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À quelle « théologie des deux royaumes » les fondateurs du baptisme réformé adhéraient-ils : réformée ou radicale ?

Par Monarchomaque

Eglise & Etat

Pendant la Réformation du XVIe siècle, l’expression « deux royaumes » fut articulée par Jean Calvin pour décrire les deux sphères d’actions distinctes et complémentaires que sont l’Église et l’État, sans pour autant que ce réformateur ne prônât une quelconque forme de piétisme. La théologie réformée des deux deux royaumes mise de l’avant par Jean Calvin était indissociable de la théonomie, c-à-d du maintient du respect public et externe des Deux Tables du Décalogue par la magistrature.

Comme je le démontre dans cette étude, au milieu du XVIIe siècle, la génération fondatrice du baptisme réformé était unanimement théonomiste. Toutefois, comme je le dégage dans cette analyse, l’erreur piétiste a commencé à se propager dans la dénomination réformée baptiste à partir de la seconde génération.

La théologie radicale des deux royaumes, telle que popularisée par Meredith Kline, Michael Horton et David VanDrunen dans la seconde moitié du XXe siècle et en ce début de XXIe siècle, insiste énormément sur la notion de droit naturel : le droit biblique serait bon pour l’Église et le droit naturel, différent et indépendant du droit biblique, serait bon pour l’État. Une telle position est strictement inorthodoxe, comme le montre ce tableau sur la loi naturelle telle que promue par les théologiens et les jusrisconsultes éminents de la Réformation protestante et de la Révolution puritaine. L’évidence historique impose le constant suivant : la position majoritaire de la Réformation affirme que la loi naturelle n’est ni différente ni autonome de la loi biblique ; la position minoritaire de la Réformation affirme que ces deux lois peuvent être distinguées mais que la Chute rend la loi naturelle insuffisante pour réguler les collectivités humaines et que c’est pourquoi Dieu nous founit un système de lois révélées dans la Bible. Aucune de ces deux positions protestantes n’est compatible avec la théorie de la loi naturelle popularisée par Kline, Horton et VanDrunen, pour qui la loi naturelle sert de prétexte pour déroger à la loi biblique.

Il est chronologiquement impossible que les fondateurs du baptisme réformé ayant vécus au milieu du XVIIe siècle aient épousés une théologie conçue par ces auteurs pseudo-presbytériens des XXe & XXIe siècles. Cependant, puisque la théologie radicale des deux royaumes est essentiellement une variante sophistiquée du piétisme, nous pourrions dire que certains individus réformés baptistes piétistes (pardonnez-moi cette oxymore) de 2ème ou de 3ème génération adhéraient à la théologie radicale des deux royaumes. En connexité avec cela, on m’a référé à une liste d’articles de Samuel Renihan de Particular Voices qui militeraient supposément contre ma thèse solide et étayée voulant que la génération fondatrice était unanimement théonomiste. J’entends adresser ces articles un par un et ainsi vérifier si ma thèse passe le l’examen ou bien si elle doit être amendée. Procédons.

→ Nehemiah Coxe on the Dual Kingship of Christ and the Covenant of Redemption

Dans l’extrait cité de Vindiciae Veritatis (1677), Nehemiah Coxe (†1688) dit que Jésus-Christ est Seigneur sur toutes choses pour deux raisons : 1. Il est Créateur de toutes choses ; 2. il est Médiateur de l’alliance de rédemption. De tels postulats s’accordent parfaitement avec la théologie réformée des deux royaumes (qui elle-même est indissociable de la théonomie), et n’ont rien à voir avec la lubie du droit naturel non-biblique de David VanDrunen.

→ William Perkins on the Dual Kingship of Christ and the Two Kingdoms

Dans l’extrait cité de Golden Chaine (1592), William Perkins (1558-1602) dit que Jésus-Christ a, en matière civile, des vice-régents temporels, mais qu’en matière alliancielle/ecclésiale, il n’en a pas, donc que la royauté dualiste de Jésus-Christ opère différemment en matière civile qu’en matière alliancielle. Soit. Une telle affirmation n’apporte pas grand chose au débat entre la théonomie et le piétisme, puisqu’elle n’est pas contestée. De surcroît, ici, Samuel Renihan admet lui-même que les magistrats doivent « maintenir la justice et la droiture selon la loi de Dieu » !

