiais de manière plus générale les quatre grands groupes du spectre politique ainsi : réactionnaires, conservateurs, progressistes et révolutionnaires. Depuis lors des objections se sont élevées contre mon propos, auxquelles je voudrais d’abord répondre.

Par la suite, et sur la base de mon explication ainsi affinée, je reviendrai plus précisément que dans mon précédent article sur l’historique français jusqu’à nos jours, et enfin sur le probable basculement idéologique du paysage politique dans la décennie qui vient.

I – Réponses aux objections diverses

Individualisme méthodologique et loi des grands nombres

À cause de mon approche globale du clivage politique, des amis et commentateurs libertariens m’ont reproché de faire du holisme. C’est faux, je fais de la loi des grands nombres, ce qui n’est nullement contradictoire avec l’individualisme méthodologique. J’explique que l’état d’équilibre dans lequel est une société implique un spectre des postures politiques distribué à peu près constamment d’une certaine façon, ce qui n’est nullement contradictoire avec une approche individualiste. De la même manière, par exemple, que le fait que demeure, sur un certain laps de temps, une proportion à peu près constante de travailleurs pauvres dans la population active ne signifie nullement, au niveau individuel, d’une absence de variation dans cette part ; c’est-à-dire qu’il y aura constamment de nouveaux entrants et des sortants, et le fait que la proportion d’un type de population demeure constant ne signifie nullement que cette proportion est composée d’individus condamnés à y demeurer.

Il en va de même dans le clivage droite-gauche, dont nous avions dit qu’il est constant, mais pour autant n’en est pas moins en perpétuelle évolution. Partout,des entrants et des sortants. On en trouve des exemples : le FN de Marine Le Pen dont l’électorat a beaucoup évolué en intégrant des individus venant de l’extrême-gauche, une population ouvrière plutôt « de souche », largement remplacés, à la « gauche de la gauche » par le prolétariat d’origine immigrée ; le Front de Gauche qui a récupéré une partie des militants du plus modéré Parti Socialiste, etc. Nombre de gens, tel l’auteur de cet article, ont même changé totalement de sensibilité au cours de leur vie, passant d’un conservatisme-réflexe à un libertarianisme réfléchi.

Affirmer qu’on trouvera toujours dans une communauté politique un spectre réactionnaires-conservateurs-progressistes-révolutionnaires distribués en gros en 1/6-1/3-1/3-1/6 n’est nullement holiste, car cela ne préjuge pas d’où un individu doit nécessairement se situer ; ce n’est pas du déterminisme, seulement du probabilisme. Et le fait que l’observation confirme cette permanence du spectre politique n’est bien sûr pas à négliger. En vérité le spectre lui-même est le résultat de l’action humaine : tout régime n’est stable que dans la mesure où il parvient à emporter l’adhésion de plus de la moitié de la population ; cette proportion se trouve dans les « conservateurs » au sens large, c’est-à-dire le groupe conservateurs-progressistes, qui représentent grosso modo les deux tiers de la population et qui se satisfont pour l’essentiel du régime actuel ; et comme un régime stable, en particulier s’il est démocratique, tend à être un régime de compromis, il produit un clivage dont il constitue le milieu.

Dire tout ceci n’a rien de holiste.

Les objections de Xavier Driancourt

Dans un article plus récent que le mien, mon ami Xavier Driancourt déclarait à propos de mes explications : « L’auteur propose une définition portant sur l’appétit pour l’ordre ancien (à droite) ou l’ordre nouveau (à gauche). Pour simplifier la formulation de cette définition, disons que la droite serait conservatrice et la gauche progressiste. Cette définition est réfutée notamment par le fait que le régressionnisme écologiste se place sans aucune hésitation à gauche de même que l’immobilisme du statut de la fonction publique ou de la sécurité sociale françaises. »

Je réfute également ces deux arguments car :

1. Le régressionisme écologique se perçoit lui-même comme un progrès, portant des garanties d’améliorations sociales. Le progrès est un changement qui règle un problème. La réaction est la recherche du retour à une époque où le problème n’existait pas, ou semblait moins présent. Lorsque les écologistes prônent la décroissance, ils ne suggèrent jamais que les gens perdent leur niveau de vie et retournent au Moyen Age, mais portent une vision malthusienne de contrôle de la population et de la production. Le fait que ces idées soient économiquement absurdes et, appliquées, ramèneraient probablement le monde au Moyen-Âge (pour ce qui est du niveau de vie, pas pour ce qui est de la richesse culturelle, là ce serait bien en-dessous) ne doit pas nous faire croire qu’il s’agit pour ceux qui le défendent d’un anti-progrès, d’une régression ; c’est une régression pour nous qui considérons ces idées pour ce qu’elles sont, pas pour ceux qui les défendent pour les résultats qu’ils imaginent.

