La symbolique du paysage fut marquée par le culte des siéides sans doute le plus ancien, des lieux de rites très fréquents essentiellement sur le territoire sâme. Le plus vieux document relatant ces traditions date de 1560 et mentionne que les Sâmes vénéraient des divinités de bois ou de pierre ou tout simplement des arbres et des pierres. Un siècle plus tard, le terme siéides ( ou seida) commence à figurer dans les documents. Il a entrainé une éclosion de toponymes et noms composés : on parle de lac-siéide montagne siéide ou golfe etc. Selon le lieu de leur rencontre on en distinguait en pierre ou en bois. Ceux en pierre sont surtout des rochers qui se détachent du milieu naturel par leur forme insolite (une falaise dessinant une forme animale et humaine), éminence isolée dans la lande, trou bizarre d'un torrent, récifs, ils attirent l'attention comme points de repère en particulier sur la toundra ou la mer. Ils se situaient à des emplacements importants dans la vie nomade cyclique des Sâmes, par exemple sur les rives des eaux de pêche (seida de poissons) ou sur les lieux de campement. Quand ils étaient petits, on les transportait avec le tambour chamanique et les esprits des foyers.Leur caractère tranché par rapport à l'environnement habituel suggéraient qu'ils étaient dotés d'une énergie particulière.
J'insère ici un texte de Suzanne Zaborowska ,dans le bulletin d'anthropologie de 1935: texte précis qui a le mérite d'être écrit à une époque où les vestiges de la civilisation traditionnelle étaient encore présents ;on notera pourtant qu'il n'est encore question que de lapons ainsi que le souci d'exotisme qui imprégnait encore l'anthropologie
« J'ai cherché moi-même quelques vestiges des anciens cultes, et parmi leur nombre imposant j'en ai trouvé d'intéressants.
Partout, en Finlande, en Suède et en Norvège, on trouve dans beaucoup d'endroits de très visibles restes de murailles en forme de cercles; des amas de pierres rondes en forme de cratère. Mais des images d'idoles ont disparu, détruites par les missionnaires et les Lapons eux-mêmes. Seulement, quelques-unes, édifiées par la nature, ou qui sont très grosses, subsistent encore et se dressent comme témoins du temps de l'idolâtrie. Certaines pierres ou rocs possédaient la puissance, de favoriser la pêche et la chasse, et appartiennent à la plus ancienne croyance des Lapons. Pierres et roches de cette sorte sont appelés sanctuaires (sieide). Il y avait aussi des collines saintes qui étaient honorées. Le nom norvégien de ces sanctuaires est landgott. Les sanctuaires que l'on connaît en Norvège sont des pierres qui, par leur forme et leur situation, attirent l'attention des voyageurs.
Ces blocs sont souvent, dans l'immensité.-les seules indications sur lesquelles les yeux s'arrêtent. Ils sont donc très respectés des Lapons. Ceux-ci les connaissent, et dans leurs voyages se dirigent vers eux et ils donnent certains noms à ces prières, selon leur forme ou leur grosseur. Elles les orientent dans le grand désert, pendant leurs annuelles migrations Elles sont pour ce temps comme une croyance divine et visible.
Dans ces contrées, quand les épais brouillards se dissipent, les Lapons aperçoivent la forme de ces pierres qui se dressent bien souvent près d'eux. Ce sont aussi des sommets de. montagnes et des pics neigeux.
On trouve donc de ces sanctuaires devant lesquels les Lapons défilent dans leurs annuels déplacements, surtout quand ils se. rendent sur les lieux de pêche ou de chasse au renne sauvage (cette dernière chasse est interdite depuis plusieurs années). Au bord de la mer, il y a de ces sanctuaires près des lieux de pêche abondante. Ces grandes pierres sont honorées parce qu'elles font une grande impression : « qui dépassent leurs connaissances », comme ils disent. Lorsque, le Lapon, dans la montagne, découvre un animal, soit un renne ou autre, il se fait immédiatement un dieu avec une grosse pierre ou un morceau de bois, enfin, ce qu'il trouve, et ceci le plus près possible de l'endroit où il a trouvé l'animal, et là il offre à l'idole qu'il a lui-m*me érigée quelques poils de renne ou ses cornes, et l'asperge du sang de la bête pour que, même au loin, il ait de la chance. On trouvait donc certaines pierres éclaboussées de sang et enduites de graisse, auprès aussi des cornes de renne et des os calcinés. Sans ces formalités, les sanctuaires ne pouvaient être consacrés.
