Patrick Buisson.
Buisson. C’était un temps, au palais, où les conventions ordinairement dues au lieu et aux fonctions n’avaient plus grand sens, à force d’avoir été épuisées par le mélange des genres et la confusion des intimités jetées en pâture. Écarté du monde réel par ses courtisans et ses maîtres des basses œuvres, Nicoléon tutoyait les conseillers comme on tape sur l’épaule d’un bon vieux copain, préparait ses coups dans ses cabinets noirs avec des hommes si peu recommandés qu’eux-mêmes se cachaient, et quand il lui arrivait de parler pour ce qu’il avait à dire, ses propos définissaient l’homme-en-vrai et permettaient de dévoiler le vrai visage embusqué sous des masques chargés de le valoriser.Depuis Descartes (au moins), nous savons pourquoi nous devons douter de ce dont nous avons eu parfois raison de douter une fois. Oui, Nicoléon se décryptait aussi par ceux qui formaient son entourage et qui confondaient allègrement les ors de la nation avec les allées d’un parc d’attraction pour adolescents attardés. L’un d’eux, et pas le moins intéressant, nous revient ainsi comme un boomerang et nous rappelle, si besoin était, que cette époque glauque et trouble a perverti beaucoup de choses, depuis. Le tristement célèbre Patrick Buisson, conseiller des ombres et de l’occulte, n’était donc pas qu’un histrion à la solde d’une France néo-réac et maurrassienne, il était aussi, ceci explique cela, un barbouze de la pire espèce doublé d’un maniaque de la saloperie patentée. L’ex de Minute recyclé à la tête de la chaîne Histoire (mystère des convulsions idéologiques de notre temps !) enregistrait en douce les réunions et les conciliabules, même en présence du prince-président, auquel il léchait les talons rehaussés, pourtant, du matin au soir. Minable à plus d’un titre, la pratique digne du SAC témoigne de l’esprit du bonhomme, qui ne nous surprend guère.
L’instrumentalisation de l’intimité du pouvoir était-elle alors plus que le simple revers d’une société ayant basculé dans la paranoïa et la surmédiatisation? Et quelle était donc la définition de cette intimité-là, dans les coulisses de la domination politique suprême, pour que la démocratie elle-même, et la République dans son cœur, se trouve à ce point fragilisée par son dévoiement et sa vulgarité? Aujourd’hui, nous pouvons affirmer tranquillement que ces personnages nicoléoniens ont sali les institutions, jusque dans le secret des décisions. Avec eux tout était permis. Ne l’oublions pas: quand on ne respecte même plus les institutions grâce auxquelles on est devenu prince, on ne respecte plus ni les fonctions afférentes ni les personnes autour de vous. La loyauté même est balayée. Dès lors tout peut s’effondrer. Et virer au cauchemar du pouvoir personnel, au bonapartisme, bref à toutes les dérives.
Idéologue. Il est pour le moins singulier, depuis la divulgation de ces enregistrements secrets (authentifiés par l’avocat de Buisson en personne), de voir la droite, toute la droite, enfoncer l’ex-conseiller comme pour mieux protéger Nicoléon, dont on dit qu’il serait «furieux» d’avoir été espionné par celui qui faisait partie de son tout premier cercle, et qu’il avait imposé au palais, comme chacun le sait –et avec ses idées encore. Un proche de l’ex-prince-président l’affirme: «Cela ne m’étonne pas, Buisson est un dingue et il a agi comme un historien en voulant garder des archives.» Un historien? La bonne blague. De Minute à Jean-Marie Le Pen, sans oublier ses amitiés appuyées à Mégret ou Villiers, l’idéologue d’extrême droite n’a jamais changé ses convictions profondes, pas même au contact de ministres moins catalogués que lui du côté de la droite dure. La théorie revendiquée de ce catholique intégriste ? La France éternelle et identitaire, fille de la morale, de l’ordre et de la famille, qui devrait oublier «l’égalité» et inscrire à son front ses racines chrétiennes. Sa manière d’être dans les arcanes? Je suis partout! Cet ancien d’Occident ayant rédigé son mémoire de maîtrise sur l’OAS (vous avez bien lu), fils d’un père membre important de l’Action française, reste en effet un homme d’influence et de réseaux. Quant à son goût prononcé pour les complots et les intrigues, il le paiera, même à Minute, c’est dire… En 1987, après avoir pris la direction de la rédaction, il sera accusé d’avoir fait poser, pour servir Jean-Marie Le Pen, un micro espion dans le bureau du nouveau propriétaire du journal, Yves Montenay, «trop modéré», selon lui. Le boss du FN, comme au temps béni des colonies, enverra d’ailleurs quelques nervis pour le protéger. En vain. Buisson sera débarqué par Montenay… Voilà. C’est ce même Buisson qui, scrupuleusement, comme une maladie pathologique, à moins que ce ne soit un travers viscéralement d’extrême droite, a capturé sur un magnétophone numérique des centaines d’heures de réunions en présence de son «chef» adoré, avant de les ranger dans la mémoire de son ordinateur personnel.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 7 mars 2014.]