Le poète Ronald Johnson, né en 1935 aux États-Unis, était quasiment invisible de l'historiographie littéraire quand il décéda en 1998. Absent des anthologies, ses livres introuvables, il fut apprécié de quelques poètes contemporains mais sa synthèse originale de visionnaire et d’expérimentateur n'est que peu à peu reconnue avec les rééditions et les études sur son œuvre. Son écriture se cristallise au contact de son compagnon d’alors, le poète Jonathan Williams, qui venait du célèbre Black Mountain College où avaient officié les avant-gardistes des années 50. À la suite d'un séjour en Angleterre, son livre The Book of the Green Man (1967) retrace ses promenades à pied dans la nature sous l'égide des Romantiques comme Wordsworth, mais son style fragmente lyrisme, légendes du Moyen-Âge, carnets de voyage du XVIIIe, à la recherche d'un personnage protéiforme, « l'homme vert », esprit animiste qui se retrouve sur des macarons d'église ou dans des processions villageoises. Avant de retourner aux États-Unis, il rencontre le poète écossais Ian Hamilton Finlay qui lui fait découvrir la « poésie concrète » où la réduction extrême du texte et l'utilisation des mots comme objets matériels entrainent une manipulation conceptuelle du langage. Ainsi dans son livre RADI OS (1977) Johnson découpe en creux les quatre premiers livres du texte iconique Paradise Lost du baroque Milton, effaçant minutieusement la plupart des phrases, ne laissant apparaître que quelques éclats flottant dans l'espace vide de chaque page : la destruction respectueuse d’un modèle crée une nouvelle œuvre avec des échos mystiques corrigés par une concision moderniste. Ronald Johnson se concentrera ensuite 20 ans sur son chef d'œuvre ARK (1996), qu'on peut rapprocher du « long poème » américain comme les Cantos d'Ezra Pound ou le Maximus de Charles Olson. Construit en énorme bricolage extatique influencé par la musique hybride du pré-moderne Charles Ives et par l'architecture en extravagantes colonnes art brut des Watts Towers de San Francisco, ARK (« l'arche », d’accueil, de Noé, d’Alliance) se compose de 99 parties, s'édifiant sur 33 fondations (« Beams », rayons ou travées), s'élevant par 33 « Spires » (flèches, de cathédrale), et se déployant en 33 « Arches » (arcs, voûtes). Ronald Johnson exerça divers petits métiers à San Francisco et finit par gagner son argent en écrivant des livres de cuisine. Vers la fin de sa vie il retourna au Kansas où il était né et travailla dans un parc historique comme jardinier.
Bibliographie selective :
A Line of Poetry, A Row of Trees, Jargon Press 1964
The Book of the Green Man, Norton 1967
Valley of the Many-Colored-Grasses, Norton 1969
Songs of the Earth, Grabhorn-Hoyem 1970
RADI OS, Sand Dollar Press 1977
ARK: The Foundations, North Point Press 1980
ARK, Living Batch 1996 (première édition)
The Shrubberies, Flood 2001
To Do As Adam Did, Talisman 2001 (anthologie)
ARK, Flood 2013 (édition révisée)
Traduction en français :
•dans l’anthologie 21+1 poètes américains d’aujourd’hui (bilingue, Editions Delta 1986), éditée par l’équipe de Un Bureau sur l’Atlantique avec Emmanuel Hocquard et Claude Royet-Journoud
•dans la revue Présages n°9 (Editions La Différence 1999), traduit par Bernard Hoepffner
Sitographie :
•dossier sur Ronald Johnson à la Poetry Foundation avec photo, biobiblio et poèmes (en anglais)
•le beau livre The Book of the Green Man de Ronald Johnson est disponible en lecture complète sur le site de Light and Dust , avec des peintures de Basil King (en anglais)
•site consacré à Ronald Johnson, avec poèmes et interview (en anglais)
[Jean-René Lassalle]