Magazine Société

"Tout à fait homme" de Barbara Polla

Publié le 02 mars 2014 par Francisrichard @francisrichard

Dans son livre précédent, Tout à fait femme, Barbara Polla disait qu'elle avait un penchant pour les hommes qui sont tout à fait hommes. Qu'entendait-elle par là? Les hommes avec lesquels elle pouvait échanger.

Une phrase de son livre, tournée comme une petite annonce, indiquait implicitement quels hommes pouvaient prendre part à ces échanges avec elle:

"Femme, libre et fidèle à soi-même, cherche homme avec lequel échanger, libre et fidèle à soi-même."

Il s'agissait donc d'échanges sur un pied d'égalité, mais peut-être pas au sens féministe habituel. D'ailleurs, Barbara Polla tient des propos qui ne le sont pas... et adjure les hommes, à la fin de son livre:

"Ne laissez jamais l'habitude obscurcir vos rêves."

Pour écrire son livre, Barbara Polla a rencontré pas moins de deux cents hommes, qu'elle appelle ses hérauts, c'est-à-dire ceux qui ont accepté de lui parler d'eux-mêmes, en tant qu'hommes, librement, fidèles à eux-mêmes. Puis elle a écrit son livre, l'été dernier, au château d'Ercourt, la résidence d'artistes créée par Michaela Spiegel en Normandie, où elle a rencontré ses tous derniers hérauts.

Ce qui est caractéristique chez Barbara Polla, c'est la liberté de ton, la remise en cause des poncifs sociaux et le naturel avec lequel elle aborde les sujets les plus tabous. Il n'est donc pas étonnant que ses deux cents hérauts se soient confiés à elle, sachant qu'ils pouvaient lui parler sans trop de retenue et qu'elle respecterait leur anonymat.

Qu'est-ce qui les fait hommes, les hommes? Le fait d'avoir un sexe et un corps physiques, que leur objet-sexe soit pour eux, dès le début de leur existence, un jouet, un hochet vivant:

"Le sexe du garçon change de forme et de fonction quand on le manipule et apporte du plaisir à celui qui joue avec (bien avant d'en apporter ensuite à ses partenaires)."

Le fait que cet objet-sexe, au moment de la puberté, devienne non seulement objet de plaisir, mais instrument de production:

"Plaisir et production deviennent indissociables."

Cette production doit se comprendre au sens large et recouvre par la suite production de "matière", d'objets de toutes sortes et d'oeuvres d'art de toutes sortes également... qui sont en réalité autant de substituts au bon fonctionnement du sexe.

L'homme est dual. En latin il y a d'ailleurs deux mots pour exprimer cette dualité, homo  et vir. Le premier, c'est l'homme dans toutes ses dimensions; le second, l'homme dans le désir (sans lequel il n'est pas de vie: l'absence de désir, c'est la mort), l'homme en érection.

Cette dualité se retrouve dans les  deux états du sexe masculin, le pénis et le phallus. Comme Barbara Polla  l'avait déjà fait remarquer dans son livre précédent, il est peu d'artistes-femmes jusqu'à récemment, qui aient représenté le sexe masculin, a fortiori  érigé. Or, sans représentation, précise-t-elle, il n'y a pas connaissance et "à ne pas le représenter on annule le sexe masculin"...

Le sexe masculin remplit deux fonctions: "donner du plaisir et donner la vie". Barbara Polla appelle de ses voeux une révolution des mentalités, qui changerait "complètement la vision que les hommes ont d'eux-mêmes et les relations entre hommes et femmes":

"Imaginons qu'en public comme en privé, plus personne ne dise à aucune femme: "Fais attention aux hommes", mais uniquement: "Réjouis-toi des hommes"? Imaginons encore que tous et toutes reconnaissent la beauté vitale, la puissance, le phénomène inouï des deux états, pénis et phallus... que toutes et tous se réjouissent de l'érection et lui reconnaissent son rôle fondamental: donner du plaisir, toujours, et la vie, quand la femme le désire, elle aussi?"

Si l'homo erectus est un homme en érection, il est avant tout celui qui s'est mis debout. On retrouve les liens entre cette posture et le sexe masculin dans la résistance, notamment en politique, dans les formes multiples de créativité, notamment en architecture.