2. L’immobilisme du statut de la fonction publique n’est pas placé sans hésitation à gauche. C’est là une analyse de « libéral de droite » convaincu du présupposé, qui apparaît dans l’article de Xavier Driancourt, que le libéralisme serait assez fondamentalement de droite, la droite étant le champ d’expression « naturel » du libéralisme depuis un siècle. Or cela biaise le raisonnement. Qu’un conservatisme apparaisse toujours autour d’une liberté menacée ne signifie nullement un goût pour la liberté en général. Ainsi ce n’est pas parce qu’un conservateur hurle à la loi liberticide quand on commence à sanctionner les propos « homophobes » ou simplement « non-homophiles » qu’il sera tout autant favorable à la libéralisation de l’union matrimoniale, à la légalisation des drogues ou simplement à la suppression des subventions à son secteur d’activité. La liberté n’est pas chez lui un principe, mais une question d’opportunité et de tradition. Or chez le libéral, la liberté est un principe, dont certes la puissance varie entre les anarcho-capitalistes et les libéraux classiques, les premiers refusant toute entorse, les seconds portant un discours plus nuancé ; mais le principe est toujours présent. Tandis que les conservateurs, comme d’ailleurs les progressistes, peuvent militer pour la préservation ou l’introduction de telle liberté, ce sera ponctuel, opportuniste, sélectif, et nullement l’application d’un principe de décision.

Par ailleurs, l’article de Xavier Driancourt proposait une autre définition du « clivage gauche-droite » : « La gauche et la droite ne sont pas des familles idéologiques mais des coalitions sociologiques. La gauche est la coalition des minorités de pouvoir inquiètes face à la majorité traditionnelle, augmentées de ceux qui se rallient à leurs projets politiques. La droite est la coalition de ceux qui ne partagent pas cette inquiétude et les projets politiques qui en jaillissent. Le socialisme qui prétend répondre aux peurs des minorités de pouvoir social est donc naturellement de gauche ce qui explique pourquoi la droite malgré l’existence de composantes anti-libérales en son sein est depuis un siècle le champ naturel d’expression du libéralisme. »

Sur l’idée de coalitions sociologiques j’approuve totalement. Concernant l’idée que « la gauche est la coalition des minorités de pouvoir inquiètes face à la majorité traditionnelle, augmentées de ceux qui se rallient à leurs projets politiques. La droite est la coalition de ceux qui ne partagent pas cette inquiétude et les projets politiques qui en jaillissent », je dois dire qu’elle complète à merveille mon propre schéma, sans le contredire. Il est en effet logique que les minorités de pouvoir se retrouvent chez les progressistes et les révolutionnaires, puisque toute minorité de pouvoir a tendance à rechercher un rééquilibrage sécurisant du pouvoir en leur faveur, ce qui explique à la fois : 1) la tendance à rechercher le changement et 2) la place centrale de l’égalité parmi les « valeurs de gauche ».

Il est tout aussi logique que la majorité traditionnelle soit conservatrice, car la majorité traditionnelle est celle qui a mis en place le régime actuel, comme son nom l’indique, et négocie constamment le maintien de son héritage avec des « minorités de pouvoir » qui se renouvellent constamment, intégrant les nouveaux exclus entrants (les exclus qui sortent du camp conservateurs, rappelons-le, ne passent pas à gauche mais deviennent plutôt réactionnaires, cf. la définition de ce terme dans l’article précédent), perdant les intégrés au système en place qui, une fois qu’ils ont obtenu pour eux « l’égalité » tant voulue en deviennent de farouches conservateurs (et donc passent à droite).

Ainsi s’opère perpétuellement le roulement que nous évoquions en commençant, que permet très utilement de décrire la définition de Xavier Driancourt.

Néanmoins nous devons réfuter la deuxième partie de la citation : « Le socialisme qui prétend répondre aux peurs des minorités de pouvoir social est donc naturellement de gauche ce qui explique pourquoi la droite malgré l’existence de composantes anti-libérales en son sein est depuis un siècle le champ naturel d’expression du libéralisme. »

Ce disant Xavier Driancourt fait une petite confusion lourde de conséquences sur le raisonnement. En effet il part du principe que le socialisme prétend répondre aux peurs des minorités de pouvoir social, et donc qu’il est naturellement de gauche.