Toutes les pierres sacrées, en Norvège, sont façonnées par la nature seulement Les Lapons pasteurs offrent des cornes, des os, du sang de la bête. Les Lapons pêcheurs : des poissons et de l'huile de poisson. Les Lapons du bord de la mer : des têtes de poissons et des laitances
Les croyances des Lapons ont été imprégnées de celles des Finnois. On trouve donc chez eux le culte des esprits : tout ruisseau, montagne, forêt, lac, a, dans leur imagination, un esprit.
Les Lapons adoraient et faisaient des offrandes à des pierres se dressant aux approches d'un endroit dangereux : chutes de rochers sur une plaine herbue, sous un glacier, près d'une piste de renne, vers un gué. Souvent aussi, ils offraient du beurre, de l'eau-de-vie, des animaux, des aliments et du tabac quand ilsn'avaient pas autre chose. Ils invoquaient aussi, pour devenir riches, pour avoir de, beaux et gros rennes, des femelles qui donnent du lait, des faons nombreux, et aussi pour que le troupeau ne soit pas abandonné. Ils croyaient aux habitants des cavernes souterraines, des fées, des glaciers et au diable, qui recevaient leurs offrandes avec plaisir.
Dans les légendes laponnes, on considère ces pierres comme vivantes et animées, et même qu'elles peuvent se mouvoir. Dans la nuit, elles parlent correctement, elles punissent les petits larcins et la rupture des serments. Ils croyaient aussi que bien des autels étaient des hommes pétrifiés. Des Lapons qui vivent encore vous racontent des scènes dont ils ont été les témoins. »Suzanne Zaborowska Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris Année 1935 Volume 6 Numéro 6-4-6 pp. 46-60
Les seida en bois qui, d'après la tradition, n'ont pas d'âge, sont soit des arbres aux branches inférieures élaguées (ils indiquaient les bons lieux de pêche en Carélie et étaient le lieu de sacrifices pour une bonne pêche), soit des souches d'arbres taillées à la main, soit des mâts formés par des arbres tombés. On les vénérait comme des divinités de la chasse(ou de la pêche) et on en sculptait sur les lieux de chasse fructueuse avec des traits humains et quelquefois les initiales du chasseur
Outre le paysage, un autre élément capital de la mythologie sâme était la cosmologie, quoiqu'elle ne formait pas un véritable système (rareté des mythes cosmologiques).Il s'agissait plutôt d'une connaissance des repères astronomiques nécessaires pour l'orientation et l'appréhension du temps, soleil, lune ou étoiles. Ce savoir était véhiculé par les « cartes cognitives », mémoire d'un peuple et de chacun et aussi par le tambour « magique » des chamans et ses symboles. (On a ainsi interprété le cercle ou le losange figurant au centre de la peau de nombreux tambours comme un symbole du soleil).Le soleil était peut être féminin comme chez d'autres peuples et on vénérait et sacrifiait à Beaivi nieida, la « demoiselle soleil » (qu'on disait aussi fille du soleil), à la fin de la nuit polaire. Toujours en se fondant sur la lecture des symbolismes du tambour, il semble qu'il y ait eu un dualisme entre soleil(le bon) et la lune (le mal), cette dualité venant peut-être d'un syncrétisme avec le christianisme. Le culte de la lune était essentiellement affaire de calendrier. Les Sâmes faisaient concorder dans le calendrier une année solaire de douze mois à une année lunaire de treize mois. Aussi ce la treizième lune qui tombait en décembre avait une importance ait eu une importance religieuse primordiale.
« Il fut un temps en Laponie où la religion dégénéra en un tel méli-mélo que différents dieux : le dieu chrétien, Radien, Ylbmel finnois, et le dieu Thor nordique furent adorés indistinctement au même titre que les dieux lapons. Le fait que les Lapons, tout comme d'autres peuples primitifs, n'avaient pas une conception de la vie établie de manière définitive a contribué plus tard à créer une confusion d'idées. Ils n'ont d'ailleurs pas cherché davantage à fixer leurs conceptions religieuses dans un système quelconque. Leurs croyances n'étaient pas toujours identiques dans toutes les régions, y compris chez les habitants d'une même région, ainsi que le PrWiklund l'a démontré.
