Il est des livres qui sont de véritables cadeaux. Celui que Félicien Morel a consacré à son ami Roger Monney en est un. Il est arrivé hier dans mon logis, par la poste, à point nommé. Il a illuminé de ses feux ma nuit dernière. Il a ravi mes yeux qui ne voulaient pas se fermer pour me procurer un sommeil réparateur. Il m'a fait oublier mes insuffisances et m'a fait rêver de dépassements réussis à force de caractère bien trempé.
C'est un livre-cadeau à plusieurs titres. D'abord, parce que c'est un très beau livre, illustré de magnifiques photos. Parce que, dans un texte chaleureux, Félicien Morel révèle aux ignorants tels que moi l'existence d'un ferronnier et sculpteur méconnu, pardon d'un plasticien, terme qu'il admet à la rigueur, lui qui, en fait, se revendique modeste artisan. Parce que cet homme libre est hors du commun.
Roger Monney est né le 24 mars 1933 à Grolley. Il est l'aîné d'une famille de dix-sept enfants, huit garçons et neuf filles... une famille pauvre, qui essayait autant que faire se pouvait de "rester pauvre" pour ne pas tomber dans la misère, surtout quand le père, "mécanicien sur vélos, accordéoniste à ses heures" a été mobilisé en 39-45 pendant de longues périodes et que le peu d'argent qu'il gagnait ne rentrait plus.
Comme ses frères et soeurs, Roger a été placé tout jeune dans une ferme de Villarepos. Il n'y a pas été à proprement parler maltraité, mais il a certainement été exploité sans trop de scrupules par son patron.
S'il a gardé un bon souvenir de l'instituteur de Villarepos, il ne peut pas en dire autant de l'école primaire de Grolley, où les châtiments corporels sévissaient, ou du curé du même Grolley, qui employait la manière forte pour faire rentrer le catéchisme dans la tête de ses jeunes ouailles.
Après son apprentissage de serrurier à Fribourg, à l'atelier Hertling, il a travaillé d'abord comme ouvrier serrurier chez Comte à Payerne, puis comme soudeur chez Dousse à Fribourg, avant de s'installer à son compte dès qu'il a pu, ce qui n'a pas été une sinécure.
Un tel homme, épris de liberté et prêt à en payer le prix, ne pouvait qu'être indépendant. S'il a le coeur tendre, il ne s'est jamais marié. Il travaille donc seul et vit de même, cet ermite qui garde les yeux bien ouverts sur le monde, cet homme qui, dit-on, ne serait pas facile d'abord.
Le livre de Félicien Morel, préfacé par Nicolas de Diesbach, nous montre d'abord le lieu où Roger s'est installé il y a plus de cinquante ans, à Bellerive, dans le Vully vaudois.
C'est une toute petite ferme qui surplombe le lac de Morat. L'atelier et le "salon" du lieu sont des capharnaüms, l'un encombré de pièces métalliques et d'outils de toutes sortes, l'autre d'oeuvres d'art, de livres et de vieux ustensiles de cuisine.
Ce beau livre nous montre l'oeuvre de Roger, qui, sans avoir fait le Tour de France, a l'esprit compagnon. Et ce qu'il nous montre est inédit puisque cet "artisan" a très peu exposé, vivant de toute façon en marge du milieu artistique, et du reste.
Cette oeuvre se compose de pièces en fer forgé - chandeliers, bougeoirs, grilles, figurines, enseignes d'établissements publics etc. -, de sculptures en fer, en fer et cuivre, en fer et pierre, en fer et bois, en acier inox et fer etc. qui représentent des symboles de la vie, des silhouettes, des éléments du cosmos, des bêtes, des crucifix et autres oeuvres d'inspiration religieuse... Il a même réalisé quatre oeuvres monumentales...
Parmi toutes ces oeuvres très originales, il en est qui me parlent plus que d'autres, telles que les grilles en fer forgé qui me rappellent la rampe de l'escalier de la maison familiale ou telles que "Adam et Eve", silhouettés en fer, le "Coup de lune" en fer ou encore la "Silhouette Oiseau" en fer métallisé vieux bronze. Parce que j'aime les formes sobres et élancées...
Au fil des conversations à bâtons rompus qu'il a eues avec Roger, Félicien Morel a noté quelques perles sorties de la bouche de cet homme truculent et généreux. Il en est une destinée à ceux qui aiment sans réciprocité, qui me plaît bien:
"J'ai aimé passablement, mais je n'ai pas été aimé. C'est une chance."
Francis Richard
Roger Monney - Ferronnier et sculpteur, Félicien Morel, 176 pages, L'Aire