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Avec Proust, contre Sainte-Beuve

Publié le 18 février 2014 par Francisrichard @francisrichard
Avec Proust, contre Sainte-BeuveAvec Proust, contre Sainte-Beuve

Marcel Proust avait dans la tête un essai sur sa conception de l'art et de la littérature, qu'il comptait un moment adjoindre à son grand roman qu'est devenue La Recherche.

De cet essai il a entrepris la rédaction, mais il l'a abandonné en chemin, bien qu'il lui tint à coeur, pour se consacrer à la seule oeuvre qui lui importait vraiment, qui n'a cessé de croître et d'embellir sous sa plume et dont il a fini par raccorder tous les bouts épars pour en faire un monument insigne de la littérature française.

Contre Sainte-Beuve, puisque c'est ainsi que cet essai a été baptisé après coup par ceux qui en ont rassemblé les fragments, est donc un essai mis de côté, resté inachevé. Mais, tel quel, il montre pourquoi la Méthode Sainte-Beuve a fait passer le célèbre critique à côté des plus grands écrivains de son temps tels que Stendhal, Nerval, Baudelaire, Flaubert ou même Balzac.

En quoi consiste cette méthode fallacieuse et prétendument intelligente?

"Cette méthode qui consiste à ne pas séparer l'homme de l'oeuvre, à considérer qu'il n'est pas indifférent pour juger l'auteur d'un livre, si ce livre n'est pas "un traité de géométrie pure", d'avoir d'abord répondu aux questions qui paraissent les plus étrangères à son oeuvre (comment se comportait-il...), à s'entourer de tous les renseignements possibles sur un écrivain, à collationner ses correspondances, à interroger les hommes qui l'ont connu, en causant avec eux s'ils vivent encore, en lisant ce qu'ils ont pu écrire sur lui s'ils sont morts, cette méthode méconnaît ce qu'une fréquentation un peu profonde avec nous-même nous apprend: qu'un livre est le produit d'un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices."

L'instinct, et non l'intelligence, permet de découvrir ce qu'a écrit cet autre moi, parmi les diverses personnes superposées qui compose une personne morale (au sens propre, bien sûr, et non pas juridique):

"Si l'intelligence ne mérite pas la couronne suprême, c'est elle seule qui est capable de la décerner. Et si elle n'a dans la hiérarchie des vertus que la seconde place, il n'y a qu'elle qui soit capable de proclamer que l'instinct doit occuper la première."

Grâce à son intelligence, qui place l'instinct à la première place, Proust peut écrire:

"Dès que je lisais un auteur, je distinguais bien vite sous les paroles l'air de la chanson qui en chaque auteur est différent de ce qu'il est chez tous les autres et, tout en lisant, sans m'en rendre compte, je le chantonnais, je pressais les mots ou les ralentissais ou les interrompais tout à fait, comme on fait quand on chante où on attend souvent longtemps, selon la mesure de l'air, avant de dire la fin d'un mot."

C'est cette oreille-là qui a permis à Proust d'écrire des pastiches, qui sont encore les meilleures des critiques littéraires.

Et je regrette que d'aucuns n'entendent pas la critique littéraire de cette oreille. Jugeant l'oeuvre à l'aune de l'homme qu'ils décortiquent, ils passent à côté de beaux livres qu'un autre moi que cet homme a commis et qui finissent par lui échapper au profit des lecteurs:

"Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère. Sous chaque motchacun de nous met son sens ou du moins son image qui est souvent un contre-sens. Mais dans les beaux livres, tous les contre-sens qu'on fait sont beaux"...

Francis Richard


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