Dimanche, il fait beau, enfin un dimanche ensoleillé dont nous pouvons profiter après des semaines de pluie et d’un temps maussade, même la terre a respiré ce jour-là, mais elle n’a pas pu sécher, mon ami Émilio a donné un coup de pied dans une grosse motte dans un champ :
• -C’est pas bon, c’est humide à l'intérieur, c’est pas bon.
Cela fait des semaines qu’il grogne dans son coin, des semaines qu’il attend de retourner la terre pour lui faire prendre l’air et pour planter :
• -Mais tu ne peux rien faire avec ce temps, le moindre semi se met à pourrir, ça me fout le moral à zéro…
J’ai beau lui dire que c’est un problème cosmique, d’alignement planétaire, d’explosions solaires, lui, il ne voit que la pluie, la pluie, toujours et encore la pluie et le moral à zéro.
J’aimerais tant être capable de lui apporter un peu de soleil, mais « le trou de la vieille » comme on nomme le cœur de la vallée au loin, est noir comme du Buis brûlé, et nous savons que cela augure la pluie, alors mon ami grogne, lui qui aime désespérément le soleil, lui qui en a besoin pour vivre, comme nous tous, mais je perçois son désarrois et je suis bien incapable de le soulager. Je me contente de sortir le chien avec lui une à deux heures par jour quand je peux, et nous discutons, parfois, nous marchons sans dire un mot, c’est aussi bien, nous savourons de longues promenades en regardant la nature environnante, il est vrai que nous avons de la chance de vivre dans une région aussi belle que le jour lorsqu’il sourit.
Ces derniers temps, je trouve mon ami bien silencieux, c’est encore l’autre abruti des jardins ouvriers qui raconte des méchancetés sur tout le monde, Émilio ne supporte pas la méchanceté gratuite et encore moins la rumeur, car celle-ci vous tue un homme plus vite qu’une piqure de scorpion et ici, la rumeur se répand comme une plaie d’Égypte, simplement parce qu’un malfaisant lance :
• -on m’a dit que…
Alors, un autre crétin qui croit détenir le secret des dieux qu’il faut dévoiler à tous prix aux mortels, décide de répéter bêtement ce « qu’on m’a dit » lui a confié, et en moins d’une heure, toute la ville est au courant, sans que personne ne se pose de question, sans que personne ne doute de la fausse vérité, cette même fausse vérité qui a poussé un brave homme, innocent comme l’agneau qui vient de naître, à se suicider il y a trois ans, à se pendre dans sa cuisine avec une simple corde en lin et un nœud bien coulant pour surtout ne pas se rater ; la calomnie gratuite, les agissements sordides et bassement humains d’une foule mal informée qui se jette, tel un charognard affamé sur sa victime, pour lui crever ses pneus de voiture jusque dans sa modeste propriété, alors qu’il avait à peine de quoi manger et qu’il était incapable de les remplacer, et à quoi cela servirait-il, là-haut, dans la plénitude du paradis, c’est certainement ce qu’il s’est dit avant de pousser la chaise et de se laisser tomber dans le vide, cela a dû bien prendre 2 à 3 minutes, à revoir sa vie défiler devant ses yeux révulsés, ses petits bonheurs et surtout, ses derniers malheurs qui l’ont poussé à commettre l’irréparable et à mourir étouffé, asphyxié.
C’est fait, la bête est morte, la calomnie se frotte les mains et les imbéciles sont satisfaits et s’en retournent chez eux avec, tout de même, un pincement au cœur en se demandant qui vont ils persécuter après celui-là, car il ne faut jamais s’arrêter en si bon chemin.
Mais, celui qui a fait courir la rumeur sait-il seulement qu’il est un assassin ?
Non, bien sûr, il n’en sait rien la rognure d’ongle, et il s’en désintéresse complètement, ce qui compte pour lui, c’est de faire le mal, le reste, il s’en fiche, ça ne le regarde plus encore un qui interprète la Bible à sa manière :
- Après moi le déluge...
Émilio a longtemps pleuré son ami, un déluge de larmes, mais il ne l’a dit à personne, et à chaque fois qu’une rumeur se répand, il prie le ciel qu’elle ne lui soit pas adressée, qu’elle ne soit adressée à personne, car il connaît la méchanceté des gens, aussi ridicule qu’inutile, mais terriblement assassine.
