Associer le chamanisme des Cherokees et la chimiothérapie ? C’est le pari réussi du centre de médecine complémentaire de Pittsburgh, un de ces hôpitaux américains où l’on invente aujourd’hui la médecine de demain.
La médecine ? Nous sommes nombreux à ne pas en être satisfaits et à chercher des traitements alternatifs. Hélas, ces méthodes, souvent exercées sous le manteau, attirent patients désespérés et charlatans cupides. Pour contrer cette tendance, une vingtaine d’hôpitaux américains ont décidé de créer des centres de médecine complémentaire. Là, dans un cadre hospitalier » ordinaire « , le patient reçoit des soins inspirés d’anciennes traditions et des récentes découvertes de la psychologie et du développement personnel. Il ne s’agit pas de remplacer chimiothérapie par acupuncture. Yoga, méditation, massage, visualisation, nutrition se pratiquent en complément d’un traitement conventionnel. Lewis Mehl-Madrona, médecin, psychiatre et chaman travaille dans l’un de ces centres où l’on invente aujourd’hui la médecine de demain. Visite guidée.
Enterrer la hache de guerre avec soi-même
Pittsburgh, Pennsylvanie. Quatrième étage de l’un des plus grands hôpitaux américains, le Shadyside Hospital. Les patients qui viennent consulter sortent d’une chimio, souffrent de crises d’asthme ou d’épilepsie, sont maniaco-dépressifs ou autistes. C’est leur médecin traitant qui leur a recommandé le centre. Leur périple commence par le bureau de Beverly Spiro, infirmière et directrice administrative : » Quand un patient arrive ici, la partie “technique” de sa maladie est souvent déjà prise en charge. Ensemble, nous déterminons ce qui demeure déséquilibré dans le reste de son être, avant de lui proposer des traitements adaptés, à la séance ou en cure intensive d’une semaine. «
Chaque jeudi, Lewis Mehl-Madrona anime un groupe ouvert à tous, où il raconte des histoires cherokees sur la guérison, l’acceptation, le courage. Aujourd’hui, il parle de la » guerre » – celle que nous menons contre nous-même – et il propose de faire la » paix » avec ce que nous rejetons, critiquons, haïssons. » Un patient auquel on soigne un organe malade, mais qui répète le même dialogue intérieur et les mêmes comportements – alimentaires, par exemple – a de fortes chances de développer les mêmes symptômes, explique Lewis. Notre mission : l’aider à mettre en place de nouveaux comportements et de nouveaux schémas de pensée, afin qu’il vive différemment une fois guéri. «
Les sept piliers de guérison cherokee
Le centre fonctionne selon sept principes de guérison, inspirés de la tradition amérindienne.
- Passer du temps avec le malade.
« La médecine moderne ne prend plus le temps d’explorer l’influence de l’histoire du malade sur sa maladie », explique David Servan-Schreiber, psychiatre et directeur médical du centre. Pourtant, tout médecin qui y prête attention est forcé de reconnaître la relation entre le corps et l’esprit. - Soigner chacun selon son besoin.
Si cinq diabétiques prennent de l’insuline, cela ne signifie pas qu’ils vivent la même histoire, ni qu’ils doivent entreprendre les mêmes changements pour améliorer leur vie. - Etablir une relation de confiance avec le patient.
Plus le médecin connaît la vie de son patient, plus il pourra l’aider à la rééquilibrer. Les médecins ne sont pas interchangeables, prévient Lewis. La confiance mutuelle ne peut s’installer que dans la durée. » - Offrir une seconde chance au patient.
Au siècle dernier, chez les Cherokees, le malade passait du temps avec le chaman de son village. S’il n’arrivait pas à être soigné, il partait rencontrer le chaman du village voisin. S’il ne guérissait toujours pas, il changeait de nom, d’épouse, d’identité et recommençait à zéro. Traduction de Lewis : « Pour guérir, il faut parfois en passer par un changement radical. - Ouvrir un champ de possibilités.
« Quand un médecin lance à un malade qu’il ne lui reste plus que six mois à vivre, cela n’induit ni confiance ni espoir. Le malade part vaincu. » Le médecin, sans jamais faire de promesse, doit instiller chez son patient la foi en une possible guérison. - Se connecter avec une force qui nous dépasse.
Le médecin doit reconnaître avec humilité que ce n’est pas lui qui soigne. « 70 % de la guérison vient des efforts du patient, 20 % de l’aide de Dieu et 10 % seulement du guérisseur qui fait ce qu’il peut pour attirer l’attention de Dieu », souligne Lewis. Si le patient ne guérit pas, le médecin ne portera donc pas le lourd fardeau de la responsabilité. Et s’il guérit, il ne pourra pas flatter son ego. - Participer à des cérémonies.
