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L’indifférence n’est pas une solution

Publié le 26 février 2014 par Copeau @Contrepoints

L’indifférence que nous demande Alex Korbel dans son article du 21 février ne peut être la vertu capitale d’un ordre véritablement libéral.
Par Constance Mas.

S’il y a bien un mot à la mode que je n’aime pas, c’est le mot « tolérance ». Déformation professionnelle oblige, je ne peux pas m’empêcher de la voir comme la marge d’erreur que l’on concède autour d’une norme. L’intervalle d’erreur dans une estimation, le défaut géométrique acceptable pour chaque pièce d’un assemblage mécanique, ou encore la capacité à supporter les agressions extérieures sans compromettre l’intégrité d’un matériau ou la survie d’un organisme.

Intolérable tolérance

Lorsqu’il s’applique en société, ce concept ne me plaît pas. Une société d’ « indifférents », de tolérants, est une société où certains définissent la norme et la marge de déviance acceptable, et où d’autres contraignent leur mode de vie de façon à ne pas dépasser cette tolérance. Cas pratique : en France, les manifestations sur la voie publique et les spectacles humoristiques sont tolérés dans la mesure où ils respectent les « valeurs de la République » définies préalablement par le législateur (ou définies à posteriori par un ministre, on n’est plus à ça près).

mouton
L’un des objectifs assignés à l’école dans le projet socialiste est l’apprentissage de la tolérance. À l’École de la République, vous dira M. Peillon, tout le monde est accepté. À condition bien sûr de ne pas trop s’éloigner de l’écolier témoin pour lequel l’Éducation nationale a été conçue : ni trop bête, ni trop intelligent ; ni trop catholique, ni trop juif, ni trop musulman ; ni trop introverti, ni trop turbulent ; ni trop fille, ni trop garçon. Pour ma part, j’aimerais que les parents des élèves surdoués, ceux des élèves qui ont besoin de plus de temps et ceux qui préféreraient un enseignement non mixte puissent choisir librement de se regrouper afin d’éduquer leur progéniture selon leurs différences respectives.

Vous allez me dire que c’est terrible de raisonner ainsi, que l’école est le lieu du « vivre ensemble » et que les enfants ainsi éduqués ne seront jamais capables de vivre en société. À l’heure où l’indifférence et la tolérance sont la norme, vous n’auriez pas totalement tort :  lorsqu’on est croyant et qu’on s’intéresse à la politique, cela demande beaucoup de travail sur soi pour supporter une vie où toute discussion politique ou religieuse est bannie de la vie professionnelle de peur de révéler des différences, ou pire transformée en farce afin d’éviter les opinions trop tranchées. Pourtant, pour celui qui est conscient de sa propre particularité et enraciné dans sa culture et ses traditions, la confrontation est attrayante. Il n’a aucune raison de craindre la différence de son interlocuteur : au pire, leurs opinions seront irréconciliables, au mieux l’un d’eux sortira enrichi de cet échange. De la même façon, supprimer nos différences de préférences, de compétences et de richesse matérielle sonnerait le glas des échanges, et demander aux acteurs économiques de les ignorer lors de leurs choix serait tout autant contre-productif. Excusez-moi pour la platitude du propos – je vous assure que certains rêvent d’une société où les revenus et les besoins de tous seraient égaux – si si, même en 2014. Sans différences, pas d’échange.

L’organisation des séparations

Je n’ai pas pour autant la prétention de mettre fin par une vague d’amour salvatrice et de respect mutuel à la xénophobie, à l’antisémitisme, et à toutes les phobies que notre société se fait un plaisir d’inventer chaque jour. Au contraire, je suis intimement persuadée qu’il existe des modes de vie humainement1 inconciliables. Lorsque le dénominateur commun entre deux personnes est proche de zéro, la moindre des choses est de leur reconnaître le droit de ne pas cohabiter. Vous ne pourrez pas rendre indifférentes l’une à l’autre une femme musulmane souhaitant porter le Hijab et une prostituée, ou une femme au foyer et une féministe bornée haïssant les hommes. Si je suis libérale, c’est bien parce que je souhaite, entre autres choses, que chaque parent puisse choisir les professeurs de ses enfants, chaque patron ses employés, chaque employé son contrat de travail, et chaque propriétaire ses locataires – selon leurs propres critères, fussent-ils communautaires, sexués ou basés sur leur richesse matérielle. C’est également parce que je pense que la meilleure des solutions est toujours de laisser le champ le plus large possible aux alliances privées. Il y a certainement des communautés qui n’auront aucune raison de s’allier lorsque la France sera libérale (on peut rêver). Et sans doute d’autres qui auront des exigences particulières pour leurs futurs membres, à la manière d’un propriétaire qui choisit qui inviter chez lui. Mais je garde l’espoir que cela limitera les sources de conflit, tout comme ne pas trop fréquenter certaines personnes permet de rester poli et détendu lorsque la rencontre est inévitable.

L’indifférence au service du pouvoir

L’indifférence n’est pas une attitude adaptée à une France où l’État est omniprésent et où sa sphère d’influence s’accroît chaque jour avec l’excuse de la démocratie. Alimentation, hygiène, logement, éducation, sexualité, culture, loisirs… l’État s’autorise à statuer sur tout. Il n’y a pas de façon plus efficace pour faire appliquer une norme que de confier son élaboration à la majorité. Être indifférents, c’est donner à cette majorité le pouvoir d’associer à chaque norme une certaine tolérance, de prévoir les cas particuliers et d’aménager des espaces de « liberté ». Le droit du travail ne vous convient pas tout à fait ? Écrivez une convention collective. La lourdeur de l’administration écrase votre entreprise ? Utilisez donc un des nombreux statuts « simplifiés » spécialement pour votre situation. Le montant de votre contribution à la collectivité et son utilisation ne vous plaisent pas ? Il y a des déductions prévues pour les gens comme vous. Mais attention, les écarts de la norme sont réglementés – il ne faudrait tout de même pas oublier qu’elle existe. En se faisant les champions du « je n’en pense pas moins » et de « tu n’es pas obligé de regarder/écouter/participer », on oublie que, bien souvent, c’est précisément notre indifférence qui autorise l’État à limiter nos libertés individuelles, et à frapper fort lorsque la différence s’exprime.

  1. Je fais pourtant partie des fous qui pensent que si la grâce divine s’en mêle, c’est une autre histoire

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