Or, comme je l’ai déjà expliqué, les idées ne sont pas « de droite » ou « de gauche ». Mais alors pourquoi cette observation, qui semble d’évidence, que le socialisme est naturellement de gauche serait-elle spécieuse ? Où est l’artéfact ?

En fait, la confusion est dans le fait que Xavier Driancourt décrit non le socialisme, mais le socialisme de gauche. C’est-à-dire une idéologie dont l’expression est colorée par le bord politique où elle est à la mode.

J’avais dans mon précédent article brièvement exposé cette question de la « coloration », la « tonalité » que prend une idéologie selon qu’elle s’exprime à droite ou à gauche de l’échiquier politique. Un socialisme de gauche croira possible, par l’action de l’État, la redistribution, etc., d’instaurer une plus grande égalité entre les individus, une justice sociale.

Un socialisme de droite, par les mêmes moyens, visera des objectifs plus, « de droite » : une hiérarchisation de la société par l’action de l’État, la défense des corporations installées, une redistribution favorisant la famille traditionnelle et l’ordre social, etc.

Le gaullisme, selon cette définition sommaire, est en grande partie un socialisme de droite. Et c’est sur cette constatation que nous voudrions poursuivre la réflexion entamée dans le précédent article en réfléchissant plus amplement sur l’état actuel du clivage et ses perspectives d’évolution.

II – L’apparition d’un socialisme de droite et l’unanimité socialiste

Le gaullisme est l’idéologie dominante à droite depuis des décennies. Aujourd’hui encore, c’est une sorte de mot magique, une bannière pour la droite dont il est le plus grand dénominateur commun.

Noter dans quelles circonstances de moyenne durée il est apparu est riche d’enseignements.

Si l’on fait abstraction du régime de Vichy, qui est une catastrophe politique au sens premier du mot, c’est-à-dire un phénomène brutal et anormal, et que l’on observe le spectre politique de l’entre-deux guerres, on observe l’émergence, dans les années 1930, d’un courant original, né de la scission avec la SFIO, du « néo-socialisme ». Prônant une économie dirigée et corporatiste et un État technocratique, ce courant s’éloignait du socialisme véritablement « de gauche », ouvrier, de la SFIO et se rapprochait de préoccupations « de droite ». Ses membres connurent deux types de destin : soit ils soutinrent activement le régime de Vichy, logiquement séduits par le fascisme, soit ils s’y opposèrent et après-guerre furent des soutiens enthousiastes des politiques planistes de la IVe et du début de la Ve République. Il faut dire que des triomphes technocratiques comme la fondation de l’ENA correspondaient tout à fait à leurs vues.

En grande partie, donc, le gaullisme achève le passage à droite du socialisme, que les néo-socialistes avaient commencé à détacher de la pure « gauche ». Le socialisme de droite, c’est la « troisième voie », celle qui refuse la liberté par principe mais craint l’égalitarisme de principe du socialisme de gauche et prône l’ordre étatique pacificateur comme remède à la division de la communauté politique.

En somme le gaullisme est simplement le retour à l’Ancien Régime : un État fort, une économie corporatiste, une fiscalité importante assortie à des amortisseurs sociaux, qui stabilisent autant qu’ils étouffent l’économie et la société françaises.

Entre la Libération et le début des années 2000, le gaullisme, socialisme de droite, n’a cessé de gagner du terrain et d’étouffer le libéralisme de ce côté du clivage. Comme je l’expliquais dans le précédent article, c’est dans ce laps de temps que le libéralisme a définitivement déserté la droite : c’est chose faite définitivement après l’échec de la candidature Madelin en 2002.

Ainsi, aujourd’hui, la droite défend tout autant que la gauche le « modèle social » français, « l’exception culturelle », etc. Ce n’est pas uniquement par habileté politique que Sarkozy a récupéré Jaurès dans ses discours de 2007, mais bel et bien parce que les idées de la droite d’aujourd’hui sont assez largement celles de Jaurès. Socialistes de droite et de gauche ne s’opposent réellement que sur les objectifs du socialisme : conserver la société telle qu’elle est ou la modifier ? Cessons en effet de croire que c’est pour distraire le peuple des sujets graves (chômage, perte de compétitivité, dette…) que les gouvernements successifs recourent à des sujets de société « clivants » : mariage homosexuel, GPA, identité nationale, immigration, insécurité, etc. Si les gouvernements ne parlent que de cela, c’est parce qu’en réalité ce sont les seules choses qui font véritablement débat ! Sur tout le reste pèse une sorte d’unanimisme paresseux.

