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Cellules souches : découverte révolutionnaire et éthique

Publié le 04 février 2014 par Sylvainrakotoarison

La recherche scientifique est toujours passionnante. Parfois, il y a des découvertes exaltantes et surprenantes. Cependant, pour protéger l’humain de ses prétentions et vanités, les progrès technologiques auraient intérêt à toujours être accompagnés d’une certaine sagesse : « Sapience n’entre point en âme malivole et science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » ("Pantagruel", Rabelais, 3 novembre 1532) cite-t-on, souvent et à raison, à cette occasion, provenant d’une lettre de Gargantua à son fils qui ajoute un peu plus loin : « Méfie-toi des abus du monde ; ne prends pas à cour les futilités, car cette vie est transitoire (…) ».

yartiSTAP01 J’avais récemment rappelé l’importance de ne pas subordonner l’éthique au progrès scientifique, contestant la loi du 6 août 2013 autorisant l’expérimentation sur des embryons humains, donc, sur du matériel vivant humain.

Je l’avais fait en précisant deux choses : d’une part, l’éthique impose le respect de toute conception de la personne humaine, en toute circonstance ; d’autre part, qu’indépendamment des problèmes éthiques, la recherche à partir de cellules souches embryonnaires étaient dépassée et quasiment anachronique, en raison des grandes difficultés techniques (propension à développer des tumeurs, rejets etc.) et surtout, parce qu’une autre technologie existe et est bien plus performante, et en plus, elle s’exonère de tout souci éthique parce que seules sont susceptibles d’être prélevées des cellules matures (chez l’adulte).

Il se trouve que parfois, la science avance vite. À peine avais-je terminé de rédiger mon article qu’une découverte révolutionnaire a été présentée à la communauté scientifique. Il se trouve que celle-ci confirme le peu d’avenir des cellules souches d’origine embryonnaire comme je l’avais écrit, mais pose aussi d’autres problèmes éthiques (que la loi française n’a d’ailleurs pas envisagés). Cela dit, même si la voie des cellules embryonnaires était redevenue "performante", les considérations éthiques n’en auraient pas été moins valides.

Haruko Obokata

La jeune biologiste japonaise Haruko Obokata (elle n’a que 30 ans) pourrait peut-être obtenir le Prix Nobel de Médecine pour l’édition 2014. C’est évidemment bien trop tôt pour le dire mais cette scientifique vient de publier, le 30 janvier 2014, plusieurs articles dans la célèbre revue "Nature" qui présentent effectivement une découverte révolutionnaire, en particulier cet article : "Stimulus-triggered fate conversion of somatic cells into pluripotency". Tellement révolutionnaire que le texte avait été soumis au comité éditorial le 10 mars 2013 et avait été rejeté à plusieurs reprises avant d’être enfin accepté avec tous les compléments nécessaires pour la rendre vraisemblable : « Mon manuscrit avait été rejeté de la publication plusieurs fois. ».
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Après son doctorat soutenu en 2011, Haruko Obokata a été recrutée en 2013 comme chef du laboratoire sur la reprogrammation cellulaire (Lab for Cellular Reprogramming) du Riken Center for Developmental Biology à Kobe (Japon).

De quoi s’agit-il ?
Des cellules souches.

La cellule souche, promesse d’un magasin de tissus humains

Pour tenter de soigner certaines maladies, en particulier les maladies neurodégénératives qui semblent devenir les "maladies du siècle", la science essaie de trouver un moyen de cultiver un certain nombre d’organes qu’on pourrait ensuite greffer sur le patient.

L’idée existe depuis une quinzaine d’années, celle d’utiliser des cellules souches, autrement dit, des cellules pluripotentes. Ces cellules sont des cellules indifférenciées, c’est-à-dire qu’il y a en elles tout en un. Elles peuvent se multiplier à volonté. Elles existent au stade initial de l’embryon, et après quelques temps de développement, chaque cellule se spécialise ensuite dans une fonction précise (un organe, un membre etc.).

Les cellules souches embryonnaires ont été mises en évidence chez la souris le 9 juillet 1981 par Martin Evans (Prix Nobel de Médecine 2007), Matthew H. Kaufman (disparu le 11 août 2013) et Gail R. Martin ["Establishment in culture of pluripotential cells from mouse embryos", "Nature", 292(5819), pp. 154-6], et chez l’humain le 6 novembre 1998 par James Alexandre Thomson, Joseph Istkovitz-Eldor et Benjamin Reubinoff ["Embryonic stem cell lines derived from human blastocysts", "Science", 282(5391), pp. 1145-7].
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Certains scientifiques avaient alors prélevé des cellules souches d’embryons humains pour faire les premières expériences.

