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Extrême droite : fausses questions, mauvaises réponses. Un texte de la Ligue des Droits de l'Homme.

Publié le 15 février 2014 par Gezale

Extrême droite : fausses questions, mauvaises réponses. Un texte de la Ligue des Droits de l'Homme.

Sur le marché de Louviers. (photo JCH)

Le texte publié ci-dessous est un texte long, argumenté, précis. Il éclaire les arguments que développent les extrêmes droites, qu'elles soient FN ou UMP. Je n'ignore pas que la plupart d'entre vous souhaitent lire des billets courts. Il arrive que la nécessité fasse loi et que les arguments développés aient besoin de profondeur et d'une certaine distance…à parcourir. Je vous invite à ne pas vous décourager et à lire ce texte dans son intégralité. Les idées de l’extrême droite ont pris une place importante dans le débat public. Ces thèmes sont anciens et connus : l’appel à un pouvoir autoritaire, le culte d’un passé où domine l’ordre patriarcal, le mépris de ce qui relève du système républicain – partis, assemblées élues, associations, syndicats – combiné à l’affirmation de préférences, dont l’étiquette « nationale » dissimule mal l’appel à discriminer et à rejeter tous ceux qu’on présente à tel ou tel moment comme différents, sur des bases réelles ou supposées. Longtemps cantonnée aux marges du débat républicain de par son histoire dans la collaboration avec l’occupant nazi, l’extrême droite a reconstitué un socle de réseaux et de propositions, en tablant sur l’oubli de ses idées passées. Elle a travaillé à peser sur la pensée de droite républicaine, elle a surfé sur la révolution néolibérale en adoptant sa dimension individualiste et sécuritaire et, avec la crise qui provoque la crainte d’exclusion, elle articule maintenant ce néo-libéralisme avec d’anciens réflexes identitaires et xénophobes. Avec la crise et les échecs des partis qui exercent les responsabilités depuis des décennies, l’extrême droite rencontre des succès en bénéficiant des inquiétudes dans la société. La peur est sa carte maîtresse ; elle en use à tout va, en surfant sur la double crainte du déclin national et du déclassement social. Elle joue sur ce qui délégitime les représentations politiques et ce qui fait craindre tout changement. Elle rejette l’idée même d’un avenir commun pour les peuples, construit autour des notions d’égalité et de solidarité. Elle entraîne malheureusement une partie de la droite républicaine. Et, maintenant, des voix venant de la gauche s’expriment sur ses thèmes avec des mots détestables, sous couvert de ne pas lui en laisser le monopole !
Elections municipales et européennes Les élections municipales et européennes sont l'occasion, pour les forces politiques et sociales, de confronter leurs analyses des maux qui travaillent la société française. C'est le débat démocratique. Nous voulons le saisir pour discuter du comment « faire société », et publions un texte de la Ligue des droits de l'Homme plus particulièrement consacré à une analyse des idées d'extrême droite, et au rappel des valeurs fondamentales qu'il convient de leur opposer. On a là une défaite de la pensée qui induit un grand trouble dans le débat public, et aussi dans bien des consciences. Tout indique que ce recul des valeurs progressistes peut marquer profondément le débat et les résultats des élections prochaines, municipales et européennes. Il y a donc une réelle urgence démocratique. La Ligue des droits de l’Homme entend jouer pleinement son rôle civique et républicain. Elle s’emploie à opposer aux idées d’extrême droite, et à tous ceux qui les portent, un débat de raison, construit sur des valeurs fortes – l’égalité, la solidarité. Cette brochure entend contribuer à l’approfondissement du débat au sein de la LDH et du débat public. D’une part, en passant au fil de la critique un certain nombre d’affirmations martelées par l’extrême droite ; d’autre part, en soumettant au débat, avec les citoyennes et les citoyens de notre pays, les propositions que la Ligue des droits de l’Homme estime indispensables pour la démocratie et le progrès social.
