Par Isidore Kpotufe.
Qu’est ce que le tribalisme ?
Le tribalisme, comme sentiment d’appartenance à une tribu, c’est à dire à un groupement humain ayant en partage une même culture fondée essentiellement sur la langue, est un phénomène culturel ancien, tout à fait normal. Il traduit en chaque Homme la conscience de l’identité qu’il porte et des devoirs culturels et moraux liés à cette identité. Du strict point de vue où il concourt à l’affirmation d’une identité culturelle, le tribalisme n’est en rien un vice ni une tare.
Le suffixe « isme » du mot indique la primauté, la première place accordée à quelque chose. En explorant donc la définition de ce mot d’un autre angle, on dirait que le tribalisme est la priorité accordée à une tribu au détriment d’une ou de plus d’une autre. Ainsi en Afrique, on peut définir le tribalisme comme étant lié aux inégalités sociales et politiques ; une source de conflit interethnique basé sur le fait que l’on valorise son identité propre, sa tribu ou son ethnie au détriment de celles des autres.
Son origine
Tout un ensemble d’études révèle que le tribalisme devint un danger en Afrique depuis l’époque de la balkanisation du continent sous l’ordre de colonisation – se créa ainsi des territoires artificiels. Ces nouveaux territoires étaient sous l’influence de leurs pays colonisateurs qui, eux, possèdent différentes vertus, valeurs culturelles et morales… Chacun de ces nouveaux territoires créés valorisait plus leur culture (héritée de leur puissance coloniale) – et c’était au détriment de l’autre.
C’est une réalité aujourd’hui, cette question de tribalisme et de régionalisme en Afrique. Ils se lisent très souvent dans les mentalités et politiques des dirigeants et une faction des citoyens qui se croient supérieurs aux autres : un autre fléau qui freine largement le développement de l’Afrique. Les conséquences directes et indirectes du tribalisme et du régionalisme en Afrique sont énormes et très dévastateurs. Dans des pays où cette pratique est fortement prédominante, il y a un grand lien entre le tribalisme ou le régionalisme et l’inégalité sociale et économique…et donc la pauvreté.
C’est une nouvelle vague de phénomène qui menace de défaire la démocratie naissante en Afrique, de détruire le développement économique. Le phénomène donne libre cours à des violences interethniques dévastatrices. Ce fléau semble être alimenté par un nombre de facteurs. Le leadership politique à la tête des pays africains est lamentable. Le sentiment s’est installé que pour réussir dans beaucoup de pays africains, que ce soit pour un emploi ou un appel d’offres dans le secteur public ou privé, l’élément déterminant est qui l’on connaît, souvent basé sur l’ethnie ou la région plus que ses propres compétences et potentiels.
L’Afrique semble être devenue une société basée sur le patronage, ce qui alimente le tribalisme plutôt qu’une société basée sur le mérite. Les cadres des partis politiques au pouvoir pour l’emploi ont été utilisés à des fins opportunistes, tribales ou de factions. Les dirigeants emploient parfois pour des positions clés au niveau gouvernemental et dans les grandes entreprises, des amis et des alliés provenant de leur propre région ou communauté ethnique, plutôt que des personnes selon leurs talents et compétences.
Une autre cause du tribalisme dévastateur est la corruption rampante du secteur public et des services publics qui laissent à désirer. Beaucoup de fonctionnaires irresponsables ont aussi conduit les populations à manquer de confiance ou à présumer que le seul moyen d’obtenir un service satisfaisant réside dans la sollicitation de l’intervention de leurs compatriotes de même ethnie ou de même région qui sont des membres importants du parti au pouvoir ou occupant des postes gouvernementaux.
En Afrique du Sud par exemple, il y a une forte persistance du tribalisme dans le secteur privé. Il apparaît que certains business « blancs » – dans le secteur anglophone – donnent la préférence à leur communauté, en particulier à ceux qui ont fréquenté les mêmes écoles et universités.
La tragique histoire de l’Afrique depuis l’indépendance est que presque tous les mouvements de libération et d’indépendance qui sont parvenus au pouvoir n’ont permis qu’à une petite fraction de profiter de la fin de la colonisation. Malheureusement, la plupart de ceux qui se sont enrichis après l’indépendance ont été ceux qui avaient des connexions avec les dirigeants, les factions, les familles, les régions ou les groupes ethniques dominants de ces mouvements d’indépendance.
Le bénéfice des subventions ethniques sera toujours à court terme. Pourtant les conséquences sur la santé de la société en général seront pernicieuses. Les pays en voie de développement qui ont réussi depuis la Deuxième Guerre mondiale, particulièrement ceux de l’Est asiatique, doivent leur réussite à l’implication d’une large palette de population, pas seulement à un groupe ethnique ou à une élite. Ces pays en voie de développement, où seul une petite élite, basée sur l’ethnie ou la région ou une faction politique, sont devenus prospères mais ont stagné en tant que pays, sont devenus corrompus et même se sont parfois désindustrialisés. Même la reconstruction de l’Europe occidentale au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale avait pour prémisse un contrat social qui voulait sortir tout le monde de la pauvreté en même temps et pas juste quelques heureux élus « ethniques ». C’est en fait le fondement de l’État-providence d’Europe occidentale : chacun dans la société doit être protégé peu importe son affiliation ethnique ou politique.
Il faudra donc chercher un moyen d’élimination de ce fait qui prétend freiner le développement de l’Afrique ; il faut aussi renforcer les organisations institutionnelles et constitutionnelles en termes d’expertises en vue de promouvoir la bonne gouvernance. Les médias eux ont également un rôle important à jouer dans la conscientisation des populations en ce qui concerne le changement de mentalité sur cette question.