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Musique et révolution (1/2) : le message de Muslim

Publié le 17 février 2014 par Gonzo

Muslim

Sa page Facebook va bientôt atteindre le million de friends et sa dernière vidéo a été visionnée plus d’un million et demi de fois : sur les réseaux sociaux, Muslim fait parler de lui ! Muslim, c’est le nom de scène de Mohamed Mezouri, un chanteur dont le parcours hors du commun est intimement lié à l’histoire du rap marocain.

Naissance en 1981 à Jmaa, un « quartier populaire » (comprendre « pauvre ») de Tanger. Découverte du rap nord-américain, rencontre avec un groupe d’émigrés nigérians, et débuts sur la scène rap dès 1995. Fondation, avec La3rbi, un autre rappeur tangérois, de Zanka Flow (le flow de la rue), qui donne à Muslim son identité musicale, un rap hardcore, aux paroles crues et engagées. En 2001, premier CD, gros succès qui l’incite à se produire de plus en plus en solo. Série de disques qui marchent tous mieux les uns que les autres, jusqu’à la retraite annoncée en 2006. Fausse sortie ! Muslim se produit un peu à l’étranger et, surtout, continue à sortir des titres, en particulier Al-Tamarrod (Rébellion) en 2010. Passage à Mawazine en 2012, ce qui suscite pas mal de commentaires car le méga-festival, créé/géré par une structure proche du Palais, fait alors l’objet d’un boycott de la part de la jeunesse contestataire (voir le billet Mawazine ou Wallou zin, un équilibre périlleux pour le gouvernement marorain).

Comme l’écrivent ses bio officielles (sur sa page Facebook par exemple), Muslim « a également su au fil des années développer ses compétences afin de devenir un rappeur 100% indépendant et auto producteur, c’est-à-dire de la composition des instrumentales, de l’écriture des lyrics, du record mastering au mixage et à la distribution de ses propre CDs ». Il est donc loin d’ignorer l’importance des données économiques dans le monde de la production musicale (une question évoquée également dans le monde du rap par le groupe palestinien Dam (voir ce billet).

Lancé à la fin du moins du janvier, le clip de la nouvelle chanson de Muslim bat des records. Titre principal du CD qui s’annonce comme la suite du précédent Al-Tamarrod publié quatre ans plus tôt : La lettre. Sauf qu’en arabe, cela donne al-risâla, beaucoup plus proche du « message » et que, chanté par un type qui se fait appeler Muslim, les connotations historico-religieuses affluent (voir le billet Le message est dans l’image : la censure au cinéma).

Fidèle à un courant du rap qu’il a largement contribué à rendre populaire, Muslim revient sur des thèmes qu’il a déjà souvent abordés : la drogue, le chômage, la violence urbaine, la misère des déclassés… Pour la vidéo 100 % tangéroise, particulièrement soignée et produite par une nouvelle société de production, HELK Studio avec un jeune talent du cinéma marocain, Hassan Elkourfti (حسن الكورفتي), il a un double, le jeune rappeur, tangérois lui aussi, T-Slack.

Le clip est un classique du genre avec un montage alterné où l’on voit principalement, tantôt Muslim grimpé sur un toit à Tanger ou juché sur un conteneur graffité « Rébellion » (Tammarod), tantôt son double en jeune rappeur, tout frais diplômé mais un peu kiffeur, rejeté du boulot ensuite parce qu’il n’a pas de piston. Inévitablement, de petit boulot en petit boulot, ça se termine par une agression à l’arme blanche, jusqu’à ce que T-Slack/Muslim s’écroule dans la rue, sur fond de milliers de « messages » qui s’envolent au vent.

Les allusions ne sont pas très difficiles à décrypter, et de toute façon les paroles sont là pour enfoncer le clou. Le refrain est déjà sur toutes les lèvres de la jeunesse marocaine et même arabe :

Hadi Rissala Mektouba b dmou3 w dem lfou9ara li jaryin f demé
7rouf kharja mn l9alb ma3labalich bel7areb hit ana mo9id b fomé
fa bla mat3ml rassek ghafel wla ma3arefshi wlla blli rak omé
hadra 3lik ya bnadem nta w hadak o lakhor wlla bghito nssemé

C’est une lettre écrite avec le sang et les larmes des pauvres qui coulent dans mon sang
Des lettres qui viennent tout droit du cœur, pas besoin de faire la guerre, c’est par ma bouche que j’attaque
Pas la peine de faire semblant de rien voir
C’est à toi que je m’adresse, et puis toi, et puis cet autre,
Ou bien tu veux que je donne des noms ?