De mon côté, je n’ai jamais compris la méchanceté, même si je la sais bien présente autour de nous, elle vient de nulle part nous surprendre lâchement par derrière, la traitresse sublime qui nous poignarde pour le plaisir de nous voir souffrir.
Comme ces gens doivent être malheureux pour être le centre, l’origine du mal, comme je les plains et en même temps, je les fuis comme la peste noire, que faire d’autre ?
Comme le misérable scorpion de l’histoire, incapable de s’empêcher de piquer, ils sont incapables de résister à l’appel de la bêtise qui vient de loin, maudits soient-ils, hommes et femmes sans foi qui détruisent la vie des honnêtes citoyens pour le plaisir de les voir souffrir.
Émilio est un homme patient, trop, encaisse en silence, comme si de rien n’était, il est comme ce bocal que l’on rempli d’eau jusqu’à le faire déborder, et puis, il est trop tard, il craque, il s’enfuit, il ne veut plus rien savoir, mais il attend trop longtemps, il est incapable de dire stop parce qu’il ne croit pas que les humains puissent être si bêtes ; alors qu’ils le sont, médiocres, un nombre incalculable le sont, mais son degré de spiritualité ne lui permet pas de croire que l’homme se limite à être cet idiot qui agit ; il existe des gens insupportablement crétins, irrattrapables, incorrigibles, des champions du monde de la bêtise humaine, Balzac nous en parlait dans la Comédie Humaine, cette comédie cynique et sordide, elle n’a guère changé, l’homme reste fidèle à lui-même, surtout s’il n’a aucune aspiration spirituelle.
• -« Ce n'est pas la violence, mais le bien qui supprime le mal. » nous dit Tolstoï, « Aimez tout le monde et pardonnez à tout le monde, y compris vous-même. Pardonner votre colère. Pardonner votre culpabilité. Votre honte. Votre tristesse. Embrasser et ouvrez votre amour, votre joie, votre vérité et surtout votre cœur. »
Nous dit un autre, et pourtant, on a beau se bien comporter, être plein d’amour envers son prochain, il y a toujours des malfaisants pour se venger de leur tristesse d’être misérable, qui s’acharnent sur des innocents pour projeter sur eux un peu de leur malheur comme pour dire :
• -Moi je souffre, alors pourquoi pas toi…
Sans pour autant se poser la question de savoir si leur victime qui a la pudeur de ne pas partager sa souffrance, ne souffrent pas en vérité bien plus qu’eux.
J’ai connu un malade non loin de chez moi, un homme souffrant qui était venu se confier à moi de sa maladie alors que je ne le connaissais pas, j’ai fait de mon mieux pour l’aider, j’ai pris du temps que je n’avais pas, j’ai engagé ma parole auprès de médecins, j’ai rédigé des courriers, envoyé son dossier médical et la seule façon qu’à trouvé cet homme pour me remercier de mon aide, a été de répandre des calomnies sur mon compte, il a fait courir des fausses vérités dans tout le quartier, car je n’avais pas permis à ce qu’il guérisse, lui qui m’avait menti en me cachant qu’il avait une maladie génétique incurable. Parce que je n’avais pas été envoyé par Dieu pour le soigner, alors il me l’a fait payer, comment dans ce cas, tenter d’aider ceux qui souffrent pour subir par la suite leur épouvantable vindicte, épouvantable et inutile ?
