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[note de lecture] Cédric Le Penven, "Sur un poème de Thierry Metz", par Yann Miralles

Par Florence Trocmé

Un merci à Thierry Metz – de Cédric Le Penven 
 
 
 
je te dis 
merci 
 

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Ces deux vers qui closent Sur un poème de Thierry Metz, de Cédric Le Penven, par leur brièveté et leur simplicité, par la rime, aussi, qui les fait discrètement résonner, affirment ce qu'auront été les quelques quarante pages de ce livre : l'aveu que le poème, ici (que tout poème peut-être), est « une poignée de main » (Paul Celan), une main tendue vers l'autre, et en somme la reconnaissance d'une dette, une manière d'action de grâces.  


Ceci n'est guère surprenant, pour un ouvrage qui s'inscrit dans la collection « Sur un poème de », aux éditions Jacques Brémond. Une collection dans laquelle Thierry Metz avait précisément publié, il y a vingt ans de cela, un texte intitulé Sur un poème de Paul Celan
C'est que, ici comme là, le poème s'écrit toujours avec et contre les mots des autres, la rumeur du monde, et surtout la masse immense des poèmes déjà écrits. Pour Cédric Le Penven, il s'agit donc d'écrire avec, mais aussi contre (on pourrait dire : tout contre) un poème extrait de Dolmen ; c'est avec lui que « le rendez-vous est pris » (p. 13). Mais ce n'est pas tout, « la conquête de ce qui nous rassemble » (p. 13 aussi) ne se joue pas qu'entre les mots de deux auteurs, entre deux textes ; elle se montre aussi dans la circulation entre les mots du poète et les peintures de Jean-Gilles Badaire, puisque celles-ci ouvrent et ponctuent le texte. C'est une rencontre à trois, où les mots de l'un rejoignent les mots de l'autre ; où les images de l'un résonnent dans les mots des autres, et vice versa. 
 
Cette résonance, elle est bien sûr thématique. Le « le dolmen » et la « moraine » de Thierry Metz se retrouvent dans le « mortier gravas et bris de cœur » (p. 9), « l'appartenance à la pierre » (p. 33) ou « les cloisons abattues » (p. 39) de Cédric Le Penven. Le « dormeur qui danse » de l'un est un motif récurrent du poème de l'autre. Et la menace qui sourd discrètement des vers de l'auteur de Journal d'un manœuvre (avec « toucher ta nuque » ou la « querelle d'élagueurs ») s'expose plus nettement dans des mots tels que « le fil du rasoir […] nous menace » (p. 27), « il suffirait d'un geste pour lui briser la nuque » (p. 29), « un sang chaud rouge sang » (p. 37), ou dans « la peur de mourir » (p. 39). Plus encore, le point nodal entre les deux démarches d'écriture est bien la question du rapport entre le travail manuel et le travail poétique. Thierry Metz, comme le titre de son « journal » l'indique, fut quelqu'un qui connut le labeur des chantiers. Comment ne pas voir, ainsi, dans nombre d'évocations du « manœuvre » chez Le Penven, à la fois une référence – un hommage – à une telle activité, et également une volonté de resserrer le lien entre écrire et vivre ? Oui, les vers aussi seraient « des planches à lier » (p. 11), « les poings liés à l'embrasure d'une porte », les pages « les dalles à nettoyer », qui nécessitent «  des encres à mêler au fond d'un seau », les mots « les outils à aiguiser / pour trancher net » dans le stock anonyme du langage ; et le poème serait enfin un « espace à noircir / d'un regard »« le torse nu où ciseler une signature rouge vif » (voir p. 11, p. 13, p. 29). 
 
Mais la résonance entre les deux poèmes, plus simplement et plus fondamentalement, passe dans chaque mot et dans chaque syllabe. C'est ainsi que de nombreuses pages de Cédric Le Penven commencent par des vers de Thierry Metz, qui ne sont pas là simples citations, mais font partie intégrante du poème et le relancent sans cesse. Aussi le premier peut-il affirmer :  « Au départ / c'est souvent avec tes mots limpides familiers » (p. 15) ; et même : « la moraine / ce mot que je découvre dans ton poème / il est la preuve adéquate / la couleuvre qui s'enroule autour de ma langue » (p. 31), « Je te suis et j'écoute / les pulsations de ce cœur » (p. 37) – la pulsation du poème, pourrait-on dire ! 
Au fond, l'aveu premier de ce livre (« Je tourne autour de ton nom », p. 9), le laissait entendre. Le patronyme Metz, disséminé, ne cesse de faire retour et résonner. Du « manœuvre », qui ouvre le poème et dont il est si souvent question, au « merci » final, quelque chose, relancé par les structures répétitives de tel ou tel passage (le « Celui » de la p. 29, le « Plutôt » p. 31 et surtout le « Pour » p. 39), se dirait ainsi de ce que l'un doit à l'autre...Une dette visible et audible dans la discrétion d'un langage sien.  
 
On comprend alors pourquoi le motif du repas est si important pour Thierry Metz comme pour Cédric Le Penven. « [S]on désir de m'emmener […] / autour d'une même table / où laisser reposer nos bras lourds / et partager la joie d'être parvenus jusque là » (p. 35), « tes gestes précis autour de la table » (p. 39) : ces mots répondent au « [T]oi tu as placé douze aimants / autour de la table » de Dolmen, et montrent que le poème est avant tout fait de dons et d'échange, une Cène modeste où étancher peut-être « une soif lancinante (p. 11), en tout cas un lieu et un temps où se nourrir, et où, surtout, un dialogue peut s'établir. Avec et contre, disions-nous : le dialogue dont il est question ici se fait avec et contre les contemporains, avec et contre ceux qui précèdent. 
Le poète le dit bien, parlant encore de sa relation aux « paroles d'homme de parole » (p. 39) de Thierry Metz : 
    
   On marche l'un près de l'autre 
   rassurés par nos présences 
   […] 
 
   On marche bras dessus bras dessous 
                                       entre rouilles cadavres de chats de bouteilles

 
avant de reconnaître, conscient qu'il écrit lui-même avec et contre ceux qui viendront : 
    
   ceux qui emprunteront nos enfances 
   poseront leurs pas sur nos pas (p. 11). 
 
 
 [Yann Miralles]

Cédric Le Penven, Sur un poème de Thierry Metz,  Jacques Brémond. 20 €. 
 


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