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Le trottoirgate ou comment la peur vint aux femmes

Publié le 05 février 2014 par Juval @valerieCG

J'ai lancé sur twitter quelques conseils aux hommes qui souhaitaient participer au combat féministe. L'un de ces conseils a suscité énormément de réactions, il disait quelque chose comme ; "la nuit, si vous  êtes derrière une femme seule, changez de trottoir et accélérez pour lui montrer que vous n'êtes pas un agresseur".

Je ne vais pas ici revenir sur ce conseil j'en parlerai dans un prochain article, mais plutôt sur les réactions qu'il a suscitées.

Je vous propose de relire cet article Tu sera violée ma fille qui avait déjà, quand je l'avais écrit, suscité une grosse vague de réactions.

Je vais y revenir brièvement. Les femmes sont éduquées dans la peur ; cela ne veut pas dire que toutes ont peur mais que toutes subissent des injonctions à avoir peur, injonctions qui sont pour la plupart irrationnelles. Je vais résumer des points que j'ai abordés à de nombreuses reprises dans mon blog donc je vous incite à faire quelques recherches. Les femmes risquent davantage d'être violées par une personne connue chez elle ou chez le violeur ; le risque d'être violée la nuit, par un inconnu est faible ; pourtant on enseigne aux femmes que la rue est un espace hostile où elles risquent le viol à tous les coins de rue. La majorité des viols se déroule chez la victime ou chez le violeur ; le violeur est connu dans la majorité des cas. En clair, une femme risque davantage d'être violée par quelqu'un qui la raccompagne que par un inconnu dans la rue.
Il ne s'agit pas de dire qu'il n'y a aucun risque dans l'espace public mais qu'il est de toute autre nature que ce que craignent les femmes ; on peut se faire voler son portable par exemple c'est un risque mais ce n'est pas ce que craignent les femmes dans leur majorité.
Parallèlement les hommes sont beaucoup agressés physiquement dans la rue ; il leur est enseigné de ne pas avoir peur et d'affronter ces dangers là.  Ainsi en 2011, 360 000 hommes ont été victimes de violences physiques hors ménage contre 300 000 femmes. On constate que davantage d'hommes que de femmes peuvent être victimes d'une agression physique mais aucun homme n'a jamais été élevé dans la peur ; bien au contraire, on lui demande de l'affronter pour ne pas être "une femmelette". On ne proposera pas à un homme de le raccompagner chez lui par exemple.

Les femmes ont donc affaire à des injonctions fortes où revient en permanence la peur du viol. Cette peur se manifeste par beaucoup de stratégies de la part des femmes afin de pouvoir sortir plus ou moins librement. A été lancé hier le hashtag #safedanslarue par deux femmes qui montre ces stratégies. L'importance du nombre de réactions montre l'importance du problème ; beaucoup de femmes ont peur. Cette étude montre d'autres stratégies employés par des femmes la nuit. Evidemment je ne nie pas que des hommes puissent avoir peur ; en revanche cette peur n'est pas d'origine systémique c'est à dire engendré par un système sexiste qui place les femmes dans une situation de peur permanente et pire.

Nous sommes évidemment tous et toutes responsables de cet état de fait car nous entretenons la peur chez les femmes à coup de conseils paternalistes, d'inquiétudes subtilement distillées, voire de reproches clairs et nets.  Il est donc difficile de soudainement demander aux femmes de ne pas avoir peur alors que la société toute entière les conditionne ; souvenez vous de cette page du ministère de l'intérieur !

On peut espérer, un jour, lorsque la peur du grand méchant gender sera dissipée, qu'on repuisse parler de l'éducation ; qu'il convient de ne pas insuffler de la peur aux femmes par exemple. Pensez donc ; on leur dit d'avoir peur sans leur donner aucun moyen de se défendre puisqu'on inhibe la violence chez les femmes !   On leur dit qu'elles risquent le viol mais dés leur plus jeune âge on leur apprend à ne pas frapper, à ne pas crier, à ne pas être agressive car cela n'est pas joli pour une femme. On les place donc sous la dépendance des hommes, et sous la peur des hommes inconnus. (et quand on se rappelle que le viol est surtout commis par des connaissances c'est d'une ironie cruelle).
En attendant, il va falloir faire avec pour encore un temps et donc accepter que les femmes aient peur, y compris des hommes qui se sentent de parfaits gentlemen.

Il n'est pas possible pour une femme dans la rue de savoir qui vous êtes ; elle ne peut savoir que vous êtes un homme charmant et qu'elle ne risque rien. C'est sans doute peu agréable à entendre mais croyez que c'est encore moins agréable à vivre.
Et on en arrive à la partie compliquée du programme ;  demander aux hommes de changer un peu leurs habitudes, leur façon de parcourir les rues afin que les femmes se sentent moins en insécurité.
J'ai constaté hier à partir du hashtag twitter que beaucoup d'hommes préféraient nier la réalité que la penser vraie ; elle est atroce en effet. Elle l'est encore plus pour les femmes. je suppose que réaliser que vos soeurs, amies, copines, femmes, filles, mères, collègues ont peur vous met mal à l'aise. L'ignorer ne changera pas les choses. Vous comporter en chevalier blanc non plus. Les empêcher de sortir non plus. En revancher, adopter des méthodes - dont on parlera dans un prochain article - sur comment montrer aux femmes qu'elles ne risquent rien face à vous ne vous coûte pas grand chose.

Certains d'entre vous ont dit que je cautionnais "la résignation". C'est bien et drôle quand on pense que vous avez découvert la peur des femmes via un hashtag alors que nombre d'entre elles vivent avec la peur depuis leur naissance. C'est bien et drôle que d'un coup vous montiez sur votre grand destrier blanc pour expliquer aux femmes, puisque vous avez été avisé de leur situation depuis dix minutes, qu'elles ne devaient pas se résigner. Cessez de cautionner tous, collectivement, des situations favorisant la peur des femmes en premier lieu. Les femmes ne sont pas résignées puisqu'elles sortent alors qu'on leur explique, doctement, qu'elles risquent le viol à tous les coins de rue et que ce vil, quasi inéluctable, sera la fin de leur vie. Imaginez vivre 5 minutes avec cette peur là et n'osez plus parler de résignation.

J'ai également compris qu'il vous déplait d'être assimilé à un violeur à un agresseur sexuel, qui dans votre tête doit avoir la bave aux lèvres  et la tête d'Emile Louis alors que vous avez le charmant physique d'un jeune premier. Etre un agresseur sexuel n'est pas visible sur votre visage, et oui dans la rue, vous pouvez passer pour tel. Que vous le vouliez ou non. En tenir compte l'espace d'un instant pour que les femmes se sentent davantage en sécurité ne me parait pas un grand effort à faire.

(comme sus précisé il ne s'agit pas de revenir sur le conseil en lui même dont je reparlerai dans un autre article.)


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