« Deux principes, le bien et le mal, tous deux éternels, semblent avoir concouru à la création de l'homme, des dieux, et du monde dans la religion originelle des Lapons. C'est pourquoi la destinée de l'homme est soumise à une interaction perpétuelle entre le bien et le mal, ce qui par excellence, est la source de la vie. Ainsi, l'existence ne fut pas aussi dure que le mauvais esprit l'aurait souhaité, ni aussi heureuse que l'esprit bienveillant y aspirait.
On raconte comment ces esprits s'affrontèrent à coups de montagnes, faisant voltiger de gros rochers en l'air quand finalement, après la création, ils s'affranchirent l'un de l'autre.
Tout ce qui les accablait, tout ce qui était inexplicable et déchaîné devint pour eux domaine du surnaturel, devant lequel ils devaient s'incliner, et qu'ils devaient amadouer par des dons et des sacrifices. Il n'y avait sûrement pas davantage de bonté particulière chez leurs esprits, que de méchanceté prononcée, tant qu'ils les « satisfaisaient » et que ces derniers n'avaient pas de raison d'être mécontents. Ils n'avaient pas un seul dieu, mais « une multitude de divinités qui, ensemble, maintenaient la vie en équilibre », tout comme une fois, un vieil Esquimau polaire m'avait défini ses croyances.
Ils imaginent le soleil, la grande source de chaleur, la mère adoptive de tout ce qui vit, comme un être vivant, qui exigeait des sacrifices des hommes. Il a certainement été leur dieu le plus important, comme semble entre autres le montrer le fait qu'ils s'appellent eux-mêmes les « fils du soleil ».
C'est particulièrement vers la Saint-Jean et à Noël, que l'on faisait de grosses offrandes au soleil, lesquelles consistaient en de jeunes rennes femelles blanches. On l'implorait pour qu'il éclaire les rennes d'une lumière propice, surtout les terrains qu'ils devraient fouler pour se nourrir. Lors des sacrifices, hommes et femmes faisaient un festin avec la bouillie du soleil, ainsi nommée. »
Le sacrifice de Noël avait lieu à l'époque où le soleil commençait à monter dans le ciel.
Outre le soleil, le tonnerre était également personnifié ; la tempête avait une pelle avec laquelle elle amassait les vents, et un maillet avec lequel elle les chassait. Les cours d'eau, les forêts, certaines montagnes ou certaines pierres de forme bizarre, les étoiles, etc., étaient aussi personnifiées…. ». Knud Rasmussen. Laponie Voyage Au Pays Des Fils Du Soleil. Esprit Ouvert
« Au cours de la nuit, la lune fait le tour du pays des monts de Laponie, disparaissant et renaissant tour à tour. La lune pleine éclaire treize fois dix nuits dans l'année, et treize lunes "succédant au jour" s'inscrivent dans l'almanach des Lapons, bien que la lune n'ait elle-même que douze noms. Après Noël, c'est Odda-jagi-maano, la lune de la nouvelle année, qui s'approche en premier de la tente lapone, suivie par la dure garra-guovva-maano, la rude et impitoyable lune, avec ses gels et ses tempêtes de neige. Sur ses traces viennent les printanières njuvtsa-maano et gaaranas-maano, les lunes du cygne et du corbeau. Puis le pays des monts connaît tsuongu-maano, la lune de la neige glacée, lune où le sud prépare déjà ses semailles, mais où la Laponie voit lentement fondre ses épaisses congères et où la neige forme une croûte. Vient ensuite la douce miessimaano, la lune des faons, temps des naissances et début de l'été lumineux. Mais quand on arrive à kasse-maano, la lune d'été, lorsque le pays du sud vit déjà le mois de juillet, alors l'été le plus chaud flamboie, les herbes et les tiges dressent leurs pointes avec vigueur, les sorbiers au bord des rivières ouvrent leurs odorantes fleurs blanches et les cruelles mouches agacent toute vie, tout être à fourrure touffue qui se meut sur les monts. Mais pendant la snjilttsha-maano, tous les animaux abandonnent leurs vieux pelages de sorte que tous ont une nouvelle toison splendide à la borhge-maano, la lune nue. À la lune suivante, rahka-maano, qui dans le sud chasse la fin de l'été pour le mois d'octobre, lorsque la Laponie engrange ses ressources pour l'année, les troupeaux de rennes s'agitent frénétiquement sur les monts. C'est alors sur les monts la lune des ruts, la saison des accouplements où les affrontements des bêtes mâles dominent toute la vie des Lapons. Enfin vient golggo-maano, la lune de la torpeur et de la fatigue. Les rennes mâles sont épuisés, l'été et l'automne s'achèvent et le jour disparaît derrière les monts. Mais après cela arrive déjà le grand juovla-maano, décembre, que suit la nouvelle année avec ses nouveaux jours ". »Samuli PAULAHARJU. Contes de Laponie.