Au cours de « sweat lodge » – rituel indien de purification – on demande l’aide de la communauté et des esprits. « Lorsqu’un groupe se réunit avec une intention claire, affirme Lewis, cela crée une énergie qui permet de résoudre des problèmes jusque-là sans solution. »
Andrea se regarde en face
Comment réagissent les patients ? Nous en avons rencontré trois. Leur conclusion : au-delà de la guérison, c’est leur vie même qui a changé.« J’ai toujours couru en tous sens, sans jamais me poser de questions. Comme si j’avais craint de découvrir quelque chose enfoui en moi qui aurait été répugnant. Je refusais de me regarder. » Andrea a eu un cancer de l’œil. Elle porte des lunettes noires qui cachent une cicatrice. « Pour la première fois, j’arrive à passer du temps seule, poursuit-elle. J’apprends à méditer, à m’aimer, à être plus tolérante avec moi-même. »
En plus de sa chimiothérapie, elle fait de la relaxation et de l’imagerie guidée : elle restructure sa perception d’elle-même en se visualisant en pleine santé. Ses tumeurs, qu’elle imagine de plus en plus petites, ont considérablement diminué. « Au premier étage, je reçois les soins techniques ; au quatrième, ceux pour mon âme et mon bien-être. Car je ne suis pas qu’un corps avec des taches sur une radiographie. Depuis que je viens ici, ma vie s’est enrichie, malgré ma maladie. Ou plutôt grâce à elle… »
Sarah respire enfin
» Je me réveille toutes les nuits. Beaucoup de mal à respirer… » Sarah a des crises d’asthme. Surtout depuis la fin de ses études : » Mes plus belles années, dit-elle. Depuis, ma vie a rétréci. » Sarah travaille dans la pub. Un univers compétitif et moins créatif qui l’étouffe. » L’acupuncture m’a permis de relancer mon énergie. Massages et yoga m’ont appris à ouvrir ma cage thoracique pour mieux respirer. En fait, j’ai ouvert la cage dans laquelle je m’étais enfermée et je me suis remise à voler. «
La maman de Palmer ne croit plus au miracle
Palmer a 3 ans. Il ne peut ni parler ni marcher. Son sourire est déformé par de violentes crises d’épilepsie. Sa maman raconte : » Pour entrer en contact avec l’esprit de Palmer, nous avons fait une sweat lodge. Lewis y a reçu l’inspiration de supprimer toutes protéines du régime de mon fils. Ses crises se sont atténuées. » Mais elles n’ont pas disparu. Elle enchaîne : » Au début, je croyais au miracle. Je voulais que Palmer devienne un enfant comme les autres, qu’il joue au ballon, raconte des histoires… Aujourd’hui, j’aime mon fils tel qu’il est. C’est ça, le vrai miracle. J’ai appris à accepter ce qui me dépasse et à faire confiance à la vie malgré ses coups durs. «
Trois questions à…
“Quand je suis aux urgences, je ne brûle pas des feuilles de sauge…” (Dr Lewis Mehl-Madrona)
Directeur des programmes du centre de médecine complémentaire du Shadyside Hospital, à Pittsburgh, il associe technologie moderne et sagesse des anciens.
Pourquoi avoir choisi d’exercer la médecine complémentaire ?
Parce que celle qu’on m’a enseignée à l’université oublie que l’humain est bien plus qu’un ensemble d’organes. Elle se contente de réparer ce qui est cassé. Cela ne suffit pas toujours. La médecine complémentaire envisage l’être dans son intégralité : un corps, des pensées, des émotions, une âme.
Quelle est votre approche de la maladie ?
Celle des médecins de famille d’autrefois. Une maladie est le développement logique de la façon dont le patient vit sa vie. Elle signale toujours un manque d’harmonie, une souffrance – dans la famille, au travail, dans la croyance spirituelle… Tous les patients ont besoin d’un soutien psychologique. Pas question de les envoyer systématiquement chez le psychiatre ! Ce soutien, nous devons l’assurer nous-mêmes.
Vous êtes médecin d’urgence, chaman, psychiatre… Qui consulte-t-on ?
Cela dépend de chacun. Aux urgences, quand je dois fracturer une cage thoracique pour réanimer un patient, je ne brûle pas des feuilles de sauge. Une fois le patient hors de danger, je passe du temps avec lui. J’écoute mon intuition, je suis attentif à son histoire. Je le laisse me guider. Que se passait-il dans sa vie avant cette maladie ? Quel service celle-ci lui rend-elle ? Tous les médecins devraient lire le roman que leurs patients écrivent.
L’avis du médecin
Professeur Jean-Paul Escande : “La France reste trop rigide”
Que pense un médecin français de l’initiative américaine ? Convaincu de son sérieux et de son efficacité, le professeur Escande, chef du service de dermato-vénéréologie de l’hôpital Tarnier, à Paris, déplore l’attitude conservatrice de la France.
» Il y a plusieurs années, j’ai rédigé un livre intitulé “Mirages de la médecine” (Albin Michel, 1987. Dernier ouvrage paru : “Médecin relève-toi”, Albin Michel, 1998). J’y soulignais le rôle important que tiennent dorénavant les médecines alternatives. Mais j’insistais surtout sur le fait que si ces médecines représentaient seulement un recours efficace dispensant de s’intéresser à la totalité du patient, on ne ferait que changer de mirages…
Je repensais à cette définition de la santé – la capacité que l’on trouve en soi de réaliser ce que l’on a envie d’entreprendre – et je commençais à forger ce concept : la médecine, c’est l’art de transformer la rencontre médecin-malade en un acte social complet. C’est dire si je jugeais pleines d’intérêt les tentatives sérieuses – ce mot est capital – qui consistent à trouver un complément à la médecine conventionnelle. La “médecine complémentaire” : voilà l’expression qu’il fallait inventer. Des médecines nécessairement diverses pour répondre à une diversité de situations, et s’exerçant dans le cadre de pratiques scrupuleusement honnêtes. Mais, hélas ! je ne vois pas, en France, l’Institution universitaire entreprendre une quelconque démarche pour essayer de progresser dans cette voie. Rigide et fière de l’être, elle se mure derrière les fortifications de son château de fer.
Après la sortie de mon livre, un des grands maîtres de l’Institution m‘avait dit : “Ce sont des problèmes dont vous et moi pouvons parler tranquillement, mais qu’il vaut mieux ne pas mettre sur la place publique… » Je pense exactement le contraire. Serons-nous bientôt nombreux à faire triompher cet avis ? Espérons-le. »
Sophie Chiche
Source : Psychologies
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