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Cuba : Si je voulais, pourrais-je acheter une voiture ?

Publié le 18 février 2014 par Quiricus
Cuba : Si je voulais, pourrais-je acheter une voiture ? L’annonce de l’ouverture de la vente d’automobiles à Cuba, après avoir connu une interdiction gouvernementale pendant 50 ans, a provoqué d’innombrables débats. Depuis fin décembre, les citoyens, les économistes et les chercheurs travaillant sur le thème des reformes économiques se posent tout type de questions, et Cubania résume pour ses lecteurs certains des aspects de la polémique.
« Pour les non-cubains, il est pratiquement impossible de comprendre la relation Etat-automobile-citoyen. Pourtant c’est un sujet très sensible. Il a par exemple coûté son poste à un ministre lorsque celui-ci a voulu renouveler le parc automobile en permettant l’importation de voitures modernes en échange d’une reprise des vieilles voitures ». Celui qui illustre ainsi cette trame extrêmement complexe est Fernando Rabvsberg, correspondant à Cuba de la chaîne britannique BBC et l’un des journalistes les plus pertinents exerçant sur l’île.
« Etat-automobile-citoyen », c’est le nom que Rabvsberg donne à cette chaîne en pleine transformation.
Mais, quel est ce changement exactement ?
Avec l’autorisation de la « vente au détail de motos, auto, camionnettes et minibus, neuf ou d’occasion » pour les cubains et les étrangers résidents dans le pays, le gouvernement supprime depuis le 3 janvier 2014 une restriction maintenue pendant un demi-siècle.
« Durant des décennies, la vente de voitures aux cubains devait compter avec l’accord personnel du Vice-président de la République. Les étrangers avaient également besoin d’une autorisation signée par la direction de « l’organisme qui s’occupe d’eux à Cuba », raconte Rabvsberg dans son blog Cartas desde Cuba, et précise que « ceci n’est pas une blague ».
Jusqu’en 2010, les cubains pouvaient uniquement acheter légalement des voitures d’occasion antérieures à 1959 et cette limite a fait exploser les prix à des niveaux quasi surréalistes. Alors qu’entre étrangers, une voiture française de 10 ans pouvait coûter dans les 3000 US dollars, au marché noir cubain le prix s’envolait jusqu’à 18000 US dollars.
L’antécédent le plus récent précédent la motion actuelle date de 2011. Raul Castro autorisa alors l’achat et la vente de voitures d’occasion entre cubains ; mais cette première ouverture limitait à deux le nombre de voitures qu’un résident étranger pouvait acheter durant la totalité de son séjour dans le pays. Elle interdisait aux cubains l’achat d’un véhicule neuf (0 km) et maintenait l’utilisation de « Cartes » pour les cubains comme unique moyen légal d’accès à une voiture.
C’était quoi ces « Cartes » ?
Pour de nombreuses personnes, il s’agit de l’unique option possible.
Comme l’explique le sociologue Aurelio Alonso, l’automobile a été pendant des années l’encouragement majeur que le gouvernement offrait à un cubain en guise de rétribution pour ses mérites politiques, professionnels, sportifs ou artistiques. La condition était que ces personnes soient obligées ensuite de revendre le bien uniquement à l’Etat. Avec la légalisation du dollar en 1993, des voitures ont alors été vendues à ceux qui pouvaient prouver avoir gagné suffisamment de devises légalement (artistes, diplomates, marins, etc.). Même eux avaient besoin d’une Carte officielle du gouvernement qui certifiait leur droit d’achat.
C’est ainsi qu’est née « la Carte », dont le mécanisme bureaucratique y étant associé n’a pas échappé, jusqu’à aujourd’hui, au très grand sens de l’humour cubain.
A travers ce dispositif, environ 200 voitures d’occasion étaient vendues chaque mois et le dernier client de la chaîne, argent à la main, pouvait attendre ses papiers jusqu’à environ cinq ans. Mais au moins, il y avait toujours quelqu’un qui achetait.
En avril 2013, les ventes de voitures par l’intermédiaire des « Cartes » ont cessé de façon surprenante et face à l’absence d’explications, des milliers de rumeurs ont vu le jour. Actuellement, le gouvernement reconnait que la « Carte » est « obsolète » et qu’elle a engendré « la non-conformité, de l’insatisfaction et, dans de nombreux cas, a conduit à ce que ce dispositif, en plus d’être bureaucratique, se convertisse en une source de spéculation et d’enrichissement ».
Les autorités avaient en effet créé avec ce dispositif une demande dix fois supérieure à l’offre et la « solution au problème » a été le marché noir. La « Carte », objet fétiche, s’est transformée également en un produit très recherché provoquant un trafic illégal pour lequel les propres fonctionnaires du gouvernement n’étaient pas en reste. Mais encore aujourd’hui, lorsque le dispositif a fait marche arrière, des milliers de personnes possédant déjà le document se sont retrouvées avec celui-ci entre les mains, sans aucune certitude quant à sa validité au cours des prochains mois. Il se peut donc que l’avoir obtenu ait été une perte de temps notoire.