La tradition religieuse de la civilisation de chasseurs-pêcheurs (celle des éleveurs fut vite plus métissée de christianisme) était aussi fondée, sur des liens entre les animaux, leurs esprits et l'esprit de chaque lieu (l'existence de chacun en dépendait). En un sens, tout était religieux, aucun acte n'était profane. Un ours, un renne, un chien par exemple n'étaient pas des éléments naturels au sens zoologique, mais des parents, des partenaires, des interlocuteurs qu'il fallait respecter.
La vie humaine, se modelait comme on l'a vu sur les cycles temporels des corps célestes mais aussi sur celui des corps animés dont les associations étaient sacralisées, d'où l'importance des rituels et du culte des esprits animaux. Chez les Sâmes comme dans les cultures nord eurasiennes existait le totémisme, soit une relation particulière entre une espèce animale (le corbeau, l'aigle, le lagopède, le castor, le loup, l'ours) et les clans ou diverses communautés. L'animal totem apparaissait dans les mythes d'origine Sâmes comme l'ancêtre fondateur, protecteur de la communauté. Les divers esprits à qui on demandaient assistance ou autorisation pour des prélèvements dans la nature étaient eux-mêmes honorés à partir de sacrifices ou des dons provenant de cette même nature : ainsi en était-il des bois, du sang, de la graisse, des sabots de rennes pour assurer de bons pâturages, de bonnes chasses, ou d'autres
L'ours et les peuples du Nord, en particulier, sont étroitement liés dans la mythologie. Les peuples du Grand Nord y doivent leur nom de peuples « arctique » le mot dérivant du grec arctos et signifiant justement « ours » et qui habitent sous la Grande Ourse. Les mythes abondent sur ses métamorphoses possibles, en particulier qu'il pourrait se changer en homme et vice-versa. Lorsqu'il est agressif on le dit « possédé par quelque sorcellerie. La tradition sâme veut ainsi que l'ours soit un animal sacré dont le nom est tabou. L'ours "sâme" était un indicateur, un marqueur de la temporalité qui gérait en quelque sorte le cours des saisons et qui assurait leur heureuse transition autorisant ainsi les migrations des Sâmes et les activités s'y rapportant. L'hibernation correspondait à la disparition du soleil et son réveil annonçait son retour. Ses pouvoirs de produire ainsi les changements de saison l'avaient fait investir d'autres pouvoirs tout aussi essentiels et en accord avec ceux-ci comme celui de guérir par l'ingestion de certaines parties de son corps, comme maître des animaux chassés, comme d'être présent lors des rituels liés au mariage ou à l'accouchement.
Il semble que la chasse à l'ours, était particulièrement ritualisée. Les pratiques rituelles commençaient habituellement dès les préparatifs de la chasse ; un festin de l'ours était organisé au village .Les hommes revenant de la chasse devaient éviter de croiser des femmes sur leur chemin ; avant d'avoir effectué certains rites protecteurs, celles-ci ne pouvaient pas regarder les hommes rentrant dans la tente(ceux-ci entrant par une « porte sacrée »au nord de la tente) et n'avaient pas le droit de faire cuire la viande de la bête abattue. Celle ci était cuite par les hommes dans une tente particulière.
On a retrouvé des tombes d'ours sur des lieux de sacrifices connus, ce qui prouve qu'on sacrifiait ces animaux. Les vestiges trouvés dans les fosses d'ours près des habitations indiquent que cet animal était enterré selon des rites identiques à ceux de l'homme. Il était essentiel de préserver tous les os de la bête abattue et de les mettre en terre ou dans une grotte, en respectant au mieux l'anatomie de l'animal en position debout ou couchée. Il arrivait aussi qu'on place les ossements sur les branches d'un arbre. Tout ce culte de l'ours renvoyait à la chasse et à la divinité protectrice de celle-ci : un seigneur des animaux, Leaibeolmmâi « l'homme d'aulne ».