Hier, J’ai découvert une femme extraordinaire en battant la campagne pour les municipales, celle-ci me raconta une anecdote similaire. Un jour, un homme confia à son époux une bicyclette toute neuve, celui-ci est marchand de cycle, lui, l’avait mise de côté, ne souhaitant pas la revendre, l’idée d’un bénéfice financier ne lui était pas venu à l’esprit. Dans la rue, il remarqua une femme, de toute évidence démunie, qui faisait ses petites courses et qui semblait se plaindre du poids à porter, il l’interpella et lui demanda si elle souhaitait avoir un vélo pour porter ses courses ? Celle-ci ne comprit pas, il alla chercher le vélo neuf en question et le lui présenta. J’ignore si la pudeur de la joie ou l’habitude de profiter de la générosité des gens la frappa, elle imagina sans doute que le marchand de cycle lui jouait un mauvais tour alors qu’il souhaitait simplement lui venir en aide, de la manière la plus charitable et la plus simple possible. Elle inspecta le vélo et se plaignit qu’il n’avait pas de vitesses, en effet, il n’en n’avait pas, mais il était neuf et c’était un cadeau, elle râla encore quelques minutes et sans même un merci repartit avec le cycle. Le marchand et son épouse furent choqué par une telle indifférence, non pas qu’ils attendirent des effusions, même s’ils auraient pu se nourrir de la joie d’une personne démunie soudain sauvée par un samaritain, mais tant de mépris les déçurent au point qu’ils en parlent encore aujourd’hui avec beaucoup d’incompréhension.
Je crois que pour recevoir, il faut de l’éducation, il faut de l’empathie et surtout, comprendre que d’autres pourraient bénéficier du cadeau que l’on propose et que, un simple merci pourrait suffire… Je ne puis m’empêcher de penser à cette tirade du « Vin de Paris » de Marcel Aymé :
• -Salauds de pauvres !
Qui montre combien le manque d’éducation pousse certains à des réactions indignes, mais de tels sentiments se retrouvent dans toutes les classes sociales sans distinction pour le malheur des hommes de bonne volonté.
Ainsi, pour en revenir à notre malade vengeur, si tous les malades du cancer ou de maladies orphelines ou génétiques devaient culpabiliser le monde de leurs douleurs, mais nous n’en finirions pas de subir les foudres des mal portants tellement ils sont nombreux.
Seuls les misérables se chargent d’accuser ceux qu’ils jalousent pour les rendre esclaves de leur contrôle pathétique et illusoire. Ceux qui souffrent vraiment ont la foi dans l’espoir, et si l’espoir ne suffit pas, ils croient en quelque chose de supérieur qui les aide à supporter l’horreur de l’idée d’une mort prochaine, car, quoique l’on en dise, les grands malades ont une amie au quotidien qu’ils connaissent bien et qui les borde tous les soirs avec la même assiduité, la Faucheuse est présente auprès de chaque lit, de chaque chaise roulante, elle est là, elle nargue, elle provoque avec finesse et subtilité et même si nous en serons tous victimes un jour, l’homme puise dans son âme la force de résister et de fermer la porte à cette ingrate qui ne fait que prendre sans jamais donner ; et ceux qui sont capables de grandir ainsi ne se vengent pas d’avantage sur les biens portants, c’est tout le contraire, ceux qui souffrent donnent et donnent encore plus d’amour autour d’eux, car ils savent la beauté de la vie et de la santé et ils l’embellissent par leur sourire et leur joie, oh, je sais bien que c’est contradictoire, et pourtant c’est la pure vérité. Lorsque l’on connaît la souffrance, on mesure la beauté de la vie et ceux qui sont incapables de se projeter avec intelligence et amour ne sont que des humains indignes, incapables de s’élever et de grandir, de s’élever à l’état d’homme de bonne volonté.
Alors, ces suppôts du « on m’a dit que… » Feraient-ils du mal pour avoir de l’attention, de l’amour ?
Oui, je le crois, ils sont malheureux d’être lâches, leur vie est ennuyeuse et pour lui donner du piment, ils se délectent à répandre mensonges et calomnies, juste pour voir comment ils seront perçus. Ils vont à la pêche en quelque sorte, à la pêche à l’émotion, et si un accident se produit, ce n’est pas de leur faute, ils n’ont parlé qu’à une personne après tout, le reste, ce n’est plus de leur responsabilité, mais comme "L’ignorance est mère de tous les maux" (Rabelais), nous ne devons pas nous étonner de tels comportements, mais nous les subissons au quotidien. Il est pourtant si simple de vivre en harmonie avec son prochain, si simple et si compliqué à la fois.
- "Au fond, toute âme humaine est cela : une fragile lumière en marche vers quelque abri divin, qu'elle imagine, cherche et ne voit pas" (André Maurois)
Nous vivons une époque formidiable…