Comme vu plus haut, vir n'est pas seulement l'homme en érection, mais l'homme dans le désir. Les hommes que Barbara Polla a rencontrés lui ont parlé de l'importance pour eux que revêt le désir pour la femme, c'est-à-dire toutes les femmes. Elle leur demande toutefois de le leur dire:

"Chers hommes, si je ne fais pas erreur, si je vous ai bien entendus, si je vous ai bien compris, si le désir, les désirs, leur force et leur multiplicité, sont bel et bien essentiels pour vous, dans ce cas, expliquez-nous à haute et intelligible voix, la physiologie, la nécessité, la "bonté" de vos désirs. Alors peut-être, nous femmes, toutes ensemble, reconnaîtrons-nous votre droit au plaisir de désirer d'autres femmes, et les bienfaits de ces désirs assouvis ou non."

Car, pour les hommes, la monogamie semble impossible:

"Dans le collectif d'hommes avec qui j'ai eu le plaisir d'interagir pour la préparation de ce livre, peu nombreux sont monogames au sens strict du terme."

Si les hommes aiment la femme, c'est parce qu'elle les a mis au monde. Les mères aiment leurs fils, en qui elle voit l'homo et qu'elles aiment de manière inconditionnelle, tandis que les femmes "d'après" voient le vir dans les hommes qu'ils sont devenus et les aiment de manière conditionnelle. Ils ne peuvent plus faire l'enfant...

Quand les hommes atteignent l'âge mûr en même temps que leur femme, ils sont attirés par des femmes plus jeunes. Barbara, dans son livre précédent, expliquait cette attirance par le potentiel de fertilité qu'elles représentent. Cette fois, elle ajoute que leur femme qui est en général du même âge qu'eux a maintenant celui que leur mère avait quand ils se sont "encouplés" avec elle... Les femmes mûres ne devraient-elles pas oublier qu'elles sont mères pour redevenir femmes-femmes, "vieilles et jolies"?

L'homme, comme vu plus haut, peut jouer dès le plus jeune âge avec son sexe-objet. Ce qui fait dire à Barbara Polla:

"Cette conjonction riche et forte, "objet - jeu, plaisir/forme et fonction", me semble déterminante pour comprendre la propension de l'homme à jouer, toute sa vie. Ils confirment."

Ce serait pourquoi, depuis la nuit des temps, les hommes ont créé des jouets, puis des machines... Ils aiment le jeu, qui est "libre, séparé, incertain, improductif, réglé et fictif". Qu'il s'agisse de sexe, de cartes, d'art, de sport ou de moto, ils s'y adonnent librement, dans un lieu dédié, en prenant des risques - "risquer, c'est ressentir la vie en jouant avec la mort" -, en faisant oeuvre inutile, en observant des règles, en fantasmant...

Barbara Polla relève à propos du fantasme:

"Le désir unifie l'érotisme et la pornographie, dans le fantasme plus que dans l'acte pour l'érotisme, dans l'acte plus que dans le fantasme pour la pornographie. Dans l'image, dans tous les cas. Dans la création, donc, si tant est que les images sont toujours des créations."

Si les hommes doivent dire aux femmes "la physiologie, la nécessité et la "bonté"" de leurs désirs, ils doivent veiller jalousement sur leur intimité et les femmes ne pas y faire d'intrusion:

"Les secrets doivent le rester, et si nous cherchons à les percer, nous prenons le risque de tout perdre: l'homme, ses secrets et l'amour."

Alors Barbara Polla demande instamment aux hommes de dire vraiment aux femmes "ce qu'ils désirent, pourquoi, comment, dans le sexe et dans leurs vies", sans crainte de les blesser:

"En écoutant les hommes, tout au long de la préparation de ce livre, en les suivant, je me suis rendu compte que la plupart ne s'octroient pas la liberté de dire ce qu'ils font. Ils savent ce qui est important pour eux, ils le vivent, mais ne le disent pas. Cette liberté de dire - au sens d'affirmer et non pas de dévoiler ses secrets - leur est confisquée, par eux-mêmes avant tout. Mais, parmi toutes les libertés, celle de dire est essentielle."

Les homosexuels ont eu ce courage de dire. Alors, pourquoi pas les hétérosexuels?

Francis Richard

Tout à fait homme, Barbara Polla, 256 pages, Odile Jacob

Livre précédent:

Tout à fait femme


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Francisrichard 12008 partages Voir son profil
Voir son blog

Dossier Paperblog

Magazine