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Wikipédia : actualité, recul et encyclopédisme [par Pic-Sou] (2)

Publié le 13 mars 2014 par Pierrotlechroniqueur

Suite et fin du billet envoyé par Pic-Sou, dont la première partie a été publiée sur ce blog il y a deux jours.

Les articles d’actualité n’ont par nature pas leur place dans une encyclopédie 

Cependant, le fait que Wikipédia soit une encyclopédie, et non un simple média, entraîne bien d’autres conséquences. Tout d’abord, la notion d’admissibilité repose en grande partie sur la signification précise du concept d’encyclopédie, qui n’est pas clairement définie dans les principes fondateurs. En particulier, la question de l’exhaustivité d’une encyclopédie en ligne qui ne subit pas les contraintes matérielles de l’édition papier (peut-on tout traiter sur Wikipédia ?) n’a jamais été résolue, sinon par l’affirmation du fait que Wikipédia serait « généraliste et spécialisée ». Mais peu importe ici, car quand bien même on choisirait de traiter tout ce qu’il est possible de traiter sur Wikipédia, on ne pourrait de toute façon pas inclure l’actualité.

En effet, que l’on se réfère à l’étymologie du terme (pour les non-hellenistes : ἐγκύκλιος παιδεία, énkyklios paideía, « les savoirs qui donnent une éducation complète », ou « les savoirs mis en cercle ») ou à la définition proposée sur Wikipédia, l’encyclopédie synthétise les savoirs et en montre l’organisation, ce qui en fait donc un outil de culture générale. Conséquence immédiate : d’une part, les faits non analysés qui sont au mieux de l’information, au pire de bêtes données, mais nullement des savoirs, de la culture ni même de simples connaissances, n’ont rien à faire sur l’encyclopédie. Lorsque je vois donc, sur une PàS récente, des avis prônant la conservation au motif que les faits seraient admissible, faits dont l’organisation sur la page est d’ailleurs assez évocatrice (une liste à puces), je me demande si la notion d’encyclopédie n’est pas ici confondue avec celle de répertoire de fiches de révisions (et encore, généralement, on tente d’organiser un peu mieux les informations…).

D’autre part, et c’est sans doute là le plus important, pour organiser les savoirs, il est nécessaire d’avoir du recul à leur sujet. Comment, sinon a posteriori, être certain d’avoir cerné tous les éléments d’un contexte, tous les enchaînements ayant mené à une situation, et surtout toutes les conséquences ? Comment par ailleurs rendre le contenu stable, sinon en attendant d’avoir des informations fiables ? Dans une situation de crise, telle que celle qui dure en Crimée depuis une semaine au moment où j’écris ces lignes, les journalistes transmettent les informations qu’ils ont, les politiques divulguent celles qu’ils peuvent divulguer, sans compter sur des éléments importants passés sous silence, ce qui rend même pour les analystes géopolitiques la situation relativement floue. Peut-être la Troisième Guerre mondiale se déclenche-t-elle sous nos yeux, peut-être a-t-on affaire à un coup d’intox géostratégique. En revanche, je ne doute pas que lorsque la situation sera stabilisée, les scrutins prévus au cours des trois prochains mois dépouillés, la tension redescendue, des analyses complètes publiées, alors nous aurons matière à écrire d’excellents articles sur le sujet.

Il est des sujets traités dans l’encyclopédie sur lesquels nous ne parvenons à avoir une vision d’ensemble claire que des années après. Par exemple, il a fallu attendre la fin de la « guerre contre le terrorisme » pour comprendre à quoi ont mené précisément les attentats du 11-septembre, pour que l’analyse selon laquelle Al-Qaïda avait toute même réussi à entraîner la plus grande puissance mondiale dans une guerre qui fut pour elle une calamité prenne sens. Ou encore, aujourd’hui, les conséquences à long terme de l’accident de la centrale de Tchernobyl restent mal comprises, et bien peu de chiffres fiables ont été publiés. Cela signifie-t-il que, vingt-huit ans après, il faille encore attendre pour créer cet article sur un événement majeur de l’histoire industrielle ? Pas nécessairement, il faut bien finir par se décider à écrire des articles avec la matière disponible… En revanche, l’exigence de qualité du contenu, à défaut de véracité, impose de se donner du temps avant de créer les articles, pour éviter d’y dire n’importe quoi, ou tout du moins pour éviter de ne rien y dire mais bourrer les pages comme on le peut comme proposé suite à la naissance d’un bébé royal… Ou plus simplement, pour juger de la manière la plus opportune de traiter un sujet : avec du recul, il devient bien visible que les tempêtes de cet hiver gagneraient à toutes être traitées dans un seul article de synthèse insistant sur le caractère exceptionnel de cette succession de perturbations, plutôt que d’atomiser le contenu en articles sur des perturbations qui n’ont chacune rien de bien incroyable…

