Le Tousàpoilgate

Par Clementinebeauvais @blueclementine

un pays où il fait mieux bon vivre

 Au début, comme tout le monde, j'ai rigolé. La scène de Jean-François Copé fustigeant Tous à poil semble tirée tout droit des archives de Groland - je m'attendais à ce que Jules-Edouard Moustique passe ensuite le micro à Mickael Kael.
Au début donc c'était pas grave, c'était juste ridicule.
Jusqu'à ce que les Fransouches qui suivent Copé s'en mêlent et décident que oui, il faut vraiment censurer, bannir et interdire les livres "comme ça" à cause du "danger" qu'ils posent à "nos enfants".
Merde quoi, pour une fois qu'on parle de la littérature jeunesse dans les médias généralistes, c'est pour l'utiliser comme arme contre le gouvernement Hollande, et contre nous, les auteurs, illustrateurs et éditeurs, et les libraires, bibliothécaires et enseignants qui vont devoir maintenant réfléchir à huit fois avant de conseiller des bouquins à des gamins (jeu dangereux s'il en est).
(Et ça met aussi en danger de hausse non régulée de tension artérielle les chercheurs et les lecteurs professionnels, parce que c'est effroyablement agaçant d'avoir à écouter des ignares parler d'un truc que tu étudies jour et nuit depuis des années).
Juste quelques remarques, certaines évidentes:
  • Copé n'a aucune idée de ce que veut dire le mot 'idéologie' (ou plutôt, il le sait très bien, mais fait genre que non)

Dieu, s'Il existait, l'aurait Copé au montage

Jean-François Copé, qui est à ce jour la preuve la plus tangible que nous ayons de la non-existence de Dieu, est censé être quelqu'un d'un petit peu compétent et qui s'y connaisse un minimum en sciences politiques et en sociologie.
Sauf qu'il est capable de sortir des trucs comme: "Ce gouvernement a une idéologie", ou "Ce livre a une idéologie" comme si c'était une grande révélation.
Jean-François je t'annonce qu'il n'y a pas d'espace hors de l'idéologie. Evidemment il le sait très bien car le monsieur est allé à Sciences Po et à l'ENA comme tout le monde (dans ce monde-là), et ça m'étonnerait qu'il n'ait jamais eu de cours de théorie critique durant ces longues années. Il fait donc exprès de ne pas le savoir, c'est donc bien sûr par malveillance et populisme qu'il "tombe dans le piège" de dire: "idéologie = méchant", et "oui, il existe une manière neutre d'élever nos enfants".
Le gouvernement a une idéologie, oui. Oui la littérature jeunesse est idéologique. Toute la littérature jeunesse est idéologique. Il n'y a pas de neutralité, il n'y a jamais qu'une semblance de neutralité qui s'appelle l'idéologie dominante. J'en ai parlé ici.
En termes sartriens, il y a la littérature engagée et la littérature embarquée. La littérature engagée assume son idéologie, la littérature embarquée ne l'assume pas. La première est activement idéologique, la second passivement idéologique. Point à la ligne.
  • Copé le pauvre chou s'érige en victime et en leader de l'anti-système alors qu'il est en réalité coupable, et complètement dans le système.
Copé fait partie de ces gens qui sérieusement voudraient s'opposer à ce que certains livres soient présents dans les écoles et les bibliothèques. Pourquoi? Pour combattre le 'système'.
Bon, mais les livres qu'il attaque sont évidemment les 1% de la production totale de livres jeunesse qui sort un peu de la norme et présente des alternatives à la société patriarcale, hétéronormative, classiste et raciste dans laquelle on vit.
Oui, car on vit dans une société où la vaste majorité de la production culturelle pour les enfants, y compris les jouets et les jeux, perpétue l'idéologie dominante, c'est-à-dire celle de Copé et de ses copains.
Si Copé 'voit' de 'l'idéologie' dans ces livres jeunesse, c'est parce que les valeurs qu'ils diffusent ne sont pas transparentes, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas les valeurs de l'idéologie dominante, c'est-à-dire la sienne. Donc ces livres sont transgressifs et non pas en conformité avec le 'système'. C'est bien entendu Copé qui est conforme.
Ah, et puis 'Nos enfants', ces chers petits choux fragiles. Copé et ses copains n'ont que ces deux mots-là à la bouche, parce qu'il savent très bien que pour émouvoir les foules il faut parler des enfants, de 'nos enfants', c'est inter-espèces d'ailleurs, on émeut aussi quand on parle de girafons qu'on euthanasie et de chatons jetés contre les murs. Nous, les auteurs jeunesse engagés, on est soudain les Farid de la Morlette de l'éducation à la française.
'Nous les auteurs jeunesse engagés', on tiendrait tous confortablement dans l'antichambre de son bureau au siège de l'UMP, vu combien on est. A l'entendre, on dirait qu'on est des milliers.
Moi 'mes enfants' ça va, merci, je les sens pas trop en 'danger' dans la définition copéiste du terme. Parce que si jamais j'en ai un jour, j'ai totale confiance qu'ils naîtront dans une société où on en sera encore à remettre en question l'avortement comme ça de manière anodine, à perpétuer des stéréotypes de genre, de classe, de race et d'orientation sexuelle, parce qu'au train où vont les choses on ne dirait pas que ça soit près de changer. OUF ALORS.
  • Copé a porté atteinte à notre travail et à l'édition française pour la jeunesse.

