Il s’en passe des choses, en coulisse des administrations européennes : manifestement, des gens sont rudement au travail pour nous offrir une société plus douce et plus câline à tel point que vouloir en sortir semblera si ridicule qu’on vous en empêchera efficacement. Et si l’on en croit Auto Express, un magazine anglais spécialisé dans les voitures, cela prendra la forme – totalement surprenante, bien sûr – d’un nouveau dispositif sécuritaire dont les clefs de contrôle seront remises dans les mains étatiques…
Tout part d’un constat alarmant : certains malfrats n’hésitent pas à utiliser des voitures pour commettre des délits, des crimes et pour s’enfuir ensuite. L’action de la police consiste alors à devoir prendre en chasse les vilains et les méchants, ce qui peut provoquer une prise de risque, des tôles froissées et des gens qui meurent. Accessoirement, c’est aussi très mauvais pour l’environnement, et c’est, on peut le dire, une dépense d’énergie inutile dans ce monde où chaque joule compte. Dès lors, comme c’est un problème évident de société, les autorités compétentes, les périphériques et les accessoires se sont penchées sur la question d’autant plus qu’il était technologiquement envisageable de trouver une solution élégante, relativement simple à mettre en place et parfaitement scandaleuse dans l’esprit, ce qui ne gâte rien.
Et c’est donc dans le cadre d’ENLETS qu’on découvre la « solution » que nos élites envisagent pour ce piquant problème. ENLETS, c’est l’abréviation de « European Network of Law Enforcement Technology Services », et ce bidule, rattaché à Europol, fut créé en 2008 comme un sous-groupe de travail consacré à l’application de la loi, lors de la présidence française du Conseil de l’Union Européenne (ce qui n’étonnera personne, les idées qui partent en sucettes provenant toujours et avec une constance stupéfiante des mêmes nids collectiviste). Or, suite à une fuite d’un récent rapport (qu’on pourra donc lire ici), on découvre, au milieu du blabla bureaucratique habituel, un peu après quelques paragraphes consacrés à la reconnaissance automatique de plaque d’immatriculation (un grand classique pour les radars français, écotaxe ou pas), que les policiers branchés envisagent sérieusement la mise en place européenne d’un système permettant l’arrêt à distance d’une voiture. En substance, l’idée est d’avoir une sorte de télécommande avec un gros bouton « arrêt » qui mettra fin à la course poursuite avant même qu’elle ait lieu :
Remote Stopping Vehicles : Cars on the run have proven to be dangerous for citizens. Criminal offenders (from robbery to a simple theft) will take risks to escape after a crime. In most cases the police are unable to chase the criminal due to the lack of efficient means to stop the vehicle safely. This project starts with the knowledge that insufficient technology tools are available to be used as part of a proportionate response. This project will work on a technological solution that can be a “build in standard” for all cars that enter the European market. –
Les voitures en fuites sont dangereuses pour les citoyens ; les criminels n’hésiteront pas à prendre des risques pour échapper à la justice. Dans la plupart des cas, la police est incapable de rattraper le criminel faute d’un moyen efficace pour arrêter le véhicule en toute sécurité. Ce projet débute en sachant qu’il n’y a pas encore d’outils technologiques disponibles pour une réponse proportionnée. Ce projet travaillera sur une solution technologique qui pourra être standardisée à toutes les voitures entrant le marché européen.
De prime abord, cette idée n’est pas à proprement parler complètement idiote. À l’instar d’un enfant qui a toujours le choix d’arrêter net sa voiture télécommandée avant qu’elle ne tombe dans un trou inopportun, le principe qui consiste à couper le moteur d’une voiture alors qu’un criminel tenterait de s’enfuir à son bord est séduisante : plus de course-poursuite, plus de risques pris par le malfaisant pilote, plus de donuts policiers rageusement jetés dans une poubelle pour pouvoir s’engouffrer les mains libres dans la voiture de patrouille toutes sirènes hurlantes et partir en chasse dans un crissement furieux de pneus surchauffés, et surtout, plus de litrons d’essence brûlés dans une débauche énergétique ni durable, ni bisou.
Mais voilà : le diable se cache dans les détails.
D’une part, sur le plan technique, ce n’est (heureusement) pas encore plié : arrêter une voiture à distance suppose par exemple qu’elle puisse recevoir le signal d’arrêt un peu n’importe où, ce qui impose des contraintes fortes en termes technologiques ; ainsi, où doivent être positionnés les émetteurs pour être sûrs d’envoyer un message reçu par le véhicule ? Comment s’assurer que le message ne soit envoyé que par des forces de l’ordre et pas par des petits malins qui, à leur tour, stopperaient les policiers ? D’autre part, comment s’assurer que le boîtier ou le dispositif d’arrêt contrôlé ne sera pas purement et simplement enlevé dans les voitures prises par les malfaiteurs, ce qui aboutirait à une situation où les honnêtes citoyens pourraient voir leur véhicule immobilisé pour un oui ou un non, pendant que les criminels et les petits malins, eux, seraient toujours libres de se déplacer comme ils l’entendent ? (Tout parallèle avec la détention et le port d’arme sera écarté, parce que ce n’est pas pareil et puis c’est tout.) Et puis, on l’oublie un peu vite, mais s’il est relativement simple d’empêcher une voiture de démarrer, arrêter une voiture en pleine course peut rapidement s’avérer dangereux si le dispositif ne le fait pas correctement, et on n’est jamais à l’abri d’une réaction inapproprié du conducteur…
Plus délicat, la question de savoir comment s’assurer que ce message ne sera envoyé qu’à bon escient par les forces de l’ordre reste délicate à traiter et c’est ce qui rend l’ensemble du dispositif particulièrement scandaleux : la dérive est évidente, qui permettrait à une autorité d’empêcher certains de ses citoyens de se déplacer comme ils l’entendent, en utilisant des prétextes adaptés (par exemple au hasard, la lutte contre le terrorisme ou les pédonazis des autoroutes qui pullulent dernièrement). Mieux : si on peut empêcher une voiture de rouler, on peut alternativement lui limiter l’accès à certaines portions du territoire, ou lui imposer un bridage électronique de sa vitesse.
Bien sûr, un tel dispositif rendrait caduc les radars, ce qui veut dire que l’État y réfléchira à deux fois avant de le mettre en place. Mais d’un autre côté, le bénéfice retiré d’une flotte de véhicules civils tous parfaitement obéissants n’est pas à négliger dans cette période où l’on cherche tous les jours à retirer des mains d’adultes anciennement responsables tout ce qui offre des coins durs et potentiellement douloureux, ce qui pourrait les blesser ou les rendre plus libres de leurs allées et venues.
Le procédé technique reste, pour le moment, de la science-fiction. Mais soyez certains que les années prochaines verront se lever chacun des obstacles à sa réalisation et lorsqu’il faudra installer les boîtiers de contrôle, nos policiers européens seront prêts. Comme je le notais dans un billet précédent, l’État et ses thuriféraires n’hésiteront jamais à mettre leur nez et leurs doigts dans les nouvelles technologies si elles leur permettent d’accroître leur pouvoir, quand bien même le résultat est, au final, désastreux. Le principe des objets connectés est, de ce point de vue, plus qu’alléchant.
Et appliqué aux voitures, c’est, véritablement, le rêve humide des totalitaires.
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