1 - L’extrême droite pose-t-elle de « bonnes questions » ? L’extrême On entend souvent avancer l’idée que l’extrême droite, Front national ou autres, poserait les « bonnes questions », et que seules ses réponses seraient mauvaises. Cette proposition d’apparence anodine est un double mensonge. L’extrême droite n’a « découvert » aucune question et ne leur apporte que de (très) mauvaises réponses. Ni le chômage, ni l’exclusion sociale, ni la délinquance n’ont été « découverts » par l’extrême droite, pas plus d’ailleurs que les questions migratoires. Elle s’est contentée, du bord de la route, de constater des problèmes connus. Son seul « apport » est d’avoir attribué ces problèmes à la présence d’étrangers, et à les instrumentaliser au profit d’un « ordre naturel » jamais éloigné de l’ordre patriarcal et autoritaire. Refusant de se pencher sur les causes réelles des problèmes soulevés par l’évolution de nos sociétés, elle les attribue pêle-mêle à la « dérive des mœurs », au « déclin national » et surtout aux « mélanges » induits par les migrations. En fait, la France est depuis longtemps et reste une des dix premières puissances économiques mondiales ; le chômage, l’exclusion sociale ont beaucoup à voir avec l’inégale répartition des richesses entre Français. Quant aux migrations, elles constituent un apport économique et social plutôt que l’inverse. Mais l’extrême droite veut ignorer ces réalités ; elle leur préfère le culte d’une nostalgie mythique, celle d’un âge d’or, sans chômage, où les femmes, les jeunes, les étrangers savaient se tenir soumis, à une place imposée car l’ordre et ses représentants étaient sinon respectés, du moins craints. Ce monde imaginaire est peuplé de Français dits « de souche », et l’équipe nationale de football y est « ethniquement homogène ». Les « étrangers », avec ou sans papiers, y sont donc suspects a priori de fainéantise, de fraude, de trafics multiples, de délinquance et de violence... Face à ces maux, l’extrême droite ne connaît qu’un remède : la répression judiciaire et administrative ou alternativement, une soi-disant autodéfense qui n’est que justification à agresser dès que l’on se « sent menacé ». Avec une telle grille de lecture, le chômage est causé par le travailleur migrant, fût-il lui-même chômeur ; l’étranger devient un facteur d’insécurité et de délinquance, même s’il est l’objet de contrôles incessants. La laïcité est instrumentalisée contre les religions, et les croyants accusés de vouloir « transformer » la France. La sécurité n’est invoquée que pour mieux fustiger des pouvoirs politiques et des juges laxistes, alors même que se multiplient des condamnations de plus en plus lourdes. Avec l’extrême droite, les « mauvaises questions » vont de pair avec les « mauvaises réponses ». Et ceux qui ne les partagent pas méritent d’être victimes de mesures liberticides. La boucle est ainsi bouclée.
2 - La préférence nationale, une mécanique d’opposition de tous contre tous L’extrême droite met en avant une proposition phare, à savoir la « préférence nationale », supposée régler les problèmes en réduisant le nombre de bénéficiaires aux seuls « Français ». Ce véritable logiciel politique, sous des dehors de bon sens, va à l’encontre du droit international ; sans régler aucun problème, il fonctionne comme une mécanique d’exclusion nationale. La « préférence nationale » vise clairement l’immigration. Lancée dans les années 1980, l’idée induit que face aux problèmes qui émergent, elle constituerait une panacée. Qu’il s’agisse d’emplois, de prestations sociales, de sécurité ou de logement, la solution serait la même : exclure les non- nationaux. Cette pseudo-solution n’a donc aucun rapport avec la nature du problème, avec le droit commun, avec les personnes concernées. C’est l’exemple même d’une véritable escroquerie idéologique, dont les dupes pensent naïvement qu’elles seront « préférées nationalement ». Mais... Si l’on part du principe que le chômage résulte d’un trop-plein de main-d’œuvre, on est tenté d’éliminer le maximum de concurrents : étrangers, mais aussi femmes, Français d’une autre région, Français de « fraîche » date... Problèmes : cette élimination des concurrents ne crée ni emploi, ni dynamique de relance. Elle n’incite pas les entreprises à moderniser – pourquoi le feraient-elles puisque la main-d’œuvre reste bon marché et s’élimine elle-même ? – et contribue à appauvrir la demande intérieure, donc à relancer le chômage... Indépendamment de son incapacité totale à solutionner le moindre problème, la préférence nationale enracine la nation dans un passé mythique où la France serait supposée chrétienne, blanche et homogène. Autant de fantasmes au regard d’une histoire marquée par les échanges, les