Copé, qui a découvert la littérature jeunesse contemporaine avant-hier, a en quelques secondes soigneusement détruit symboliquement le travail de centaines de personnes qui lisent, écrivent, analysent ou publient des livres pour enfants de qualité, qui vivent de ça et qui vivent pour ça.
On a la chance énorme en France d'avoir une littérature jeunesse de haute qualité et extrêmement variée. On peut parler de tout et publier des livres de qualité. On a des maisons d'édition anciennes et des nouvelles, des maisons engagées, des éditeurs comme le Rouergue, Sarbacane, Talents Hauts, Rue du Monde qui n'ont pas peur d'assumer leurs choix esthétiques et politiques. On en a d'autres qui vont pêcher les meilleures productions mondiales et les traduire pour 'nos enfants'.
On a la chance d'avoir un gouvernement qui semble ouvert à la possibilité de promouvoir ces livres, qui est prêt à les défendre. On a la chance d'avoir un ministre de l'Education Nationale et une ministre des Droits des Femmes qui croient en la littérature jeunesse pour changer les choses, même un tout petit peu, même par stratégie politique.
On a la chance d'avoir une littérature jeunesse qui ne se tient pas tranquille, et qui n'est pas seulement là pour faire du business.
Jean-François, sérieux, viens cinq secondes chez moi à Cambridge faire le tour d'une librairie jeunesse et tu verras ce que c'est qu'une littérature idéologiquement homogène, lisse, inoffensive, qui respecte le système, qui 'se vend bien'. J'adore les Angliches, mais pour rien au monde je ne voudrais que la littérature jeunesse française prenne la suite de l'édition anglo-saxonne.
  • Copé n'y comprend toujours rien aux revendications féministes
Copé, qui n'a apparemment aucune notion de sociologie ou de théorie politique même basique, se croit capable "d'informer" le grand public sur les "dangers" d'une "théorie du genre" qui n'existe que dans les fantasmes (peuplés d'images de masturbation infantile et de pédophilie, il faut le rappeler) de groupuscules qui ne feront jamais l'effort d'ouvrir un livre de Beauvoir, de Butler ou de Greer pour savoir de quoi il retourne.
... là j'ai plus la force d'expliquer. Marre. Et puis il faut que j'y aille.
(C'est assez relou, quand on vit à la fois pour la littérature jeunesse et pour le féminisme radical, de se retrouver comme ça pile à l'intersection des deux sujets que cet homme a choisis pour étaler sa fausse ignorance.)
Bon, quand même avant de finir, je vais citer d'autres personnes sur le sujet:
"Tant que certains de nos dirigeants ne se formeront pas sérieusement et avec intérêt à ces domaines que sont l’enseignement, l’enfance, et ne liront pas enfin les études passionnantes sur le genre qui prouvent bien qu’aucune théorie dans le domaine n’existe, qu’aucune application dans le réel n’existe – ce sont seulement des réflexions sur comment les gens vivent – tant que cet effort ne sera pas fait, en face ils seront très forts, appliqués à tourner en inculture leur très grande culture, à placer des oeillères très opaques sur le front des gens, à construire des forteresses autour de l’esprit des enfants, dans le seul but de rallier une majorité à leur cause élective." 
  • Citer Gaël Aymon: 

"Les auteurs qui œuvrent pour plus d’égalité entre filles et garçons ne sont pas ceux qui font entrer la pornographie ou la pédophilie dans les lectures ou l’éducation des enfants. Au contraire. Ce sont ceux qui les séparent en deux groupes distincts, et leur imposent les codes de séduction des adultes, qui les sexualisent. Ce qui est scandaleux."

"Chaque fois qu'une personne parle de ce qu'elle ne connaît pas,
elle se ridiculise. Chaque fois qu'une personne politique parle
de ce qu'elle ne connait pas, elle se ridiculise, et elle fait du mal,
bêtement, à la politique et sciemment à ce qu'elle vise.
Dire qu'un livre pour enfant est nul parce qu'il n'y a pas
beaucoup de texte c'est dire que la Joconde est sans intérêt
puisqu'elle est sans texte, et que «Mein Kampf» (Mon combat),
le livre de Hitler, est génial, puisqu'il est plein de mots
et sans dessin. C'est être bête et se ridiculiser."

"Perso, j'ai écrit La Princesse qui n'aimait pas les princes pour ouvrir le dialogue, entre gens qui ont envie de s'écouter, de se comprendre. Pour se taper dessus, je conseille plutôt l'annuaire téléphonique. Bien épais et imprimé avec l'argent public, ce serait bête de se gêner."

"De tous temps, les dictatures et les régimes les plus autoritaires ont commencé par s’attaquer aux livres, par les accuser, les expurger, puis les brûler. Le fait que des individus, anonymes ou responsables politiques, puissent s’engager sur ce chemin qui les éloigne de la démocratie ne peut être considéré comme anodin. "
Et puis finir plus légèrement avec des personnages de littérature jeunesse tous à poil, juste pour emmerder Jean-François Copé. 

à poil Fifi Brindacier et Harry Potter,


à poil le Petit Nicolas,


à poil le Petit Prince,

Et puis à poil le héros et l'héroïne de cette fable transgressive où les petites grosses finissent par gagner et les chauds lapins sans cervelle finissent par perdre.