Plus loin, le message est encore plus direct (paroles en arabe à la fin de ce billet) : Le gouvernement, les ministres, tous ceux qui ne sont pas convaincus, on veut que vous sachiez qu’on est là, qu’on patiente. Mais quand on va se révolter, notre révolution ce sera jusqu’à la mort ! On n’est pas des moutons, et vous n’êtes pas nos bouchers ! Les responsables, c’est nous, vous n’êtes que des usurpateurs. On n’a plus peur, on est sorti de l’ombre (« de la grotte »). On a montré ce que vous êtes ! Rien que des mots ! Des mots trompeurs. Dites-moi ce que vous ressentez alors que les jeunes n’ont pas de boulot, qu’ils disparaissent pour rien. Il n’y a plus beaucoup de temps, le signal approche. Ils ont frappé à toutes les portes, ça fait des années qu’ils attendent sans réponse. Plus d’espoir en l’avenir, rien que des promesses, ils ne voient rien, aucune porte de salut, rien que des mirages. Les rêves sont morts et enterrés. Tous menteurs, tous voleurs !

Toutes ces informations sont fort bien présentées dans un article sur le site de Ray al-Youm. Mais le journaliste (l’article n’est pas signé) va plus loin et évoque également les réactions, apparemment assez nourries, à ce message sous forme de vidéo-clip. A côté de tous ceux qui applaudissent – et à voir les chiffres de fréquentation ils sont nombreux, c’est le moins qu’on puisse dire ! – il y a aussi des voix discordantes, en particulier dans les milieux du rap.

De ce côté-là, certains pensent, en gros, que le « message » de Muslim est à la fois facile et superficiel, surtout pour un chanteur de ce calibre. Ils trouvent en particulier que ce n’est pas faire preuve d’un courage hors du commun que de s’attaquer aujourd’hui à l’actuel gouvernement marocain, dirigé par un parti religieux… Pas d’attaques frontales dans ce clip, et surtout pas contre le Palais. Venant d’un chanteur qui s’est produit à Mawazine alors que la scène engagée boycottait le festival, pour quelques-uns, cela sent un peu la manipulation, avec un scénario qui pourrait faire penser à ce qui s’est passé en Egypte, voire même en Tunisie…

D’autant plus que le clip (plus ou moins) rap sur le mode « message à » est un genre très pratiqué en ce moment. Tout récemment, Anès Tina, un comique algérien que certains jugent un peu opportuniste, s’est ainsi fendu d’un titre pour « supplier » Bouteflika de ne pas se présenter pour un quatrième mandat (avec, m’a-t-il semblé, une lourde plaisanterie sur le chiffre 4 en arabe, symbole des partisans de président déchu Morsi). En Algérie (voir par exemple cet article dans L’Expression), beaucoup ont eu l’impression que l’ex-blogueur, bien présent sur la chaîne privée Nessma, cherchait surtout à faire parler de lui, éventuellement en rendant service à d’autres. En tout cas, son rap n’a certainement pas « l’authenticité » d’un Lotfi « Double Canon » (Lotfi Belamri) qui, lui, a connu de réels problèmes (article en arabe) pour une chanson trop critique d’un responsable qui n’était même pas le président, sauf que cela ne devait pas être « au programme »…

Au Maroc aussi, au moment où le « rap hardcore » fait le triomphe que l’on sait, on rappellera que L7a9d (Moad Belrhouat : voir notamment ce billet), musicien un temps emprisonné et membre du 20 février, a été « empêché » à la dernière minute de tenir la conférence de presse qu’il avait prévue pour la sortie de son nouveau CD.

L7a9d d’un côté, Muslim de l’autre : des traitements bien différents qui obligent à poser la question de la significaiton, sociale et politique, de ces lettres qu’envoient les rappeurs marocains et, plus largement, les “musiciens de la révolution”. La suite, la semaine prochaine mais en attendant, vidéo et paroles en VO (s’il y a des bonnes volontés pour traduire, ne vous gênez surtout pas !)

