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Faits-divers : locomotive des sites d'information locale ?

Publié le 03 février 2014 par Npcheynel @journalismes

Photo Flickr SalFalko Photo Flickr SalFalko Le fait-divers est un genre journalistique à part et relativement sensible (précautions autour de l'identité des protagonistes, émotion suscitée par ce genre d'évènements), ce qui implique un traitement particulier. Sa déclinaison sur Internet, notamment sur les sites de presse quotidienne régionale (PQR) est difficile à gérer.
Un article publié en ligne est susceptible de toucher un plus grand nombre de lecteurs donc davantage exposé à la critique, sa durée de vie sur Internet est indéterminée. Les journaux redoublent donc d'attention lorsqu'il s'agit de publier une affaire sur leur site web.


Un paradoxe, car le fait-divers génère beaucoup de trafic par rapport à l'information générale reprise par la plupart des médias. C'est ce que l'on constate au Dauphiné Libéré  en Rhône-Alpes et à l'Écho Républicain, journal de la région Centre. Pour 30.000 exemplaires de l'Écho Républicain vendus, 15.000 connexions sont enregistrées sur leur site web.
Dans ces deux rédactions, il n'y a pas de nombre de pages maximum attribuées aux faits-divers en ligne. Bien au contraire, cette catégorie est mise en valeur sur les sites. "Nous sommes fortement incités par la direction à en publier sur Internet. Dès qu'il se passe quelque chose, on doit être réactif", explique Fabrice Margaillan, journaliste fait-diversier au Dauphiné Libéré.

Actuellement, le site du journal grenoblois qui vient de subir une refonte met l'accent sur la rubrique "fait-divers", accessible très facilement, dès le haut de la page d'accueil.




Capture d'écran Dauphiné Libéré Capture d'écran Dauphiné Libéré Bien que les journaux de PQR misent sur les faits-divers pour toucher leur lectorat, cette catégorie doit se faire une place au milieu de la profusion d'autres sujets qui font l'actualité au niveau national et international. Pour une journée comme celle du 16 décembre 2013, le nombre d'articles estampillés "faits-divers" ne semble pourtant pas si conséquent. Sur le site de l'Écho Républicain seuls 14 articles de cette catégorie ont été publiés sur 240 papiers mis en ligne. Du côté de Dauphiné Libéré, ce sont 59 articles "faits-divers" qui ont été publiés sur le site, toutes éditions confondues, dont 11 faits-divers "nationaux".

"Course au clics ?"

Capture d'écran Écho Républicain Capture d'écran Écho Républicain La gestion des faits-divers sur Internet donne lieu à de nombreux débats au sein des rédactions locales, sur fond de remise en question du modèle économique actuel. "Devons-nous faire aussi gros sur le journal que sur le site ? Est-ce qu'on est là pour faire la course aux clics ?", s'interroge Fabrice Margaillan.
À l'heure actuelle, lorsqu'un fait-divers est abordé sur la toile en PQR, il est généralement repris sur papier. Pour Eric Moine, rédacteur en chef de l'Écho Républicain, "on ne traite jamais un fait-divers sans le coucher sur papier. La version Internet peut servir à faire du teasing pour le journal du lendemain".

Le trafic peut dépendre de sa catégorie mais aussi de la zone géographique couverte. À l'Écho Républicain, les accidents sont 5 à 15 fois plus consultés que les articles d'information générale, et les faits-divers "basiques" le sont 2 à 3 fois plus. Selon Eric Moine, "l'insolite, comme un très grand excès de vitesse, peut générer des pics de connexion".

Au Dauphiné Libéré, ce sont les affaires criminelles, judiciaires, et les violences urbaines qui sont le plus consultées. Pour autant, le succès d'un sujet n'est pas non plus exclusivement lié à sa gravité, cela dépend également des photos, et de la reprise de l'information par d'autres médias.

Le fait-divers multimédia : les atouts et les limites pour la PQR

Internet permet d'apporter au fait-divers une valeur ajoutée et offre de nombreuses possibilités techniques. Ce changement par rapport au papier ne réside pas tant dans l'écriture. Son contenu narratif est brut, factuel, moins soigné que sur papier, souvent à la façon de dépêches.