Le fait de conserver les ossements de la bête abattue, commun à toutes les cultures de chasseurs-pêcheurs, se retrouve chez les Sâmes pour le renne. Pour s'assurer de la chance à la pêche, les Sâmes devaient, dans certaines traditions, remettre les os d'un animal trouvé mort à leur place anatomique, les protéger des prédateurs, etc. La place capitale du renne dans le mode de vie est présente par l'abondante terminologie du renne et de la harde. Une centaine de termes différents définissent les individus selon leur âge, leur sexe, leur couleur, leur corpulence et la forme de leurs bois. Une notion essentielle semble être la couleur et le sexe de l'animal. Le pelage du renne est normalement gris-brun sur le dos et les flancs, blanc ou gris clair sur le ventre et le cou, mais la couleur du poil peut varier du blanc au brun foncé et à une robe tachetée. Un renne albinos, entièrement blanc, était un animal vénéré. ». Le renne blanc femelle, était un animal porte-bonheur que chaque propriétaire souhaitait posséder dans son troupeau. Le renne porte-bonheur était supposé protéger l'intégrité de la harde et lui permettre de s'accroître. un renne « surnaturel »pouvait aussi parfois se manifester,y compris sous la forme d'un homme. Dans la religion de l'éleveur de rennes, la réussite dans l'élevage du troupeau est une valeur qui déterminait les conceptions et le comportement religieux. Avant d'agir, on consultait certains présages et on effectuait certains rituels pour accroître le nombre de bêtes. Pour s'assurer de cette réussite, on sacrifiait des bêtes entières ou des morceaux de bêtes à diverses divinités, aux esprits, Les Sâmes ont également adopté des peuples voisins la coutume de donner en offrande des animaux domestiques — par exemple, des chèvres, des boucs, des moutons, des chats, des coqs, des bœufs — mais se sont limités la plupart du temps aux sacrifices de rennes. La couleur, le sexe et la valeur de l'animal primaient dans leur choix : on sacrifiait en général la meilleure bête du troupeau.
Ci -dessous un joïk (Yoïk) ,,chant traditionnel ,reflet du rapport du nomade et de ses rennes.
Je chante encore Ultevis,
Je chante les hautes collines d'Ultevis.
Et l'appel des vajas,
Et le son des grelots
Résonnent avec mon yoike.
Qu'elles brament, les vajas d'Ultevis !
Que les mâles d'Ultevis Polissent leurs bois
Aux saules d'Ultevis… na, na, na.
Là sont les vajas qui me restent de mes ancêtres,
et on entend encore la voix des vajas
et l'appel des jeunes rennes dans le pays
entre les bouleaux du haut d'Ultevis, velle valla van.
(vaja est la femelle du renne)
Quelques lignes encore de Mariusz WILK, extraites de "Dans les Pas du Renne ".Explorant, avec les Sames de Kola, la toundra et les montagnes et poursuivant les traces des rennes sauvages, il en tire une leçon de sagesse transmise par les nomades.. A l'instar de Bruce Chatwin (le Chant Des Pistes), qui est sa référence, -pour Mariusz WILK,il y a plus d'un point commun entre les aborigènes et les Sames-,il se veut « L'arpenteur Des Chemins » ;suivant les pas des rennes il trace ainsi son propre chemin : « l'arpenteur des chemins c'est l 'homme qui émane de la route et la route c'est celle qui nait de l'homme ».
« les Saamis ont été ce miroir dans lequel je me suis regardé pendant tout l'hiver, pas forcément les individus vivant aujourd'hui (car ce sont plutôt des hybrides de l'époque postsoviétique), mais j'ai fait aussi des lectures sur ceux de l'ancien temps. J'ai pensé à eux, je me suis représenté leur vie, ce qui m'était d'autant plus facile que j'avais expérimenté sur moi-même à la fois la nature et les caprices du climat, que j'avais vu leurs dessins sur les rochers et ce qui s'était conservé de leurs croyances dans les patrons de couture et les objets sculptés en os, dans les contes et les chants.
