On peut ignorer ce qui nous lie à un être, ne lui trouver que peu de choses à notre goût, mais l’aimer et, par cet amour, atteindre ce quelque chose qui le rend unique et précieux.
À l’inverse, on peut, d’une personne, aimer toutes les qualités, beautés physique comme morale, sans l’aimer : sans vivre sa présence comme une bonne nouvelle qui nous est destinée. Ce qui vaut de l’amour « amoureux » vaut pour tout amour.
De l’amitié à la charité, du voisinage à la fraternité, c’est une même loi que l’on pourrait formuler ainsi : si l’on a toujours raison d’aimer, on a rarement des raisons d’aimer.
Aimer ne se peut donc qu’à la folie : on aime d’abord, malgré les apparences, même parfois contre elles. On s’attache à l’être aimé par un attrait qui n’a rien de mondain ou d’objectif : l’amour étonne, celui qui aime comme celui qu’on aime.
Allons plus loin : il nous faudra parfois traverser les charmes de la personne aimée, ses points forts qui la rendent si appréciable, il nous faudra la voir nue, dépouillée de ses plus beaux attributs, toute fragile, pour commencer à l’aimer vraiment. L’aimer vraiment ? Je veux dire : se laisser convier au mystère de sa présence.
L’amour, on le sait, a quelque chose de mystérieux. Mais il est moins ce mystère lui-même que l’enceinte sacrée qu'on dresse autour de notre prochain, pour garder le secret qu’il est.
L’amour est cet espace où l’être aimé peut se déployer dans ce qu'il a de propre et d'indéfinissable, d'irréductible aux qualités qui sont les siennes. Ainsi, si l'on demande : « Pourquoi m'aimez-vous ? Pour quels traits de ma personnalité vous êtes-vous laissé séduire ? », il se pourrait que seule la personne qui nous aime vraiment soit à court de réponse. Ne nous soucions donc pas tant de plaire : ceux qui nous aiment sont séduits par ce qui rayonne de nous, qui s’en échappe et ne nous appartient déjà plus. Par ce secret qui nous confie à eux.
Martin Steffens
(source : La Vie)