Les paroles en arabe (marocain) récupérées sur le site de Muslim :

بإسم الشباب دهاد لبلاد نكتب هاذ الرسالة
• حيت ضاق بينا الحال و الحال حالتوا حالة
• ملي خلقنا وحنا صابرين و الصبر صبرو تسالى
• كانقولو غا تحلى و ما زايدة غير فالبسالة
• شابرين لقنات كانموتوا فيهم بالتقالة
• بالدروغا و الهاش كانحاربوا البطالة
• ما كانخدموا ما كانردمو حياتنا ماشا نزبالة
• كيف القاري كيف الأمي كولشي فالشبكة الخبالة
• حرافتلي كيفاش نخدم حيت ماعنديشي الكالة
• رجع نلور وتكالا ولادهم هما لوالة
• ادا باغي تدمر ضرب البيكو و البالة
• ولا تبع الطريق دخوتك سراق وقتالة
• مسكينة الحكومة حرفالا
• من دابا نفوق ماكاينشي الراحة حيت حنا دمالة
• يا غا تشوفونا شي حل يا غانودوا شي قربالة
• قبل مايفوت الفوت أما هذه غير الرسالة

• هاذِ رسالة مكتوبا بدم و دموع الفقرا لي جاريين فدمِّي
• حروف خارجة من القلب ماعلابليش بالحرب حيت أنا مُقِد بفُمي
• فبلا متعمل راسك غافل ولا ماعرفشي ولا بلِّي راك أُمِّي
• الهدرة عليك يابنادم نتا وهذاك ولاخور و لا بغيتو نسمِّي

• هذه رسالة مكتوبة بدموع و دم الفقرا
• نالحكومة نالوزارة نأي واحد بدل الكارة
• بغيناكم تحسوا بينا تعرفونا بلي حنى صبارا
• بالحق ملي غانثوروا الثورة ديالنا حتى نمقبرة
• حنايا ماشي غنم نتومة ماشي جزارة
• حنايا المسؤولية و نتوما المسؤولين شفارة
• صافي مابقيناش نخافوا خرجنا من المغارة
• عقنا بكم غير الهدارا كلمتكم غدارة
• قولولي كيف كاتحسوا ملي الشباب فحال النوارة
• ما جابر مايعمل براسو غير كايضيع خسارة
• سنين تضيع فالحبس ولا في الغربة بلاد النصارة
• ولادنا فالزنقة شمكارة و بناتنا فالدعارة
• كيعيشوا حياة الزنقة لي رداتم غير الحكارة
• حن تتمحن شعار كيكي و الزبارة
• ومابقا قد ما فات و تصفر الصفارة
• أما هذه غير الرسالة بدموع الفقارة

• هاذِ رسالة مكتوبا بدم و دموع الفقرا لي جاريين فدمِّي
• حروف خارجة من القلب ماعلابليش بالحرب حيت أنا مُقِد بفُمي
• فبلا متعمل راسك غافل ولا ماعرفشي ولا بلِّي راك أُمِّي
• الهدرة عليك يابنادم نتا وهذاك ولاخور و لا بغيتو نسمِّي

• هدي رسالة كاتبينها غِي الشباب
• ماخلو فين دقوا ماخلو حتى باب
• بقاو سنين بتسناو باقي مكاين حتى جواب
• صافي القلب راه طاب و الراس على بكري شاب
• الأمـل في المستقبل خاب..
• ونتوما هما السباب
• قتلتوهم بالوعود مشافو غِير الضبـــاب
• مكين طريق فين يهراب..
• كين غِير السراب غِير قتل في الأحلام ودفن تحت التراب
• آلخوا كلشي كذاب آعشري كلشي نصّاب
• حتى لي جْنَى الغلَّة ليوم ولا حطاب
• حتى لخل الزبل ليوما رجع يشطّاب
• علاش الضمير غــاب حيت في قانون الغاب
• الخير معندو حباب و الشر هو الغلاب
• وشكون تكونو باش تحكمو علينا بهذ العذاب
• ودبا سمعو محلكم في الإعراب
• رباعة دولاد الك….

• هاذِ رسالة مكتوبا بدم و دموع الفقرا لي جاريين فدمِّي
• حروف خارجة من القلب ماعلابليش بالحرب حيت أنا مُقِد بفُمي
• فبلا متعمل راسك غافل ولا ماعرفشي ولا بلِّي راك أُمِّي
• الهدرة عليك يابنادم نتا وهذاك ولاخور و لا بغيتو نسمِّي


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