mélanges et les fusions, à la fois de territoires, de cultures, de langues et de populations. Pour la République, la nation est une idée, bâtie autour des valeurs de la devise républicaine en partage. Pour l’extrême droite, la nation est marquée par le territoire et la tradition, le « sang », voire la « race » des soi-disant « préférés ». Dans les faits, la fameuse « préférence » affichée est donc surtout une machine à exclure. Ce qui n’est pas préféré est renvoyé à soi-même et exclu de toutes les mécaniques de socialisation et de solidarité, mais pas des impôts. Il s’agit donc en fait de minoriser des personnes en les exploitant jusqu’à ce qu’elles quittent le pays. Problème : ces personnes que les « préférés » estiment en trop sont souvent...de nationalité française. Mais dans ce processus de stigmatisation, la question « raciale » se confond très vite avec la dimension sociale. L’étranger est en trop et le chômeur également. Si ce dernier n’est pas étranger, il n’en est que plus suspect car il atteste de par son seul état de l’inefficacité de la fameuse préférence. Ainsi, la préférence nationale est-elle bien par antiphrase une tentative de mise en détestation d’une partie de la nation par une autre. L’antithèse absolue de la « devise liberté, égalité, fraternité ».
3 - Le nationalisme antidote à la « mondialisation » ? nationalisme, »? L’extrême droite définit son nationalisme comme le remède aux problèmes soulevés à « l’intérieur » par les étrangers, et à « l’extérieur » par les « mondialisations ». Mais la nation n’a jamais existé en dehors du monde. Et son enfermement sur elle-même aboutit toujours à construire des sociétés figées, peu novatrices, la plupart du temps autoritaires. L’extrême droite postule que tout ce qui pose problème « ici » viendrait en fait « d’ailleurs », et que plus cet « ailleurs » est étranger et lointain, plus grave est le problème qu’il pose « ici ». De fait, la mondialisation pilotée par des acteurs financiers débridés se traduit par une marchandisation des échanges culturels, des idées et des cultures. Cela s’accompagne de pertes de repères et peut pousser à cultiver l’idée de lui opposer le retour au « local », aux « terroirs », à des identités figées comme autant de facteurs d’enracinement. Le nationalisme de l’extrême droite exacerbe cette démarche en assumant l’idée d’un vaste complot mondialiste animé par une « juiverie cosmopolite » visant à détruire les nations. Ce schéma est repris d’un bout à l’autre de l’Europe sous des formes plus ou moins dissimulées, ou sous des habits neufs. Ainsi l’islamisme peut-il remplacer « les juifs ». Plus habile et modéré dans ses expressions, le Front national se contente de faire du nationalisme l’alpha et l’oméga de ses « solutions » rompre avec l’euro et la construction européenne et l’utilise comme carburant de son racisme traditionnel et de ses propos antimusulmans. Le débat sur l’identité nationale provoqué par Nicolas Sarkozy, alors président de la République, a largement permis que s’expriment ces visions nationalitaires dont la conséquence première est de déclencher un tri entre « bons » et « mauvais » Français, entre « vrais nationaux » et « Français de papiers ». Là encore, sous couvert de rassembler et de réunir, c’est une machine à opposer les uns aux autres que l’on déclenche. Or, les problèmes posés au monde – qu’il s’agisse des enjeux environnementaux, des questions migratoires, des ressources énergétiques, du commerce mondial ou des questions liées à l’emploi – ont tous des dimensions internationales. Renoncer à prendre en compte ces dimensions – ce qui n’aurait rien de simple – ne réglerait aucun problème. Pire, cela les compliquerait considérablement ; en effet, les concurrences en seraient multipliées et exacerbées, et les moyens à disposition seraient moindres. Le monde, le monde des autres est aussi et de façon indivisible, le nôtre. Il constitue une opportunité pour chaque peuple, chaque nation et chaque culture, à condition que leurs relations ne relèvent pas du seul rapport de force, voire de la domination d’un pays – ou continent – sur un autre. L’anti- mondialisation de l’extrême droite, arc-boutée sur une conception passéiste, est aux antipodes de l’alter mondialisme, qui souhaite contribuer à faire émerger un monde construit sur la régulation des échanges, la solidarité et le dialogue, sur des bases de droit et d’égalité. La nation est une belle chose lorsqu’elle s’ouvre aux autres. Cette ouverture au monde, cet enrichissement multiculturel, loin de provoquer la dilution ou la disparition des nations, peuvent permettre des progrès démocratiques, des avancées en termes de droits, des coopérations positives pour l’humanité tout entière.
