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Les carottes, archives de l’environnement passé

Publié le 30 juin 2013 par Valentine D. @sciencecomptoir

carott3eLes carottes de sédiments sont de véritables livres ouverts pour peu qu’on en connaisse le langage. D’ici quelques minutes, si une carotte croise votre chemin, vous saurez vous aussi en tirer toutes les merveilles qu’elle contient !

Stockées non pas dans des bibliothèques mais dans des carothèques, les carottes se lisent différemment selon le matériau dans lequel elles ont été prélevées. On ne lit pas de la même manière un roman policier, le programme télé ou la Critique de la raison pure…

Sédiments lacustres : les varves

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« Varves » : avec un si joli nom, ces sédiments de lacs proglaciaires se doivent d’être remarquables ! On y retrouve des alternances régulières de couches claires et sombres, dont chaque paire représente une année, ni plus ni moins.

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à droite : varves déposées dans Canoe Brook, Dummerston, dans le Vermont (Etats-Unis) (crédit photo)

En hiver, le lac est généralement couvert de glace : la couche de sédiments foncée se formera dans un milieu dépourvu d’oxygène (anoxique). En été, des tas de particules viennent se déposer sur la surface du lac puis précipitent au fond, conférant à la strate estivale une couleur claire. Parmi les particules emprisonnées dans le sédiment figurent en grandes quantités des poussières et du pollen, à partir duquel on peut retrouver les espèces végétales présentes à une époque donnée. Une telle démarche permet de reconstituer le climat passé (Plus de 13 000 ans en arrière) ou encore de dater des grandes perturbations comme les incendies, ces événements entraînant des successions de végétation particulières.

Sédiments de lit de rivière

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Une loi assez intuitive dit que plus le débit d’un cours d’eau est important, plus il pourra transporter de grosses particules (voir diagramme de Hjuström).

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Si on analyse la taille des particules qu’elle contient, une carotte de sédiments de rivière indiquera le débit passé du cours d’eau et ses périodes de crues (qu’on peut dater au 14C sur les débris organiques, comme du bois ou du charbon). De telles informations ont notamment permis d’expliquer les déplacements de campements gallo-romains installés sur les rives du Rhin, ou encore le naufrage d’un bateau romain dans le Rhône. Les géomorphologues qui réalisent ce genre d’études ont bien du mérite : à l’ouverture, les carottes encore dégoulinantes (obligatoirement « dans leur jus » pour conserver la structure du sédiment) dégagent une forte odeur qui fait un peu penser à du goudron liquide…

ci-dessus : portion d’une carotte sédimentaire. On peut y lire qu’une période de calme relatif a été suivie par une période où le débit a brusquement augmenté (limon en bas puis sable en haut)

Carottes de glace

Ces carottes-là permettent de reconstituer le climat passé (jusqu’à 800 000 ans pour la plus grande carotte jamais prélevée !). Changement d’échelle pour l’interprétation.

On appelle « isotopes » des atomes dont les noyaux ont la même charge (même nombre de protons) mais un nombre de neutrons différent. Par exemple, le 12C de tous les jours (le plus abondant sur Terre) a deux isotopes « lourds », le 13C et le fameux 14C. Nos carottes de glace font intervenir deux isotopes de l’oxygène : 16O le plus abondant, et 18O assez rare (qui possèdent tous les deux 8 protons, et respectivement 8 ou 10 neutrons). Ces deux frères atomiques ont les mêmes bandes de copains, c’est-à-dire qu’ils sont engagés dans les mêmes molécules. Ici justement, leurs copains sont des hydrogènes : les voilà devenus H2O. Malgré leurs similitudes, l’isotope lourd 18O (légèrement enrobé, pardon) aura un comportement différent de son frangin 16O svelte et athlétique.

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Ces deux isotopes sont engagés dans un circuit de l’eau : au niveau de l’équateur, ils passent de l’océan à l’atmosphère par évaporation, puis sont transportés par les courants atmosphériques jusqu’aux pôles où ils précipitent en neige et sont stockés sous forme de glace. Comme ce cycle et le fractionnement isotopique de l’oxygène (proportions relatives du 18O et du 16O) varient légèrement selon la température, les mesures de ces isotopes dans la glace vont pouvoir être utilisées comme thermomètre du passé : plus il a fait chaud et plus il y aura de 18O dans les glaces. Les températures ainsi reconstituées sont ensuite datées grâce aux bulles d’air emprisonnées dans la glace. C’est donc en mesurant ces variations de proportions isotopiques que les paléoclimatologues parviennent à avoir une idée précise du climat passé, et de la composition en gaz de l’atmosphère avant l’époque actuelle.

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Extraction d’une carotte de glace. Des ingénieurs marseillais sont actuellement en train de mettre au point un verre à Pastis dont les dimensions permettraient d’accueillir ce glaçon de premier choix (crédit photo)

Et voilà, maintenant vous savez que les carottes ne sont pas uniquement pleines de vitamines, elles permettent aussi de retracer le débit d’un cours d’eau, les types de végétation autour d’un lac, le climat ou encore la composition de l’atmosphère sur plusieurs millénaires !

Si vous avez aimé cet article, vous aimerez peut-être ceux sur la Géologie vue par la cuisine, les Manchots gagnants face au réchauffement climatique ou bien le coup de main des éléphants de mer aux climatologues.

Sources :

Vostok, célèbre site de carottage en Antarctique : http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosclim1/rechfran/4theme/paleo/vostok.html

Delta 18O : http://tristan.ferroir.free.fr/index.php/2012/01/18/ce-quil-faut-comprendre-et-retenir-du-delta-18-o-en-tant-quindicateur-paleoclimatique/ et http://planet-terre.ens-lyon.fr/article/temperature-des-glaces.xml et https://sites.google.com/site/bantegnies/chap-1-theme-1-les-changements-du-climat-au-cours-des-700000-dernieres-annees

Varves : http://paleolithique.free.fr/ et Wikipédia

Sédiments de rivière :

  • C. Vella, maître de conférences
  • Bruneton H., Arnaud-Fassetta G., Provansal M., Sistach D., 2001. Geomorphological evidence for fluvial change during the Roman period in the lower Rhone valley, Catena (Elsevier)
  • Ollive V., Petit C., Garcia J.-P., Reddé M., 2006. Rhine flood deposits recorded in the gallo-roman site  of Oedenburg (Haut-Rhin, France), Science Direct (Elsevier)

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