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Le paradoxe de la domestication

Publié le 17 novembre 2013 par Valentine D. @sciencecomptoir

Voilà qu’en pleine période d’intenses révisions (autrement dit de procrastination sévère), mon regard morne s’est porté sur une pie qui imitait maladroitement la chorégraphie de Thriller sur un toit de voiture. Je me suis alors souvenue qu’il y a fort fort longtemps, j’avais eu une folle envie de domestiquer une pie (il paraît que ces animaux ont de grandes capacités cognitives). Qui n’a jamais tenté d’élever en captivité des fourmis, des têtards, des sauterelles, des poissons, des oiseaux peut-être ? Et irrémédiablement, la même fin tragique attendait toutes ces bêtes innocentes. Malgré le poids de leur mort sur notre conscience, malgré le fait de les avoir vus malheureux dans leur prison et séparés de leurs congénères, nous nous empressons de réitérer l’expérience. Encore aujourd’hui, j’héberge des poissons que j’ai été pêcher dans une rivière. Chaque fois que mes nouveaux camarades meurent, je me fustige et me promets de ne plus jamais arracher des âmes innocentes à leur milieu de vie. Mais au bout d’un moment la tentation est trop forte, et c’est rebelote. Si j’avais tenu une liste du nombre d’organismes que j’ai pu condamner à une mort certaine, je ne sais pas si je serais encore capable de me regarder dans un miroir. Alors à quoi bon reproduire sans cesse le même schéma, pourquoi nous obstinons-nous à programmer la mort d’animaux choisis au hasard ?

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Je dirais qu’il faut d’abord une étincelle : voir des oiseaux en plein vol nous communique un sentiment de liberté. Je pense que notre désir de les capturer traduit probablement une volonté de s’approprier ces émotions (affreusement anthropomorphiques soit dit en passant, je ne pense pas que l’hirondelle en plein vol ne se dise « ouiiiii je suis libre, regardez-moi comme j’ai l’air épanouie »).

C’est là que j’en arrive à ce paradoxe de la domestication : en souhaitant nous approprier ces sentiments de grandeur et d’indépendance, nous réduisons la folle créature fougueuse en une espèce de machin recroquevillé qui n’a plus rien de fougueux et qui dégage une odeur nauséabonde au bout de quelques semaines. Question grandeur, peut mieux faire.

Autre explication, nous jouons à Dieu et nous nous persuadons que ces bestioles seraient plus heureuses avec nous plutôt que dans leur milieu de vie hostile où il faut dépenser des calories pour trouver sa nourriture. En réalité ce type de relation s’apparente au parasitisme : bénéfique pour nous car nous nous sentons moins seuls, mais néfaste pour la pauvre bête sans défense qui n’a rien demandé. Ou bien la capture de ces innocents n’a d’autre intérêt que la mise en réserve de nourriture pour la Troisième Guerre Mondiale (dans ces conditions, je préconise de capturer des sangliers plutôt que des fourmis, parole d’Obélix).

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Il y a aussi l’approche scientifique : comme une sorte d’expérimentation, le maintien d’un animal sauvage en captivité est un vrai défi qui permet d’appréhender ses besoins et ses poisons, d’inventorier tous les éléments de l’écosystème nécessaires à sa survie ; l’aquariophilie m’a par exemple appris de manière empirique l’importance de l’équilibre bactérien dans le cycle de l’azote. En trépassant face à cet ennemi invisible, mes poissons ont acquis la digne épitaphe « morts pour la Science ».

Si cette envie de capturer le sauvage est commune à tous les humains depuis leur plus jeune âge, alors elle doit avoir une origine évolutive et peut-être même un intérêt du temps de nos Anciens : ce réflexe pourrait-il être un reliquat de notre instinct de chasseurs cueilleurs ? Quoi qu’il en soit, cette perversion va de plus en plus loin : de nos jours on fabrique même des animaux « de compagnie » qui survivent dans des conditions contre nature, et on a inscrit dans leur génome qu’ils devraient se sentir heureux entre quatre murs ou vêtus d’un costume pour Halloween !

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