4 - « L’éternel féminin » contre l’égalité femme/hommes« L’extrême droite se veut héraut des valeurs familiales, et singulièrement du rôle qu’y tiennent les femmes, rôle d’épouse et de mère ; sa posture n’est jamais reliée à la notion d’égalité. Cela n’empêche pas le Front national de jouer du rôle de Marine Le Pen, qui incarne à la fois la continuité filiale et une exception féminine idéalisée qui fait écho à la figure sublimée de Jeanne d’Arc. D’une façon plus générale mais significative, l’extrême droite, pas plus le FN que d’autres formations, ne se prononce jamais sur les inégalités qui frappent les femmes en matière de carrière, de salaire, de précarité et de temps de travail, pas plus d’ailleurs que sur le déficit de paritarisme qui caractérise notre pays dans le champ de la représentation politique. Dans ce cadre idéologique, l’extrême droite privilégie de longue date l’activité agressive d’organisations comme SOS-tout-petit contre le droit des femmes à l’avortement : en les culpabilisant, en s’enchaînant aux lits dans les services hospitaliers ou en distribuant des chaussons de bébés dans les consultations d’orthogénie. Cette lutte s’infléchit actuellement, sous la forme insidieuse de sites apparemment neutres d’informations destinés aux femmes, ce qui permet à la fois d’éviter les poursuites judiciaires et d’agir en profondeur sur les esprits. Le Front national ne tient pas un discours ouvertement anti-avortement, mais dénigre les associations comme le Planning familial, accusé d’inciter les femmes à avorter. Avec La Manif pour tous, l’extrême droite a réactivé ses visions passéistes de la femme, ramenée à un destin maternel. En réaffirmant la primauté du mariage, uniquement hétérosexuel, et de la détermination biologique et naturaliste de la filiation et de la famille, les réseaux à l’œuvre ont combiné une homophobie agressive à une exaltation de l’ordre naturel. Forte d’une mobilisation réelle, l’extrême droite s’est lancée dans une offensive contre ce qu’elle appelle « la théorie du genre », en ciblant les enseignants et les programmes de l’Éducation nationale, accusés d’endoctriner les enfants en les arrachant à l’éducation de leurs parents, de les encourager à devenir homosexuels, etc. L’objectif pour elle est de discréditer un outil intellectuel utilisé par de nombreuses disciplines scientifiques afin d’analyser les rapports entre les hommes et les femmes en vue de faire reculer les inégalités. L’extrême droite est prête à faire intervenir de façon autoritaire le monde politique dans les programmes et les manuels scolaires. Corrélativement, elle a pris la laïcité en otage pour stigmatiser l’oppression des « envahisseurs ». Cette dénonciation opère à la fois sur un mode de melting-pot anti-islamique, soi-disant républicain – dénonciation des minarets, du voile et des abattoirs hallal – et avec de bonnes vieilles méthodes discriminantes telles que les soupes au cochon... Pour les femmes musulmanes, c’est double peine ; elles se retrouvent stigmatisées par un discours uniformisant et discriminant qui prétend vouloir les libérer de leurs convictions tout en leur interdisant de fait l’école, l’accompagnement des sorties scolaires, le travail dans des structures privées...