Qu’est-ce que cela signifie dans le contexte actuel des transformations économiques à Cuba ?
« Cinq ans se sont écoulés depuis que Raul Castro a assumé la présidence à la suite de son frère, Fidel. Durant ces années, un vaste processus de reformes structurelles du modèle économique cubain a eu lieu, entraînant des transformations dans la sphère politique et d’innombrables défis d’un point de vue institutionnel. La politique fiscale a du faire face à des déséquilibres hérités et amplifiés par la crise internationale. En parallèle le gouvernement s’est livré à une bataille contre la corruption », explique l’économiste cubain Pavel Vidal et le professeur français José Antonio Alonso dans l’introduction de son texte Quo Vadis, Cuba ? (2013).
L’ouverture sur l’achat de voitures dans l’île, tout comme il y a deux ans celle des logements, est une des réformes en cours. Pour les spécialistes, l’avenir de cette réforme n’est pas très clair mais elle fait « bouger le système vers des contrées inconnues pour la majeur partie des cubains nés après le triomphe de la révolution ».
C’est une transformation économique qui implique également, et surtout, un changement social et culturel sans précédent depuis ces 50 dernières années.
Comment les gens l’ont perçu ?
« Pour moi, tout ce qui permet d’éliminer des interdictions est bienvenu », a dit à Rabvsberg l’ex-mannequin Maria Teresa Gonzalez. Pour le journaliste, ceci est « un point de vue partagé par de nombreuses personnes dans un pays dans lequel, selon les dires du romancier Lisandro Otero, tout ce qui n’est pas obligatoire est interdit ».
De son côté, une personne responsable d’un parking de stationnement assure par exemple que « plus un être humain a des libertés, mieux c’est. Moi, je pourrai difficilement me l’acheter car je vis juste avec mon salaire, mais celui qui pourra se le permettre, celui qui aura des économies, celui qui aura l’argent disponible, qu’il se l’achète ».
Voilà donc de quoi il s’agit : un changement culturel
Et à présent, qui pourra se le permettre… ?
… tous ceux qui pourront prendre en charge l’impôt de 100% que l’Etat cubain a indexé sur chaque véhicule neuf, avec comme justification le fait « qu’avec ces revenus, la création d’un fond national pour la promotion des transports publics est prévu ».
En guise d’information auprès des citoyens, la division automotrice de la corporation CIMEX a publié quelques tarifs de base : par exemple, la moins chère des PEUGEOT est une 206 de 2013, pour laquelle le concessionnaire à Cuba demande 91.113,00 CUC.
Le salaire mensuel moyen d’un professionnel sur l’île oscille autour des 20 CUC.
Tout comme cela a eu lieu avec les nouveaux établissements gastronomiques qui poussent comme des champignons à La Havane et dans d’autres villes au cours des deux dernières années, les principaux candidats sont les cubains ayant de la famille qui réussit à l’étranger ou ayant d’autres sources de revenus alternatifs.
Et qui va garantir l’offre ?
Au même moment, le fabricant chinois Geely, dont des milliers de voitures roulent sur les routes de Cuba, a informé installer prochainement sur l’île une usine de montage sous le concept de semi-knock down (SDK). Cela consiste à importer des unités semi-montées pour être terminées sur-place.
Dans un communiqué retransmis sur Globaltimes et Cuba Standart, l’entreprise signale « qu’à la demande de plusieurs ministères cubains, dont celui du Commerce Extérieur et des Investissement Etrangers, des Communications et de l’Industrie Métallurgique, Geely International se prépare à lancer un projet SDK quelque part à Cuba », sans donner plus de précisions.
Dans une usine travaillant sous le principe du SDK, le fabricant exporte généralement vers le pays de montage un kit comprenant la structure de l’automobile, avec un certain revêtement ou déjà peint, pour alors incorporer le moteur, la transmission, le châssis et les roues, les sièges, les phares, les pare-brises et autres composants, parfois fabriqués sur place.
D’après des informations transmises par Geely International Corporation, Cuba est son principal marché dans les Caraïbes,  en Amérique Centrale et dans la zone nord de l’Amérique du Sud. La compagnie a vendu environ 3200 véhicules sur l’île en 2013, et le Geely CK a conservé sa place de modèle le plus vendu dans le pays depuis 2009.
L’annonce arrive au moment où l’île s’apprête à inaugurer en janvier 2014 la première tranche du terminal des containers de la Zone Spéciale du Développement du Mariel (ZEDM), un méga-projet qui offrira nombreux avantages pour les entreprises étrangères.
Le scoop est donc qu’un marché s’ouvre davantage aux investissements étrangers qu’aux propres bourses des cubains de Cuba, appelés par ailleurs par leur Président à reprendre, pour cette nouvelle année de récession, « la pratique d’une activité saine : la bicyclette ».

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