Jusqu’en 2013, c’était interdit en France. Pourquoi ? Parce que lorsqu’on prélève une cellule souche d’un embryon, on détruit cet embryon. Or, l’embryon humain, comme "personne en devenir", est protégé par la loi et si la loi sur l’avortement permet sa destruction, c’est de manière dérogatoire et exceptionnelle (quand la femme est en "situation de détresse", expression en phase d’être elle aussi supprimée par le gouvernement actuel).

La loi n°2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique permettait quelques dérogations pour une période de cinq ans « lorsque [les recherches] sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs et à condition de ne pouvoir être poursuivies par une méthode alternative d’efficacité comparable, en l’état des connaissances scientifiques ». C’était le cas aussi pour la loi du 7 juillet 2011 sur l’expérimentation mais la loi du 6 août 2013 a brisé cette digue de protection à un moment où justement, cette recherche s’enlisait.

Plus besoin d’embryon pour produire des cellules souches

Et si l’utilisation des cellules souches embryonnaires s’est enlisée, c’est parce que depuis 2006, les biologistes John Gurdon et Shinya Yamanaka ont réussi à contourner l’impasse éthique en trouvant un procédé qui permet de reprogrammer génétiquement une cellule mature (donc différenciée, prélevée sans destruction chez un adulte) en cellule pluripotente (dite iPS), donc souche mais pas d’origine embryonnaire, et cette voie est d’autant plus encourageante qu’elle donne des résultats meilleurs (risque tumoral moindre) qu’avec des cellules souches d’origine embryonnaire. La consécration de cette voie fut l’attribution du Prix Nobel de Médecine le 8 octobre 2012.

Or, la découverte de Haruko Obokata va encore plus loin dans cette voie non embryonnaire, plus loin que les travaux de Shinya Yamanaka et a de quoi bouleverser la médecine regénérative, d’autant plus que la méthode est peu coûteuse, rapide et simple.

L’idée est toujours de produire des cellules souches à partir de cellules matures. En leur faisant subir une contrainte, ces cellules matures se transforment en cellules pluripotentes. Au contraire des cellules iPS qui subissent une manipulation génétique, les cellules de Haruko Obokata n’ont pas eu de traitement génétique, mais seulement une soumission à certaines contraintes.

C’est le cas par exemple en trempant une cellule mature dans un bain d’acide faiblement dosé (pH = 5,7) pendant vingt-cinq minutes à 37°C : la cellule se transforme au bout d’un certain temps en cellule pluripotente, comme par "miracle". Ce phénomène s’appelle désormais STAP pour "stimulus-triggered acquisition of pluripotency" c’est-à-dire : acquisition de pluripotence déclenchée par stimulus.

La surprise après les doutes

Haruko Obokata en est la première surprise : « C’était vraiment étonnant de voir qu’une telle transformation pouvait être acquise simplement par un stimulus extérieur à la cellule. ».
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Yoshiki Sasai, l’un des chercheurs cosignataires de l’article, se réjouit aussi : « C’est extraordinaire. Je n’aurais jamais pensé qu’une contrainte puisse avoir un tel effet ! ».

Teruhiko Wakayama, un autre chercheur de l’équipe, n’y croyait pas beaucoup : « Je pensais vraiment que c’était beaucoup de travail pour rien. ».

Le biologiste Rudolph Jaenisch, du Whitehead Institute à Cambridge, dans le Massachusetts (USA), qui n’a pas participé à ce projet, commente très étonné : « C’est vraiment inespéré. Il n’y a aucune manipulation génétique, seulement des conditions de culture, des contraintes, pour provoquer ces changements. Je crois que c’est assez remarquable ! ».

Le précurseur de ce champ de recherche, Shinuya Yamanaka réagit, de son côté, ainsi : « D’un point de vue pratique sur les applications cliniques, je vois ceci comme une nouvelle approche pour produire des cellules quasi-iPS. Si la pluripotence est provoquée aussi à partir de cellules humaines avec une méthode identique, nous aurons besoin de la comparer avec les protocoles existants. ».

Si cette découverte a eu lieu, c’est avant tout grâce à la perspicacité de Haruko Obokata qui a développé cette technique depuis cinq ans quand elle a vu que des cellules matures ressemblaient à des cellules souches lorsqu’on les soumettait à une contrainte mécanique et elle a dû convaincre tout son entourage professionnel d’aller dans cette voie : « Au départ, tout le monde pensait qu’il s’agissait d’un artefact. Il y a eu des jours difficiles où j’ai moi-même vraiment douté. ».