5 - La laïcité défigurée Depuis quelques années, l’extrême droite se réclame de la laïcité pour agiter la peur d’une « islamisa- tion » de la France, allant jusqu’à dénoncer une invasion. La ficelle est grosse : l’extrême droite a toujours combattu la laïcité de l’école et de la République, au nom de la France « fille aînée de l’Eglise ». L’extrême droite entend surtout exploiter la mise en scène d’une violence terroriste provenant des terres d’Islam comme facteur de destruction de l’« identité nationale ». La laïcité pour elle n’est qu’un prétexte. Ainsi s’est-elle opposée au mariage pour tous avec les « traditionalistes » intégristes, qui voulaient soumettre la loi de la République à un « ordre naturel » intangible : leur « laïcité » s’accommode très bien des offensives cléricales contre l’état civil républicain. C’est le racisme anti-arabe qui se cache derrière une « croisade laïque » contre une religion proclamée « inassimilable » : de campagne contre les « minarets » en « apéros saucisson », la laïcité est mise au service de « l’éthnicisation » de la nation. Ce « virage laïque » de l’extrême droite défigure la laïcité, présentée comme l’injonction faite aux « barbares » de s’assimiler à une « civilisation supérieure occidentale », alors que la laïcité a été au contraire construite comme un outil d’émancipation et une garantie d’égale liberté. Ainsi, la loi de 1905 garantit la liberté de conscience mais aussi celle des cultes sous la seule réserve de l’ordre public. La laïcité qu’elle institue ne renvoie nullement la religion dans la « sphère privée » : les lieux de culte sont publics, et l’extrême droite tient beaucoup au pèlerinage de Chartres... La laïcité protège la liberté des musulmans, comme celle des juifs ou des chrétiens, de vivre pleinement leur foi, de même que celle des athées et des agnostiques de vivre pleinement leur conviction philosophique. La laïcité, c’est la liberté égale pour tous. Toutes les religions doivent être traitées de la même manière : respect de la liberté de conscience et d’expression, avec comme seule limite le respect de la liberté des autres. Comme l’a proclamé la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », donc « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. Mais bien sûr l’extrême droite ne veut pas de cette égale liberté : elle veut montrer du doigt ses boucs émissaires, les mêmes qu’au temps de l’Algérie française ; stigmatiser, rejeter, exclure, au nom d’une « France aux Français » héritée non de la République laïque, mais de la « Révolution nationale » de Pétain. La laïcité, ce n’est ni le racisme ni l’exclusion, c’est la liberté en partage. Sous son déguisement « laïque bleu marine », le loup a toujours de grandes dents...
6 - Au-dessus des clivages gauche-droite ? « Ni gauche, ni droite : Français ». L’extrême droite se prétend toujours au-dessus des clivages partisans, comme si le fait d’être Français constituait en soi un positionnement politique. En fait, l’extrême droite est bel et bien... de droite. Cela vaut pour ses valeurs mais aussi pour ses choix économiques et sociaux. « De gauche » sur les questions sociales et « de droite » sur les enjeux sociétaux : le tour de passe-passe consiste à se présenter comme porte-drapeau des revendications populaires et ouvrières en incarnant les « petits », des « invisibles » face aux « gros », à « l’establishment » et aux « élites parisiennes » ou « mondialisées». Pour devenir « un parti comme les autres », le FN développe donc un discours axé sur l’emploi, la lutte contre le chômage, la détresse sociale, la défense du pouvoir d’achat. C’est ainsi que Marine Le Pen a pris fait et cause pour les retraites quelques mois après avoir fustigé les organisations syndicales et les manifestants, qualifiés par elle d’« émeutiers ». Qu’après avoir fustigé les fonctionnaires « budgétivores » et les services publics, elle se scandalise de leur affaiblissement ; qu’après avoir été pour les privatisations, elle propose des nationalisations... Dans toutes ces propositions, aucune ne s’attaque aux inégalités sociales et salariales, aux discriminations, ou à la répartition du produit intérieur brut via des mesures fiscales. La seule mesure phare reste encore et toujours la préférence nationale. Mais cette préférence elle-même est de droite. D’abord, parce que son « produisons français, avec des Français, dans des entreprises françaises » ne vise pas la construction d’une France plus égale et solidaire mais d’un pays où les capitaux français pourraient toujours plus librement exploiter les travailleurs français. La cause profonde des difficultés économiques, la dévalorisation constante du travail au profit des détenteurs de capitaux, sont d’ailleurs totalement évacuées: précarité, bas salaires, inégalités de tous ordres sont attribués à des facteurs étrangers dont il suffirait de se débarrasser pour renouer avec un âge d’or. Ensuite parce que la sortie de l’euro, au bénéfice d’un franc dévalué pour regagner des marges économiques, censé améliorer la « compétitivité-prix » des produits français, aboutirait à dévaluer la valeur de la force de travail et à une hausse des prix. Une dévaluation de 20 à 25 % signifie une baisse d’au moins autant du pouvoir d’achat. Par ailleurs, le poids de la dette publique, dont les deux tiers sont détenus par des sociétés et des individus installés juridiquement à l’étranger, en serait fortement alourdi. Enfin, un protectionnisme accru et le rétablissement de droits de douane entraînerait quasi automatiquement des représailles de la part des partenaires économiques de la France. Or, un quart de ce que l’on consomme en France provient de l’étranger, soit pour la consommation des ménages, soit sous forme de matières premières et de produits intermédiaires utilisés par les entreprises. Il s’ensuivrait un processus de perte d’activité et de hausse des prix.