Dans l’extrait cité de Faithfull Witness (1607, publication posthume), William Perkins soutient qu’il y a une différence entre la paix spirituelle et la paix politique, et que la paix politique doit être établie et préservée en brandissant le glaive temporel. Cela milite clairement en faveur de la théonomie !

Et de toutes façons, William Perkins était un anglican low-church alors il est impertinent de faire intervenir ce personnage dans un débat portant sur les réformés baptistes, à moins de prouver que sa théologie a influencé les réformés baptistes, ce que Samuel Renihan se garde bien de faire (car il influence il a eu, c’est vraisemblablement influence théonomiste).

→ Liberty of Conscience and the Two Kingdoms

Dans Certain Quaeries Concerning Liberty of Conscience (1649), Henry Danvers (1622-1687), un baptiste arminien (cf. Oxford DNB) déploye un argumentaire piétiste. Il dit notamment qu’« un magistrat incroyant est néanmoins un magistrat ». On se demande pourquoi, dans ce cas, Henry Danvers a combattu contre les « magistrats » papistes sous Henri IV de France et Maurice de Nassau (Stahouder de Hollande & Zélande), a combattu contre le « roi » Charles Ier d’Angleterre dans l’armée du Parlement, a participé à la tentative de coup d’État contre le « roi » Charles II d’Angleterre en 1665 (Rathbone Plot) et a participé à la révolte contre Jacques II d’Angleterre en 1685 (Monmouth Rebellion). Les actions répétées et concrètes de ce personnage arminien démentent sa plume.

Abraham Booth on the Two Kingdoms

Bis repetita placent : distinguer entre l’autorité royale de Jésus-Christ et l’autorité régalienne des magistrats civils ne prouve strictement rien dans le cadre du débat entre la théonomie et le piétisme. Une telle distinction n’est nullement remise en question !

→ Henry Ainsworth on the Kingdom of Christ

Dans l’extrait cité de The Old Orthodox Foundation of Religion Left for a Patterne to New Reformation (1641, publication posthume), Henry Ainsworth (1571-1622) n’adresse pas le rapport entre la magistrature terrestre et la loi divine. Mobiliser cet extrait n’est pas une contribution utile dans le cadre du présent débat, d’autant plus que ce personnage n’est pas un réformé baptiste.

→ Samuel Richardson on the validity of the present government

Le pasteur & auteur réformé baptiste Samuel Richardson (†1658) était de conviction théonomiste, comme je le démontre dans cette analyse de sa pensée.

→ Tenure in Canaan is not the same as tenure in Christ

Dans l’extrait cité de An Essay on the Kingdom of Christ (1791), Abraham Booth (1734-1806) affirme que qu’il est faux de croire ques les saints de l’Ancien Testament étaient sauvés par leur obéissance à la loi hébraïque. Les théonomistes sont parfaitement en accord avec cela. Par ailleurs, l’Oxford DNB dit : « He was a firm believer in religious liberty, though somewhat dogmatic in stating his own view, particularly in later years. » C’est là l’influence pernicieuse des « Lumières ». Mais Abraham Booth n’est pas un fondateur des réformés baptistes, et mobiliser l’opinion inorthodoxe de cet homme sur la liberté religieuse est sans utilité dans le cadre d’un débat portant sur la génération fondatrice de cette dénomination.

The church is the kingdom of God, heaven on earth

Dans l’extrait cité de The Parable of the Kingdom of Heaven Expounded (1674), Hanserd Knollys (1598-1691) compare l’Église au Royaume des Cieux en remarquant que l’Écriture parle souvent de l’un et de l’autre avec le même vocabulaire. Cette simple affirmation est insuffisante pour établir que Hanserd Knollys adhérait à la version radicale de la théologie des deux royaumes, et comme je le démontre dans cette étude, cet homme se positionnait plutôt dans le camp de la théonomie.

En fin de compte, ma thèse passe l’examen et n’a pas besoin d’être amendée : la génération fondatrice des réformés baptistes était unanimement théonomiste et adhérait à la théologie réformée des deux royaumes plutôt qu’à la théologie radicale des deux royaumes.


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