Grâce aux Saamis, j'ai plongé le regard dans l'intérieur de mon propre puits, d'où fut lancée la première flèche de l'homme chasseur (pour parler comme Pascal Quignard). Face aux nomades du Nord, les yeux dans les yeux, je me suis interrogé sur mon identité tribale. La catégorie « peuple » ne convient pas à cette confrontation. La polonité est beaucoup trop restreinte. J'ai aussi examiné attentivement leur foi païenne, dont le baptême nous a privés il n'y a guère plus de mille ans. Il ne s'agit nullement de la magie de la chasse ou de voyages chamanistes, mais de cette intuition panthéiste primordiale située aux sources des recherches métaphysiques de l'Homo sapiens (je trouve leur couronnement chez les vieux maîtres du tao), tant qu'elle n'a pas été évincée par les fumées des encensoirs, les dogmes, l'exorcisme et les livres sacrés des religions ultérieures. »
Pour finir, l'auteur rapporte un mythe sâme, Le Conte De La Piste Ecarlate dont je donne un extrait évoquant la cosmologie du soleil et de la lune, imaginaire riche de poésie et de tout un savoir astronomique et géographique ,caractéristique de tous ces « peuples premiers ».
Le Soleil a pour monture le matin un ours, à midi un renne mâle et le soir une vajenka. Le Soleil est donc venu depuis l'autre côté de la mer, il a renvoyé la vajenka, il est entré dans la maison, il s'est fait homme. Il voulait se reposer, dormir un peu, et voilà que son fils, Péïvalké, vint à son père et dit :
-Je veux me marier.
-Je ne dis pas non, répondit le Soleil. Marie-toi, fils, puisque tu le veux.
- Comment pourrais je me marier, père, puisque sur la Terre, il n'est pas possible de trouver une fiancée ? Mes pantoufles ne vont à aucune jeune fille. Elles ont les pieds trop lourds. Avec une telle femme, on ne peut vivre dans le ciel. On séjournerait plutôt sur terre avec elle.
- C'est vrai, c'est vrai, dit le Soleil, chagrin.
Péïvalké s'inclina devant son père, le Soleil, et lui demanda
- Cherche-moi une épouse dont le pied sera à la mesure pantoufles dorées, à visage humain et au corps pâle comme un rayon de lune, afin que personne ne sache, pour ma tranquillité, si elle existe ou si elle n'existe pas.
- Tu me charges d'une tâche difficile, fils. Si tu cherches pour épouse une fille qui n'est pas de notre sang, elle brulera l'infortunée. Pourtant... un instant... Cela me revient, connais une pareille. J'ignore seulement si elle est assez mûre pour prendre un époux. Bon, je vais essayer de te trouver fiancée, prends patience. Couche-toi et dors jusqu'à ce que je te réveille.
Péïvalké se coucha et s'endormit profondément, afin tout soit accompli comme il le désirait quand il serait éveillé
Le Soleil attendit un jour où la Lune sortait dans le ciel. De loin, tout était pour le mieux. Dans sa pénombre, on voyait comme l'ombre d'une jeune fille : tantôt elle était là, tantôt non Le Soleil s'approcha et dit :
-J'ai entendu dire, voisine, que tu avais une fille charmante ; j'ai un fils pour elle. Il est temps de les marier.
- Comment as-tu appris, compère, l'existence de ma fille ; demanda la Lune, alors que je ne sais pas moi-même avec certitude si elle existe ou non? Je crois la tenir dans mes bras ma toute petite. Je sens son souffle. Mon cœur frémit. Mais vraiment, je ne sais pas.
Et la Lune serra son enfant sur son sein. Le Soleil vérifia d'un doigt, là, quelque chose gazouilla.
- Peu importe qu'elle soit si petite ; chez nous, elle deviendra \ un beau brin de fille. Auprès de nous, tout grandit. Même ce qui n'existe pas naît.
La Lune sourit.
- Tu essaies de me tromper, compère : chez vous elle flambera.
- C'est toi qui triches : tu dis que tu la tiens dans es bras, t alors que tu ne sais pas si elle existe ou non.
Le Soleil se pencha.
- Où est-elle ?
-Je t'interdis !... cria la Lune. Tu lui fais mal. Elle n'est pas pour vous ! Elle est destinée à un autre, à celui qui aux confins du ciel brille très faiblement et papillote à ras de terre.