7 - A l’opposé des politiques publiques dont l’Europe a besoin L’extrême droite n’aime ni l’Europe, ni le projet européen. Pour elle, tout cela renvoie à la subordination nationale à des « étrangers », technocrates éloignés des « peuples ». Au-delà des différences historiques qui l’anime d’un pays à l’autre, l’extrême droite progresse presque partout en Europe en cultivant les mêmes terreaux, en avançant les mêmes thèmes, en attisant les mêmes mauvais brasiers de la haine de l’autre. Au XXe siècle, c’est dans des pays en crise économique et sociale, où les inégalités croissaient et dans des moments où des dizaines de millions de personnes craignaient de devenir des exclus, que ces mêmes discours ont débouché sur des drames qui ont ensanglanté le monde. Aujourd’hui, les mêmes figures sont agitées pour faire peur et diviser ; la Ligue du Nord italienne rejette les « fainéants » du sud de l’Italie, les Flamands ne veulent pas des Wallons, les Roumains, les Hongrois stigmatisent leurs nationaux roms... Cette mécanique d’exclusion est consubstantielle de l’extrême droite ; elle l’applique à l’Europe en prétendant construire ainsi davantage de protection pour chaque peuple, au dépend des autres. Ce pour quoi elle désigne « l’Europe » comme l’une des causes essentielles du déclin national. Ce procès est largement facilité par les défauts réels et de politiques effectivement condamnables, tant dans le domaine démocratique qu’économique ou financier. Mais les responsables économiques et financiers de ces maux – le système financier mondial, dont les banques françaises, les multinationales, y compris les françaises – ne sont jamais nommés ni pointés du doigt. Les solutions présentées consistent donc à... quitter l’Europe, abandonner l’euro, pour renouer avec des dévaluations qui n’ont de compétitives que le nom ; à se refermer sur ses « cultures » et derrière des frontières sacralisées, à prôner des ententes libres entre États « volontaires », et à annuler toute contribution financière française au budget européen. Avec un tel programme, il n’y a plus de solidarité possible entre États, plus d’Europe. Simplement des rapports de forces teintés de méfiance et de replis identitaires. Pour les citoyens, ce serait un marché de dupes. L’Europe est la première économie mondiale. Son unification économique et monétaire permet de créer davantage de richesses que ce que seraient la somme des productions nationales. Cela pourrait constituer des atouts fantastiques pour lutter contre les exclusions, pour assurer les sécurités sociale, économique, environnementale, culturelle. Le problème est que l’Europe ne construit pas les politiques publiques de solidarités nécessaires, que les inégalités que produit l’économie ne sont pas suffisamment contrebalancées par les politiques de redistribution qui devraient en résulter. Or, on a besoin de plus de solidarité, plus d’égalité, davantage de politiques publiques européennes pour répondre aux inégalités sociales que produit le développement économique. Au lieu de se diviser en rejetant l’autre, c’est de rassemblement qu’ont besoin ceux qui ont peur d’être les exclus demain.
