En matière délictuelle ou quasi délictuelle, les juridictions compétentes sont celles « du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ». L’article 5 §3 du règlement 44/2001 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale semble ici édicter une règle simple. Cette simplicité n’est pourtant qu’apparente. Pour cause, cette disposition pose encore aujourd’hui des problèmes d’interprétation devant être tranchés par la Cour de cassation et la Cour de justice de l’Union européenne.
Dans une affaire récente, la société British Broadcasting Corporation (BBC) avait diffusé sur sa chaîne BBC 4 un documentaire reproduisant plusieurs œuvres de Guy Bourdin et plusieurs des extraits du documentaire étaient accessibles en ligne sur You Tube.
L’ayant droit du photographe Guy Bourdin a assigné en contrefaçon BBC 4 devant les juridictions françaises.
Il s’agissait donc de savoir si le fait dommageable avait bien eu lieu en France.
En matière de cyber-délit, le fait dommageable est en effet apprécié à partir de deux critères qui peuvent jouer pour déterminer le lieu de matérialisation du fait dommageable : l’accessibilité au contenu litigieux et le public visé par ce contenu.
La Cour d’appel a déclaré les juridictions françaises incompétentes pour connaître du litige. Elle a en effet considéré que le documentaire en cause n’était pas destiné au public français, d’une part, et que le site de partage You Tube était étranger à la BBC, d’autre part.
En procédant à un tel raisonnement, la Cour d’appel a fait le choix d’une interprétation restrictive de l’article 5 § 3 du règlement précité puisqu’elle a uniquement pris en compte le critère du public visé et ignoré celui de l’accessibilité du site Internet.
La Cour de justice, dans un arrêt du 3 octobre 2013, a pourtant considéré que le fait dommageable pouvait être celui de la seule accessibilité du site Internet.
C’est donc à la lumière de cette jurisprudence que la première Chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 22 janvier 2014, a ici censuré la cour d’appel. Elle a ainsi considéré que les juridictions françaises étaient compétentes dans la mesure où des extraits du documentaire litigieux étaient accessibles en France via You Tube.
Cette interprétation de l’article 5 §3 en faveur des titulaires de droit d’auteur s’accompagne toutefois d’un inconvénient. Les juridictions françaises ne relevant pas de l’Etat membre où le fait générateur s’est produit (en l’espèce l’Angleterre), elles ne pourront accorder de réparation que pour le seul dommage subi sur le territoire français. Le demandeur ne peut donc espérer la réparation intégrale de son préjudice.
Le choix le plus facile n’est ainsi pas forcément le plus stratégique.