Le Soleil se fâcha :
- Comment oses-tu comparer mon fils à quelque clarté évanescente ! Notre lumière, c'est la vie, et non un pâle papillonnement.
- Ne te fâche pas, voisin, ta force n'est forte qu'à moitié et ta puissance n'est qu'une demi-puissance. Et au crépuscule? Et la nuit? Où la chercher en hiver? Lui, il est puissant au crépuscule et pendant la nuit, en hiver comme en été. Lui et moi vivons d'une lumière commune. Par conséquent, ne te glorifie pas, vieillard, de tes forces.
Pour le Soleil, c'en était déjà trop. Il cracha une telle bouffée de chaleur que la mer déborda, que la terre trembla et se souleva jusqu'à former les montagnes.
Les eaux stagnantes, les ténèbres des forêts et toute l'armée des ombres, les faisceaux de l'aurore boréale en tête, se lancèrent au secours de la Lune.
Les créatures vivantes étaient divisées : les oiseaux, les rennes et les chèvres prirent parti pour le Soleil, les bêtes sauvages se rangèrent derrière la Lune.
Et par-dessus tout, le tonnerre se déchaîna dans le ciel.
L'épouvante tomba sur les hommes.
Le Vieillard sous la forme d'un Morse s'éveilla (ne demande pas son nom, mieux vaut ne pas le prononcer), vit tout ce désordre, bâilla et fit descendre la nuit sur la Terre.
Les choses commencèrent à se remettre en ordre tout doucement; elles n'étaient pas à la même place qu'avant, mais en revanche, tout retrouva son calme.
Seul l'ours flaira une bonne affaire, ne se déclarant ni pour le Soleil ni pour la Lune. Il se mit à l'affût dans l'ombre, saisit le tonnerre par la barbe, le fourra dans un sac et le traîna chez lui où il l'enferma dans le hangar, la porte cadenassée ; ensuite, il s'assit, et il est toujours assis. Il regarde, attendant de voir ce qui va se passer.
Dans la nuit, le silence tomba. Tous finirent par revenir à la raison et rentrèrent chacun chez soi, pour vaquer à leurs affaires. Le Soleil revint à la raison. La Lune revint à la raison.
- Rien ne sert de se quereller, commère, il faut s'entendre. Tu as dit toi-même que tu ne savais pas s'il y avait une jeune fille ou s'il n'y en avait pas. Comment quelqu'un qui n'existe pas pourrait-il être destiné à qui que ce soit? Sans mon accord, cela n'aboutira à rien.
La Lune devint toute triste :
- Apparemment, tel est notre destin. Tourner craintivement autour de toi.
- Donne-moi ta fillette-qui-n 'existe-pas, dit le Soleil en riant, et, ma parole, elle deviendra une beauté, plus belle que les baies du framboisier sauvage.
-Bien, mais promets-moi que tu lui permettras de garder notre clair-obscur.
-Qu'il en soit ainsi, commère; d'accord pour votre clair-obscur, pourvu qu'elle obéisse à nos lois.
Ils chuchotèrent encore pendant un certain temps, se mettant d'accord sur les détails. Ils se dirent au revoir et le Soleil se hâta de rattraper le jour. »
Notes:
Les Lapons possèdent un patrimoine de contes et de légendes proches de ceux des peuples voisins. Pourtant ces légendes recèlent de nombreux éléments propres à leur histoire et croyances Le personnage principal est le « Stallö », un monstre cannibale qui a les traits d'un ancien fantôme arctique, symbolisant la fertilité païenne en Scandinavie et les percepteurs d'impôts ou autres intrus dangereux. Les histoires les plus étranges sont certainement celles d'hommes qui défient des corps célestes ou les forces de la nature, et finissent par perdre la vie dans ce combat. Il y a aussi des légendes qui racontent avec humour les luttes contre les assaillants venus d'autres peuples, surtout les Caréliens et les Russes ; en règle générale les Lapons sont victorieux, mais ils gagnent par la ruse, non par des batailles rangées.
les dessins sont de l'artiste sâme: Nilsson Skum (1871-1952) qui a illustré la vie de son peuple.
Quelques images du film très glamour (et loin du monde réel des Sâmes): Le Renne Blanc.
A suivre
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