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Humanisme…

Publié le 12 février 2014 par Philippe Thomas

Poésie du samedi, 65 (nouvelle série)

De l’humanisme au sens philosophique, il ne sera pas vraiment question dans ce poème dont c’est pourtant le titre.  L’humanisme selon Charles Astruc est plutôt un bon mot de poète pour stigmatiser ironiquement l’empreinte de l’être humain et de ses inventions sur le cosmos. Presque de l’humanisme écolo bien avant que l’écologie soit à la mode (le recueil fut publié en 1965).

Quoi qu’il en soit, ce dont est porteur le mot même d’humanisme est plus que jamais d’actualité, d’abord parce que l’homme dans son rapport à la nature semble ne pas être conscient qu’il est souvent en train de scier la branche sur laquelle il est assis. Ensuite parce que trop d’idéologues réactionnaires prospèrent actuellement, arc-boutés sur des prétextes dogmatiques de sinistre mémoire. Mettre au pas leurs frères humains et faire la peau au vieil humanisme, voilà le rêve des tartarins sécuritaires en quête de boucs émissaires commodes pour affirmer leur misérable volonté de puissance…

Qu’il soit tout de même permis de rire des progrès de l’humanité en marche, et de ce « temps de la profanation » qui est le nôtre. Profanation de l’identité de l’homme ? Mais cette identité est-elle sacrée a priori, au nom d’un ordre immuable, ou bien n’est-elle pas plutôt à construire sans relâche, dans les conditions qui sont celles de notre temps et non dans la fiction du retour à un modèle perdu ? Sans doute avons-nous progressé matériellement mais avons-nous progressé autant en humanité ? Vieux débat, certes, mais de plus en plus aigu et pesant. Pour se libérer et continuer de vivre avec un minimum de sérénité, l’homme ne doit donc pas avoir peur de rire de lui-même et de son envahissante humanitude. L’autodérision est ainsi un bon remède pour empêcher le progrès de la peur, car s’il ne restait plus que la seule échappatoire proposée à la fin du poème, alors il serait à craindre que c’en soit déjà fini de ces choses fragiles que sont l’homme et l’humanité de l’homme…

Mais lisez plutôt Astruc :

Humanisme

Tous les esclaves de métal en plein effort

Sifflent, grincent, fument, raclent, rugissent, mordent.

C'est la fête de l'homme,

Une fête du Temps de la Profanation.

Progrès et progression,

Processions de chenilles.

Les criquets pèlerins, fabricants de déserts,

Mal outillés, ne vont plus assez vite.

Où poussait le rosier, nous étendons l'asphalte :

Pour que le char avance il faut de larges routes,

Et nous raserons de près la forêt.

Il se peut qu'on bouscule une ou deux cathédrales

- Vestiges bien désuets

Quand les téléphériques de l'Annapurna

Vont mesurer demain la hauteur de notre idéal.

La mer n'est  plus qu'une fille soumise,

Et son ventre facile est ouvert à nous tous.

Mais surtout, plus haut que l'aigle royal,

Plus loin que les grands albatros,

Nous hantons l'air lui-même, et le souillons

A notre guise

Par des tours de très curieuse pyrotechnie.

Car nous vivons le temps de la profanation.

Oui, nous sommes chez nous,

Descendants dédaigneux du grand-père dans sa caverne

De Cro-Magnon,

Avec son armement à faire sourire un boy-scout,

Avec déjà, pourtant, ce patrimoine

De frayeur quotidienne et de besoins atroces.

Comme lui nous tuons pour vivre,

Mais c'est de plus de conséquence.

Oui, la terre sent l'homme,

C'est-à-dire le caoutchouc et le pétrole,

Et les irrésistibles poussières qui tuent.

Il va venir, le Temps de la Suffocation,

Et nous ne saurons plus ouvrir une fenêtre.

Alors, -  ô terreurs enfantines de l'ancêtre ! -

Du progrès de la peur jaillira la prière,

Comme une fleur étrange et longtemps oubliée.

Suprême cri du Temps de la Dévastation,

Elle conjurera la terrible Pitié,

N'espérant plus qu'un abrègement de la peine,

L'aumône d'un coup de talon

Dans cette fourmilière.

Charles Astruc (1916 – 2011), Les Moissons de la ferveur, Paris, éditions Points et contrepoints, 1965.

Il semble bien que Charles Astruc ait été conservateur à la Bibliothèque nationale, spécialiste des manuscrits grecs anciens et byzantins. Et poète, donc… mais je n’ai pas trouvé beaucoup d’informations sur lui ni en particulier pu établir un lien avec le cinéaste Alexandre Astruc…


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