La grande question que pose cet état de fait, est : cette large unanimité peut-elle durer ? La réponse est à notre sens catégorique : certainement pas.

III – L’impossible pérennité de l’unanimité : vers une rupture idéologique

L’unanimité dans le socialisme n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui. Du Front National au Front de Gauche en passant par UMP et PS, tous sont socialistes. Entre l’UMP et le PS, le degré d’unanimité est si total que l’opposition n’existe plus depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande. Quelques personnalités de droite ont vaguement tenté de s’opposer au « mariage pour tous », mais cela est passé pratiquement inaperçu. Pour ce qui est des idées, l’UMP est un champ de ruines depuis 2012, après que Nicolas Sarkozy ait sous son quinquennat achevé de démontrer que la droite n’était plus qu’un musée du gaullisme.

À gauche, la social-démocratie a atteint une limite : plus socialiste, ce ne serait plus de la démocratie. Les multiples révoltes populaires et les indignations face aux augmentations des prélèvements obligatoires et des atteintes aux libertés montrent que cette limite est atteinte.

Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que nous allons vers un totalitarisme véritable. Un totalitarisme s’impose brutalement ou ne s’impose jamais. On peut tuer un homme d’un coup dans le dos avec un poignard, pas avec une petite cuillère. Le socialisme qui veut s’imposer par le parlementarisme finit par se heurter à une résistance trop importante. Et nous y sommes, ou nous n’en sommes en tout cas pas loin.

Mais si les idées vont de la gauche vers la droite, la gauche ne doit-elle pas se radicaliser, et donc effectivement dépasser cette limite ?

Non, car comme expliqué dans mon article initial, les progressistes comme les conservateurs sont la part raisonnable de la société, des gens foncièrement réformistes qui n’ont pas de propension à employer la force pour imposer leurs idées. Des réformistes ne peuvent pas faire beaucoup plus que ce que Valls a déjà fait en deux ans : envoyer des bombes lacrymogènes sur des manifestants ou faire interdire des spectacles.

La conclusion est donc la suivante : le socialisme unanime, en France, a pratiquement fait son temps. Il ne peut pas, sauf à la faveur d’une catastrophe, se déployer plus qu’il ne l’a déjà fait, et en même temps il n’a plus véritablement d’ennemi dans le spectre politique effectif. Il est triomphant, donc il est en sursis.

Et cela nous renvoie à l’exemple déjà évoqué dans mon précédent article du tournant des années 1900. La fin du XIXe siècle est la dernière fois qu’un tel unanimisme avait marqué le spectre politique français. Ainsi à cette époque droite et gauche modérée, soit « deux Français sur trois », étaient d’accord sur l’essentiel : la nature du régime républicain, l’idéologie nationaliste (plutôt colonialiste à gauche, plutôt revancharde à droite), la défense des grandes libertés républicaines, et économiquement un régime très libéral (souvenons-nous qu’en 1900 l’État pesait pour moins de 10% dans le PIB, contre 57% aujourd’hui).

Comme aujourd’hui, les grands débats politiques étaient uniquement des débats de société, extrêmement clivant mais ne remettant pas en cause le large consensus quant aux principes de gouvernement du pays : ainsi l’affaire Dreyfus et la séparation de l’Église et de l’État qui en vérité constituaient des débats de surface comparés aux questions fondamentales qui s’étaient posées en 1848 ou en 1870.

Or à cette phase unanimiste, qui dura jusqu’à la Grande guerre, succéda un basculement idéologique spectaculaire avec la large conversion de la gauche aux idées socialistes apparues à la fin du XIXe siècle et qui avaient grossi à l’extrême-gauche sans parvenir à s’imposer à la moitié gauche de l’échiquier politique.

C’est chose faite après la guerre : elle semble avoir donné raison au pacifisme de Jaurès, fondé sur l’internationalisme ouvrier ; en outre sur les 1,4 millions de victimes la plupart étaient issus de la France rurale, les ouvriers étant plus largement épargnés par la mobilisation en raison de leur utilité dans la production militaire, ce qui a sans doute impacté lourdement la composition de l’électorat, en y augmentant la proportion du prolétariat. La SFIO en récolte les fruits, en même temps qu’elle subit elle-même un éclatement (au congrès de Tours en 1920) dû à sa nouvelle importance politique et l’adoption de ses idées par des progressistes et des révolutionnaires dont la cohabitation permanente dans un même parti est impossible (puisqu’ils n’ont pas la même mentalité, cf. article précédent).