Mais dans tous les cas, cette nécessité de recul, couplée à l’interdiction des travaux inédits dans les articles, impose d’attendre la publication des sources secondaires qui se livrent à cette analyse de fond, nécessaire pour que nous puissions ensuite écrire les articles. En théorie, la publication de sources de cette nature est donc condition nécessaire pour créer de tels articles, ce qui impose donc aux Wikipédiens de ne pas se précipiter pour créer les articles comme le fairaient les webmasters de sites d’infos en continu, mais plutôt de se comporter en sages éditeurs capables d’attendre la publication d’ouvrages de qualité (sources secondaires, donc) pour baser leur travail dessus, ou tout du moins des sources de référence qui permettront de se conforter aux règles sur la neutralité du point de vue, telles que les rapports d’enquêtes officielles qui tombent rarement en une journée… Force est d’ailleurs de constater que la plupart des contenus labellisés ont une bibliographie… richement fournie ! En pratique, il est vrai qu’il arrive, parfois, que l’on connaisse l’existence de telles sources mais qu’elles ne soient pas disponibles sur-le-champ (par exemple parce que personne ne les possède), et dans ce cas, il n’y a pas de raison de supprimer l’article : ce cas arrive assez souvent, par exemple, sur des équipements lourds qui ont fait l’objet de Déclaration d'Utilité Publique (DUP) et généralement d’ouvrages spécialisés.

Dans le cas contraire, en revanche, et en particulier pour ce qui concerne les événements récents, il est tout simplement impossible de se passer de ces sources, et d’écrire des articles à chaud. En ce sens, j’ai trouvé l’article sur le mouvement contestataire de 2013-2014 en Ukraine (Euromaïdan, quoi…) particulièrement éloquent : lorsque les événements se sont précipités fin février, l’article est devenu difficile à maintenir, et relativement fouillis, puisque les informations étaient alors ajoutées en vrac selon l’ordre dans lequel on les trouvait. Sans compter, évidemment, la problématique du choix du titre, des POV (puisqu’on ignore toujours, le 9 mars, le rôle précis de l’extrême-droite), et la précipitation des événements en Crimée, qui s’est traduite sur Wikipédia par une discussion avortée par une magnifique guerre d’éditions et court-circuitée pour imposer une PàS-vote, qui, en plus de n’avoir pas vraiment de sens ici (on parle de scission d’article), présente l’avantage d’éviter tout débat de fond et de ne pas aller plus loin qu’un vote et deux réponses par contributeur…

Il est, je trouve, regrettable qu’un petit nombre de contributeurs persiste à contourner de manière évidente la recommandation de WP:NEVENN concernant le délai de création d’un article, puisqu’une attente de quelques jours seulement permettrait déjà de s’assurer de la notoriété réelle de la plupart des événements, et que quelques mois seraient nécessaires pour pouvoir commencer la rédaction d’un article digne de ce nom. Pourquoi alors cette lutte sans fin pour imposer des articles sur des événements récents, pourquoi ces PàS chronophages puisque de véritables débats d’arguments n’ont jamais lieu avec le système actuel de PàS (ce qui permet d’augmenter le poids des avis souvent plus nombreux mais rarement correctement argumentés), pourquoi toutes ces magouilles pour imposer d’une manière ou d’une autre les articles ? J’avoue que l’analyse de Snipre sur le bistro du premier janvier m’a facilement convaincu. En revanche, je n’explique toujours pas la raison pour laquelle les contributeurs-journalistes refusent, encore et toujours, d’aller se consacrer à Wikinews… Un besoin de reconnaissance de son travail sur Wikipédia, qui est plus consultée, peut-être ?


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