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MEDIAS > "Libération" : la déroute d’un journal devenu domestique

Publié le 13 février 2014 par Fab @fabrice_gil
Engagé dans une lutte pour sa survie, le journal Libération devrait se transformer radicalement en un réseau social. Une question de fond demeure : que s’est-il passé-t-il au sein de la rédaction ?
Le 7 février dernier les actionnaires de Libération -Bruno Ledoux, Edouard de Rothschild et le groupe italien Ersel- ont annoncé dans un communiqué aussi sec que ramassé, la faillite du quotidien Libération (ventes en chute libre : baisse de 15 % sur les onze premiers mois de 2013, moins de 100.000 ex. vendus, le pire chiffre depuis quinze ans, plus d’un million d’euros de perte en l’espace de quelques mois malgré des subventions étatiques très généreuses). Le journal devrait devenir « un réseau social, créateur de contenus monétisables sur une large palette de supports multimédias (print, vidéo, TV, digital, forums, évènements, radio, etc.) » Les actionnaires estiment également que le déménagement du journal est “inéluctable” et réfléchissent déjà sur la transformation des 4 500 m2 du siège, situé rue Béranger à Paris, en "un espace culturel et de conférence comportant un plateau télé, un studio radio, une newsroom digitale, un restaurant, un bar, un incubateur de start-up". Ce "lieu d’échange ouvert et accessible à tous, journalistes, artistes, écrivains, philosophes, politiques, designers" serait "entièrement dédié à Libération et à son univers" dans l’esprit d’un "Flore du XXIe siècle, carrefour de toutes les tendances politiques, économiques, ou culturelles" en misant sur "la puissance de la marque Libération" écrivent les actionnaires qui ne précisent pas le sort exact réservé à la rédaction, craignant des charrettes de licenciements. Cette décision des associés a évidemment provoqué la colère des rédacteurs qui, dans l’édition de Libé du 8 février dernier, ont répliqué en titrant sur toute la largeur de la une : "Nous sommes un journal, pas un restaurant, pas un réseau social, pas un espace culturel, pas un plateau télé, pas un bar, pas un incubateur de start-up..." Dans l’éditorial adressé à leurs lecteurs, les rédacteurs dénoncent également "le projet des actionnaires […] qui a provoqué la stupéfaction puis la colère de l’équipe, tant il est éloigné de [leur] métier et de [leurs] valeurs (sic)". "Il n’offre aucune perspective d’avenir sérieuse au journal que vous tenez entre les mains. S’il était appliqué, Libération se verrait ramené à une simple marque. Les semaines qui viennent s’annoncent difficiles, mais nous restons unis et déterminés [...] Depuis qu’on discute avec François Moulias [membre du directoire du journal], qui fait office de négociateur, il n’a jamais été question d’un plan pareil ! On s’est fait avoir !", a également affirmé Tonino Serafini, délégué SUD.
Que le plan proposé par les actionnaires montre un grand mépris à l’égard du métier de journaliste, cela ne fait aucun doute. Mais à qui la faute si les lecteurs sont de moins en moins nombreux à acheter Libération et plus généralement à lire la grande presse. Après tout, on ne fait pas la queue devant un cinéma qui projette des films débiles (quoi que), non plus devant une boulangerie qui fabrique du mauvais pain, encore moins d’un journal qui traitent des mêmes infos que les autres, la même opinion, les mêmes mots, les mêmes analyses. Et on nous rabat les oreilles en parlant sans cesse du pluralisme de la presse et de l’information ? Jamais les journalistes n’ont été aussi conformistes, aussi pleutres, aussi interchangeables que de nos jours ! Formatés par les écoles qui reproduisent à la pelle des gens politiquement corrects, les jeunes rédacteurs sont incapables d’esprit critique, d’insolence, d’irrévérence, d’impertinence envers les dogmes et les tabous du jour. Le propre d’un journaliste n’est-il pas de s’attaquer, parfois cruellement, aux évènements du monde?
Historiquement, les journalistes ont toujours été à la fois les principaux cueilleurs, les premiers trieurs, les meilleurs synthétiseurs et les plus grands diffuseurs de l’information destinée au public. Un rôle démocratique fondamental et traditionnel (n’en déplaise à certains) qui perd malheureusement de son exclusivité. Certes, l'opinion aura toujours sa place, mais elle existe déjà comme une catégorie d'expression publique manipulée. Alors que faire ? Revenir aux fondamentaux de notre métier : participer à une large conversation démocratique par l'information, une analyse franche et fouillée, un commentaire clair, et surtout alimenter le débat et la polémique avec légitimité, crédibilité et surtout honnêteté. Des fondamentaux qui influenceraient à nouveau nos démarches professionnelles respectives, constituant ainsi une solide garantie journalistique eu égard au droit du public à une information saine et de qualité.FG

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