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Les luttes féministes peuvent-elles se passer des hommes ?

Publié le 12 mars 2014 par Juval @valerieCG

(oui mon moral est olympique)

Lorsque je suis fatiguée, que le militantisme m'épuise et l'inertie me tétanise, je suis tentée de relire ces mots de Rochefort :
"Il y a un moment où il faut sortir les couteaux. C’est juste un fait. Purement technique. Il est hors de question que l’oppresseur aille comprendre de lui-même qu’il opprime, puisque ça ne le fait pas souffrir : mettez vous à sa place.
Ce n’est pas son chemin. Le lui expliquer est sans utilité. L’oppresseur n’entend pas ce que dit son opprimé comme langage mais comme un bruit. C’est la définition de l’oppression [....]

L’oppresseur qui fait le louable effort d’écouter (libéral intellectuel) n’entend pas mieux. Car même lorsque les mots sont communs, les connotations sont radicalement différentes.
C’est ainsi que de nombreux mots ont pour l’oppresseur une connotation-jouissance, et pour l’opprimé une connotation-souffrance.
Ou : divertissement-corvée. Ou loisir-travail. Etc.
Aller donc communiquer sur ces bases."

C’est ainsi que la générale réaction de l’oppresseur qui a "écouté" son opprimé est, en gros : mais de quoi diable se plaint-il ? Tout ça c’est épatant.

Au niveau de l’explication, c’est tout à fait sans espoir. Quand l’opprimé se rend compte de ça, il sort les couteaux. Là on comprend qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Pas avant.

Le couteau est la seule façon de se définir comme opprimé. La seule communication audible.[...]"

Et puis je me ravise. Je réfléchis. Je redeviens raisonnable.

Les femmes féministes (si on ne tient pas compte de nos désaccords internes) représentent, quoi ? Allez faisons preuve d'un optimisme débordant ; environ 10% de la population. En face 90% de personnes qui n'en ont rien à foutre ou qui sont carrément contre les droits des femmes.

Alors, sortir les couteaux... Imaginez vous face à une foule de 200 personnes qui veut vous tuer et vous sortez votre couteau ?

Il va falloir se mettre en tête - que je me mette en tête - que le féminisme ne se passera pas des hommes.
Je peux bien écrire 500 textes expliquant ce qu'est le viol, tant que le groupe "hommes" ne sera pas bien convaincu qu'il ne faut pas violer, on n'arrivera à rien. Tant qu'il n'y aura pas une prise en compte nette qu'il y a un léger problème dans la construction du masculin, qui entraîne le viol (et rien que de déjà poser cela est une sorte de révolution totale qui me vaut la glorieuse réputation de haïr les hommes, on ne se demande jamais si les hommes haïssent les femmes pour autant leur faire du mal. Enfin on arrive à démontrer qu'un type qui éclate la tête d'une femme contre un radiateur commet un crime passionnel alors bon...).
En 15 ans de féminisme, jamais personne n'est venu me dire '"Mais dis donc, au vu des statistiques là, les hommes ne haïraient tout simplement pas les femmes ? Cela ne serait pas cela le problème ," Alors que en revanche, parce qu'on veut empêcher le viol, parce qu'on veut empêcher la violence conjugale, parce qu'on veut empêcher les discrimination, ca serait nous qui serions haineuses ?
Mais haineuse de quoi ?

Les choses sont simples. Des membres du groupe "homme" violent, battent, tuent et commettent des crimes sexo-spécifiques. On a déjà démontré 500 fois que la construction de la virilité pousse à ce genre de comportement.

Néanmoins, comme l'a démontré Gaëlle-Marie, on continue à emmerder les femmes. Ce sont les filles qui sont éduquées à ne pas être violées et jamais les ados mâles à ne pas violer. Tous les gamins (oui je sais, pas toi) sont élevés dans l'idée qu'ils doivent à tout prix fourreur leur bite dans une chatte le plus rapidement possible pour prouver leur normalité de mec hétéro viril MAIS on ne se pose jamais la question que le viol est un bon moyen de le faire. On nous sortira des millions d'études pour nous dire qu'il y a tant de femmes violées mais jamais aucune étude pour nous dire qu'il y a tant de mecs violeurs. On prend un groupe d'ados à la puberté, qui va passer u nombre d'heures non négligeables à se tourner autour et à picoler/prendre des drogues ; TOUTES les filles auront eu droit à leur couplet à la con visant à réprimer leur liberté afin de ne pas être violées, AUCUN garçon n'aura jamais été éduqué à ne pas violer parce qu'on n'arrive simplement pas à imaginer que cela arrive au fond.

Le féminisme a connu différentes phases ; à l'heure actuelle on cherche à faire évoluer les mentalités et à repenser les rôles sociaux de genre. En clair, quels sont les rôles imposés aux hommes et quels sont ceux imposés aux femmes. En matière des rôles féminins, on a bien bossé. C'est clair dans la tête de beaucoup de gens - pas de tous évidemment - qu'une femme n'a pas à fonction à s'occuper des gamins ou à être violée. En revanche, ô surprise, rien n'a été fait du côté des hommes ; et il est encore extrêmement compliqué qu'un homme soit au foyer ou n'accomplisse pas une tâche considérée comme masculine.
Alors les mecs chialent hein. Oh ca tu les entends. Et c'est bien malheureux qu'il y est autant de viols. Et c'est bien malheureux que vous ayez peur dans la rue. Et c'est bien malheureux que vous vous tapiez les tâches ménagères, les soins aux enfants, que vous ayez une retraite de merde. Qu'est ce que c'est emmerdant ohlala.
Aucun, jamais nulle part ne se demande en quoi il participe à ce système, et comment surtout il peut arrêter. Là il n'y a plus personne.  Si aucun homme a aucun moment ne questionne sa position d'homme, en se demandant pourquoi il lui est difficile de prendre un congé enfant malade, alors mécaniquement, car un enfant ne se garde pas tout seul, cela devra être une femme qui le gardera.

Et on se retrouve face à une évidence terrifiante et sidérante ; on va devoir - face à des gens qui sont parfois nos mecs, nos amis, nos amants, nos potes, nos frères, nos pères - prier, supplier pour qu'ils condescendent à faire de petits efforts. Parce qu'ils sont trop nombreux, que la résistance est trop forte pour qu'on fasse autre chose. Parce que même le plus charmant des mecs - notre pote super féministe là - est un bloc de granit impossible à bouger quand il s'agit de causer rôle social masculin.
J'aimerais bien dire à l'heure actuelle dans la lutte féminisme qu'il est possible de se passer des hommes. Sachant que le sexisme s'est fondé sur la complémentarité des sexes, mécaniquement, logiquement, il est obligatoire de déconstruire la masculinité pour avoir un peu de paix ; et cela seuls les hommes peuvent le faire. Comme ils n'y ont pas grand intérêt immédiat (enfin je crois que si mais visiblement cela n'est pas clair pour eux), il ne nous reste plus qu'à espérer qu'ils nous donnent, grands seigneurs qu'ils sont, quelqies bribes d'égalité quand ils le jugeront bon.


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