Dès lors apparaît de nouveau un clivage fort où s’affrontent deux modèles de société, deux visions du monde, deux agrégats idéologiques distincts : la République nationaliste, libérale et bourgeoise du côté conservateur, le socialisme internationaliste et ouvrier du côté progressiste. Seul le régime parlementaire réunissait les modérés des deux côtés du clivage. Un relatif unanimisme idéologique mettrait dès lors trente ans et beaucoup de réformes de compromis à se mettre en place avec, avons-nous dit, l’avènement du gaullisme, socialisme de droite.

Aujourd’hui, nous sommes dans une phase d’unanimisme, et plus précisément sur la fin d’une phase d’unanimisme.

En quoi consistera le basculement ? Vers quoi nous amènera-t-il ? Il me semble qu’il n’y a qu’une seule possibilité.

En effet, avons-nous dit, le gaullisme, socialisme de droite, est largement un retour à l’organisation d’Ancien Régime : grands corps de l’État, économie dirigée et très réglementée, syndicalisme pesant, société de privilèges… Nous avons donc, politiquement, fait « le tour du cadran » en deux siècles et demi.

Par l’extrême-gauche doivent donc arriver de nouvelles idées, qui deviendront la nouvelle base idéologique de la gauche. Ces idées, nous le suggérions dans l’article précédent et notre conviction n’a depuis fait que croître, ce sont les idées libertariennes, tout comme le libéralisme des Lumières constituait le fonds commun de la gauche française en 1789. De fait, les idées libertariennes ont aujourd’hui en France la place qu’avaient celles des Lumières dans les années 1770 : essentiellement discutées dans les salons, chez les initiés, mais trouvant de plus en plus d’écho, par leur caractère subversif, dans des strates très diverses de la population. Leur fraîcheur dans le spectre politique actuel, qui permet aux libertariens de ringardiser dans pratiquement n’importe quel débat (je pense n’être pas le seul à avoir connu ce plaisir savoureux) en traitant – pour faire court – autant un UMPiste qu’un sympathisant PS ou FDG de « conservateur », d’ennemi de la liberté, de policier de la pensée et de l’action, leur donne un avantage considérable. Il les pare de la posture romantique, dont il ne faut certainement pas négliger la force politique, des authentiques révolutionnaires. Et de fait, être véritablement libéral, aujourd’hui, n’est pas être autre chose que révolutionnaire. Dans un pays aussi corporatisé, où la fonction publique représente un quart de la population active, où la presse est massivement subventionnée, où des pans entiers de l’économie ne sont pas laissés au libre jeu du marché, où l’inégalité devant la loi est plus la règle que l’exception, être libéral implique de souhaiter un brutal coup de balai ; brutal ne signifiant pas ici violent, mais soudain, rapide et large. La grande force de la pensée libertarienne, aujourd’hui, c’est sa capacité à « réenchanter ». Tout comme la pensée libérale chez les révolutionnaires, la pensée libertarienne moderne n’est pas uniforme : alors qu’en 1789 on trouvait des républicains et des partisans plus modérés de la monarchie constitutionnelle, les courants libertariens actuels rassemblent anarcho-capitalistes et minarchistes.

À l’appui de cette vision que certains jugeront peut-être trop optimiste des choses, il semble opportun de rappeler l’étude du CREDOC publiée dans ces colonnes qui fait bien de la liberté une valeur prédominante dans la jeunesse. Or le vote des jeunes est généralement plutôt à gauche, avons-nous déjà expliqué (cf. précédent article).

Les deux précédents basculements hors de l’unanimisme, celui des années 1780 et celui de 1920, ont été consécutifs à des événements catalyseurs. Dans les années 1780, c’est l’exemple enthousiasmant de la Révolution américaine en même temps que la faillite de l’État monarchique ; dans les années 1920, c’est l’exemple de la Révolution bolchévique et la tragique issue du nationalisme républicain.

Aujourd’hui, en France, la faillite de l’État est imminente. Un évènement extérieur viendra-t-il éclairer l’opinion publique ? Il est probable qu’il faudrait plus pour cela que les bons chiffres obtenus par Cameron outre Manche. On pourrait rêver à une nouvelle Révolution américaine avec l’arrivée de Rand Paul à la Maison-Blanche en 2016. En écrivant cette dernière phrase il y a quelques jours, j’ajoutais « mais ce serait rêver beaucoup ». Pas tant que cela, semble-t-il.


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