Le web permet une grande diversification des contenus comme la vidéo ou encore le live-blogging. Cela implique une nouvelle acquisition de matériel pour les rédactions de presse écrite et la formation qui va avec, gourmande en temps et en moyens.
Pour Fabrice Margaillan, "les sites doivent se mettre à niveau sur la technique. Ça va certainement marcher si la vidéo est de qualité. Il en va de la réputation du journal. On tend à vouloir aller trop vite sur le web".
La plupart des journaux de PQR publient déjà des vidéos, c'est le cas de l'Écho Républicain qui possède une section qui y est dédiée. "Elles sont très souvent regardées, à hauteur d'un lecteur sur cinq".

Autre outil qui s'est développé sur le net ces dernières années, le live-blogging de procès. Généralement utilisé pour les grandes affaires juridiques, le live-blogging est un contenu analytique instantané agrémenté de documents, infographies et reportages. Aujourd'hui, la majorité des grands procès sont retransmis en direct sur Internet. De l'affaire Courjault couvert par la Nouvelle République  en 2009 au procès de Tony Meilhon pour l'affaire Laëtitia en juin dernier.
Cette nouvelle pratique n'avait pas manqué de susciter des réactions, notamment sur le manque de recul et d'analyse des journalistes ou encore l'influence sur les protagonistes du procès.
Les journalistes doivent également faire face à la multiplication des photos d'amateurs qui ne sont pas soumis à des règles de déontologie.

Pour Claire Sécail, chercheuse en communication et politique au CNRS et auteure de l'ouvrage Le crime à l'écran : le fait-divers criminel à la télévision française (1950-2010), les images amateurs se rapprochent du moment, mais elles sont plus choc. Leur côté spectaculaire tend à légitimer l'affaire".
Claire Sécail pointe du doigt cet autre phénomène qu'est la concurrence des journalistes avec les lecteurs sur le terrain du fait-divers.
"Il y a différents cercles de lecteurs, dont certains passionnés de ce genre d'histoires et très bien informés qui dénichent l'information eux-mêmes. Ils peuvent retrouver des noms, des photos, qu'ils sont susceptibles de communiquer sans vraiment imaginer l'impact que cela peut avoir sur les protagonistes impliqués dans ces affaires et sans se poser la question de la responsabilité".

La responsabilité journalistique plus que jamais mise à l'épreuve

Sur les deux sites de PQR, les commentaires sont désactivés dans la section "fait-divers" par choix de la rédaction, afin de se protéger de toute poursuite pénale. Cependant, les réactions ne sont pas modérées sur les réseaux sociaux où les articles sont repris et partagés. Fabrice Margaillan met en garde "des sites comme Facebook ou Twitter sont la porte ouverte à tous type de commentaires. La question de la responsabilité pénale se posera un jour".

Autre contrainte que rencontrent les fait-diversiers, le temps. "Nous sommes pressés par l'immédiateté qu'exige le net, mais en tant que journalistes, nous ne devons pas perdre de vue nos responsabilités. On choisit de ne pas mettre en ligne certains papiers, notamment des affaires judiciaires, car elles sont éternelles sur Internet" confie Eric Moine.
"Forcément nous subissons la pression des réseaux sociaux et des autres médias, mais on prend des précautions avant de publier. On vérifie nos sources officielles et officieuses. On prend le temps de traiter, de recouper l'information pour aller à l'encontre du "tous journalistes". On doit savoir de quoi on parle. Ce n'est pas la réaction qui fait notre force, c'est le réseau et le relationnel" affirme de son côté Fabrice Margaillan.

Chaque rédaction a sa façon de faire et cherche encore son modèle économique. Les faits-divers font partie intégrante des sites de PQR et cristallisent dans le même temps les enjeux du web pour la presse, comme l'évolution des supports (vidéo, live-blogging…), et les contraintes qui leur sont liées. Eric Moine affirme, "à l'Écho Républicain, le chiffre d'affaire du web ne représente que 1,5% et le print 98,5%. Ce que je constate c'est que l'un ne tue pas l'autre".
À l'Écho Républicain comme au Dauphiné Libéré, on n'évoque pas l'idée d'abandonner définitivement le papier pour le web, peu rentable. Et le papier peut encore se targuer de traiter de faits-divers en toute légitimité.

Photo Flickr Worl Armies Photo Flickr Worl Armies

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