La vie d’un chercheur est ainsi faite de doutes et d’intuition. Croire en soi-même est presque aussi important qu’avoir l’intuition géniale.

Le présent et le futur

L’équipe a ensuite utilisé la méthode de fluorescence pour démontrer que la cellule obtenue était effectivement pluripotente : après multiplication, elle a produit …un embryon (comme sur la première photo), et elle a réalisé des films pour démontrer aussi que les cellules souches provenaient bien de cellules matures.

En tout, douze types de cellules matures ont été testés (poumon, foie, cerveau, peau, sang etc.) et le procédé STAP donne des taux de "conversion" très supérieur à la méthode de Yamanaka (qui est de 1%) : 20 à 25% des cellules survivent aux stimuli générés, et parmi les survivantes, 30% se transforment en cellules pluripotentes (soit un rendement 6 à 8 fois supérieur aux cellules iPS).

Par ailleurs, au contraire des cellules souches embryonnaires ou des cellules iPS, les cellules STAP peuvent éventuellement se transformer en cellules placentaires.

Évidemment, cette technique est à ses balbutiements et nul doute que d’autres laboratoires de recherche, dans le monde, chercheront à reproduire ces expériences, voir à les optimiser. D’autant plus que le cas général de "stress" n’a pas été vraiment exploité, puisque ici, seul l’acidité a été le critère (fragile équilibre entre contrainte et survivance des cellules).

Ah, il y a aussi un petit détail essentiel : ces expériences ont été réalisées uniquement sur des cellules de souris, et c’est un embryon de souris qui s’est développé.

L’idée d’appliquer le procédé STAP à des cellules humaines (la finalité pour trouver une thérapie cellulaire adaptée) peut poser évidemment quelques problèmes éthiques.

Clonage humain

Ces problèmes éthiques sont différents de ceux rencontrés dans l’utilisation d’embryon humains, car il ne s’agit pas ici de détruire des embryons. Ces cellules STAP peuvent toutefois se développer en embryon (humain dans ce cas). Ce serait alors du clonage. Or, cette méthode assez exceptionnelle semble aussi la meilleure méthode pour cloner.

Le clonage humain pose certains problèmes éthiques d’ordre social (absence de paternité) ou psychologique (double génétique) que rencontrent déjà certaines personnes (orphelins, enfants adoptés, jumeaux etc.) indépendamment des problèmes médicaux qui pourraient survenir (complications, vieillissement cellulaire précoce etc.). De plus, quelle que soit la méthode, aucun clonage humain n’a été réalisé, du moins avec succès, malgré les annonces sensationnelles d’une secte il y a une dizaine d’années.

Une thérapie sans obstacle éthique ?

Mais insistons bien sur le fait que le production d’un embryon de souris issu d’une cellule STAP n’avait ici qu’un but démonstratif, celui de prouver que c’était bien une cellule pluripotente.

Certes, cela ouvre une voie royale au clonage mais l’idée principale reste la production de cellules pluripotentes afin de produire, ensuite, les cellules nécessaires au soin d’un patient. Et pour cette finalité thérapeutique, le procédé STAP ne se heurte à aucun considération éthique.

De plus, si l’on arrive par la suite à comprendre ce qu’il se passe, pas seulement à le décrire, peut-être serait-il une clef pour mieux combattre le cancer.

J’avais expliqué la semaine dernière que le gouvernement français avait deux trains de retard en ayant fait adopter la loi du 6 août 2013 qui autorise l’expérimentation sur les embryons humains. Je m’étais trompé, il a maintenant trois trains de retard.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (4 février 2014)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
L'article d'origine dans "Nature" (30 janvier 2014).

14 idées reçues sur les embryons humains.
L'avis conforme du Conseil Constitutionnel du 1er août 2013 (texte intégral).
La marchandisation de l'humain.
François Hollande.
Revenir à quelques valeurs...
La mort pour tous ?
L’embryon humain et ultralibéralisme.
Mariage des couples homosexuels.
Bientôt la PMA ?
Bientôt l’euthanasie et le suicide assisté ?
Documentation sur la proposition de loi sur les embryons humains (Sénat).
Ne pas voter Hollande pour des raisons morales.
En quoi le progrès médical est-il amoral ?
ADN, pour ou contre ?
Robert Ewards couronné avec trente ans de retard.
Trente années de bébés éprouvette (fécondation in vitro).
Le fœtus est-il une personne à part entière ?
Les transgressions présidentielles.
Cannibales et marchands à la recherche de l’embryon (27 avril 2009).


(Photos : embryon de souris fluorescent provenant d'une cellule STAP, et la biologiste Haruko Obokata).
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