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Balàzs Kovalik met en scène la Salomé d'Antoine Mariotte

Publié le 09 mars 2014 par Luc-Henri Roger @munichandco

Balàzs Kovalik met en scène la Salomé d'Antoine Mariotte

Le décor de Csaba Antal

La création de la Salomé du compositeur français Antoine Mariotte rencontre un grand succès à Munich. On peut l'attribuer à la rencontre d'un faisceau de forces vives qui se sont réunies pour donner vie à une oeuvre peu connue et qui mériterait de l'être bien davantage. La collaboration du Maestro Ulf Schirmer, des excellents musiciens de  l'Orchestre radiophonique de Munich (Münchner Rundfunk Orchester), du metteur en scène Balàzs Kovalik et des jeunes solistes de l'Académie de Théâtre August Everding a donné lieu à une performance de grande qualité qui a pleinement séduit le public, ravi d'être convié à une belle découverte musicale. Il faut y insister, il ne s'agit pas ici d'applaudir à une perfection, - sur le plan de la critique chacun restera bien sûr juge - , mais de souligner l'enthousiasme créateur qui a présidé à la réalisation de ce projet.

Balàzs Kovalik met en scène la Salomé d'Antoine Mariotte

Salomé version danseuse : Julia Kessler , Heeyun Choi (Iokanaan)


Balàzs Kovalik a conçu sa mise en scène sur les thèmes du regard et du désir, des thèmes qui sont au coeur de la Salomé de Wilde. Les désirs y sont pervers, souvent déments, toujours brûlants,  le regard est oblique, dévié, différé.  Kovalik interroge la pureté du désir du Prophète Iokanaan troublé à la vue de Salomé, il met en scène le désir de Salomé et sa folie meurtrière en y introduisant la transcendance paradoxale de l'amour. Avec le décorateur Csaba Antal, ils occupent entièrement le volume scénique en transformant le  palais d'Hérode en un univers complexe d'escaliers reliant entre eux des plateaux qui sont autant de lieux de l'action: salon télévision, chambre du jeune Syrien, salle de répétition de ballet, cachot de Iokanaan, salle à manger, salle de bains. Les protagonistes évoluent sur ces escaliers en se croisant sans se regarder directement. On ne se regarde pas, on s'épie, on s'observe en usant aussi de diverses technologies: une paire de jumelles, une vidéo-caméra ou la caméra d'un téléphone portable, des lunettes cybernétiques. Tout se capte et se retransmet sur des écrans de télévision ou sur des tablettes, le monde est conçu comme un spectacle, et cette distance interdit la relation véritable. Peut-être un bref instant, après avoir embrassé la tête décapitée de Iokanaan, Salomé accédera-t-elle à l'amour, avant d'être abattue d'un coup de revolver par Hérode. Salomé, pour séduire la gardien de la prison qui lui en refuse l'accès, obéissant aux ordres, s'empare d'une vidéo-caméra et se filme les seins. Le jeune Syrien masqué de lunettes cybernétiques se diffusera le film  et, absorbé par le monde virtuel, aveugle au monde réel, s'imaginera faisant l'amour avec Salomé tout en se pressant le sexe contre un coussin. La perversion du désir donne lieu à des scènes sexuelles explicites, ou à des allusions grossières comme cette banane offerte lascivement par Hérodote à Salomé. La sensualité et le sexe sont partout dans le palais. Hérodias est ingambe, on la véhicule sur les escaliers en chaise roulante, on la retrouve dans une baignoire avec un soldat athlétique qui lui masse les épaules et le dos. Balàzs Kovalik double la chanteuse Salomé d'une danseuse revêtue des mêmes vêtements. La salle de répétition de ballet présente le décor habituel d'un mur recouvert de miroirs et de barres d'exercices. Salomé s'y mire et y interroge son pouvoir de séduction et peut-être son destin. Au moment du pacte entre Hérode et Salomé, la danse des voiles est réinterprétée en une danse des jupons que soulève un Hérode affamé de sensualité.

Balàzs Kovalik met en scène la Salomé d'Antoine Mariotte

Salomé, version chanteuse (Anna-Maria Thoma) et Iokanaan (Heeyun Choi )

Tout l'opéra est traité de manière surréaliste, comme dans un rêve à la Dali. Un cheval de cirque étoilé promène son pelage rose et sa crinière jaune. La salle à manger est occupée par un boucher qui dépèce ce qui pourrait bien être un cadavre humain de ses gants rouges dégoulinant de sang et de chairs incertaines. Les costumes d'Angelika Höchner mêlent les époques, du soldat romain aux survêtements des ados d'aujourd'hui, comme pour souligner l'intemporalité du drame et de son cortège d'horreurs. Dans l'ensemble cependant, c'est pourtant le 21ème siècle qui prédomine, avec la gouvernance cybernétique électronique et télévisuelle. Surréalistes encore les masques réalisés par une équipe d'étudiants encadrés par Stephanie Polster: masque ballon d'un jeune soldat ou masque de léopard d'une femme féline, masques qui confirment que la rencontre de l'autre est impossible: l'altérité est annihilée au profit de la projection d'un désir pervers et perverti sur fond constant d'horreur.. Dans le monde de Wilde et de Kovalik, on ne rencontre pas autrui mais son reflet, son image  ou son masque, sinon sa vision comme la vision du Messie par un Iokanaan qui transporte une grande croix d'aluminium strié. A la fin de l'opéra, Kovalik représente la décapitation en faisant circuler un Iokanaan nu et entièrement couvert de sang, un cadavre vivant et au désir ambigu lors de son baiser avec Salomé. Une mise en scène magistrale!

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