8 - « Il faut en finir avec le laxisme dans le traitement de la délinquance »« Il f Pour l’extrême droite, il faut réserver un traitement énergique et efficace à la délinquance, notamment des mineurs. Il faut assurer le renvoi chez eux des délinquants étrangers, notamment pour qu’ils y purgent leur peine. Enfin, il faut redonner une vraie place à la victime dans le processus judiciaire, et retrouver une sévérité accrue dans les sanctions prononcées, pour qu’elles soient de « vraies » peines. Derrière ces pétitions de principes, que dit-on concrètement ? Pour l’essentiel, un accroissement significatif du nombre de places de prisons (40 000 souhaitées par le FN !), de façon à ce que les peines soient « réellement » effectuées. Il s’agit là d’une posture idéologique, qui ignore ou feint d’ignorer qu’elle est totalement inefficace. Vous ne trouverez pas un professionnel, investi dans les questions de prison, pas une étude faite par des spécialistes pour affirmer que l’enfermement fait baisser la délinquance, et surtout empêche la récidive. Ce qui marche au contraire, ce sont tous les efforts faits en amont vers la promotion de l’égalité des droits : l’éducation, la culture, la professionnalisation, le soin, la citoyenneté de tous. L’extrême droite croit en une règle répressive mathématique : frapper l’auteur, fort et longtemps, guérit et répare le délit ou le crime, guérit ou répare la société, guérit ou répare la victime ! Cette pensée simpliste ignore la réalité de l’impuissance de la répression : d’une part la répression, dans sa violence aveugle, produit les effets inverses souhaités (exclusion, rancœur, violence), d’autre part il n’existe pas de délinquant et de criminel « lambda », ce n’est pas un groupe homogène et constant : les quelques prédateurs volontaires et malveillants sont très minoritaires au regard des malades, des alcooliques, des personnes fragiles, des personnes en manque de repères et de droits, des personnes en grande difficulté... La preuve, c’est que les primo-délinquants représentent une proportion de l’ordre des trois cinquièmes des personnes écrouées. Ce ne sont pas des professionnels du délit ou du crime, ceux-là sont des accidentés de la vie. Après un premier passage à l’acte, les risques de récidive sont amplement minimisés, d’abord par le prononcé d’une sanction proportionnée à l’acte commis, considérée dans son contexte et adaptée à la personne. Ainsi, elle augmente ses chances d’être juste et utile à la société. Surtout, la récidive n’est, dans la pratique, évitée que par un accompagnement social actif de la personne, non par la menace de la sanction qui, aussi forte et brutale soit-elle, n’a jamais empêché la délinquance qui, dans son écrasante majorité, trouve sa source dans les maux économiques et culturels de notre société et dans les carences affectives et psychiques des individus. Concernant les étrangers, leur surreprésentation (très relative) dans la population pénale s’explique en grande partie par la plus grande précarité de leur situation économique et corrélativement l’absence de garanties, ce qui entraîne leur incarcération là où les nationaux y échappent, parce qu’ils justifient d’un domicile et d’une situation stable. La place de la victime est une question importante...mais que l’extrême droite n’est pas la seule à poser, loin s’en faut. Lorsqu’un proche, ou quelqu’un dont nous nous sentons proches est agressé, un sentiment de colère et d’impuissance nous attrape. Et cette colère n’est jamais apaisée. Derrière la place de la victime, c’est en réalité cette colère et cette impuissance que nous voulons exprimer. Ce n’est pas objectivement la place de la victime dans le procès qui, pour perfectible qu’elle soit, existe en réalité. Cette colère est légitime. Elle appelle à la vengeance. Et c’est là qu’elle n’est plus légitime. La civilisation s’est construite là-dessus : échapper à la vengeance qui appelle la guerre perpétuelle, car alors il y a toujours surenchère. La justice dans une société est l’affaire de tous car le mal fait à la victime est fait à la société tout entière, au-delà du fait qu’il interpelle le collectif sur ses défaillances. Et la réponse que la victime doit avoir à sa souffrance est : tu n’as pas souffert pour rien. Nous allons tout faire pour que cela ne se reproduise pas. Et ce « tout faire » ne signifie pas éliminer le délinquant, car il en viendra d’autres. Ce « tout faire », c’est le travail acharné et répété contre les causes multiples de la délinquance. Notre objectif vis-à-vis du délinquant, c’est la réparation, la responsabilisation, la réinsertion, la restauration du droit.
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