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La bonne nuance de liste électorale

Publié le 18 mars 2014 par H16

Or donc, il va y avoir des municipales dans quelques jours en France. C’est bon à savoir. Le véritable raz-de-marée de programmes électoraux tous plus finement ouvragés les uns que les autres, ainsi qu’une campagne qui aura à l’évidence fait vibrer toute le pays n’ont pourtant pas réussi à réellement mobiliser ni les électeurs, dont on sent de plus en plus qu’ils s’en foutent complètement, ni les journalistes qui sont pour une fois assez en phase avec leur lectorat, ce qui est suffisamment rare pour être noté.

Il faut donc un peu fouiller pour comprendre les véritables enjeux de ces municipales, qui restent, une fois trouvés, fort maigres. En substance, on comprend que le Parti Officiellement Socialiste risque de perdre quelques villes d’importance, pendant que son concurrent direct, le parti honteusement socialiste de l’UMP, en raflera quelques autres, ce qui agitera les Français facilement trois ou quatre heures un dimanche soir de mars.

Mais au-delà de ces considérations, rien ne permet d’affirmer que ce scrutin sera un vrai tournant à la vie démocratique française tant son résultat semble déjà acquis : le PS arrivera à conserver l’une ou l’autre ville qu’on lui croyait définitivement perdue, l’UMP en regagnera quelques unes de haute lutte, les premiers pousseront un ouf de soulagement en répétant urbi & orbi que finalement, ce n’est pas la déroute attendue, et l’UMP s’empressera de railler ses adversaires en insistant sur la branlée de magnitude 9 qu’ils lui ont collée. Vague inconnue au tableau : le score du Front National qui sera certainement plus haut qu’aux précédentes élections, mais dont on imagine déjà, vu le faible nombre de listes dont il dispose, qu’il ne cassera pas autant de briques que sa rhétorique.

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Reste cependant une nouveauté, introduite de façon fort discrète, qui ne laisse pas de surprendre et, dans une bonne mesure, d’agacer les candidats. Il s’avère que le ministère de l’Intérieur a décidé de faire procéder à l’attribution de « nuances politiques » aux listes souhaitant se présenter sans étiquette. Ainsi, outre l’obligation de déposer des listes complètes et paritaires (ce qui pose d’énormes soucis aux petites communes et aux partis comme le Front National, justement), les candidats ont dû déclarer cette fameuse nuance politique, à choisir dans une inévitable nomenclature officielle établie par le ministère, du haut de son savoir omniscient. Et dans le cas des candidats se déclarant sans étiquette, les préfectures leur en attribuent de manière discrétionnaire.

Émoi chez ces candidats qui se retrouvent ainsi catalogués et parfois pas du tout à l’endroit où ils veulent : certains se retrouvent classés à gauche alors qu’ils ont plutôt une sensibilité de droite, et, insulte insupportable, d’autres se retrouvent « divers droite » alors qu’ils se savent, intérieurement « de gauche ». C’est, politiquement, comme une petite mort, un camouflet, une vexation de plus imposée aux petits candidats.

Mais avec cette introduction de la « nuance », par ailleurs dramatiquement absente des discours habituels des grandes figures politiciennes françaises, on peut se demander quel but est ainsi poursuivi par l’État.

L’explication officielle (il y en a une) laisse songeur : le but de ce bricolage millimétrique qui s’ajoute à l’étiquette et au parti serait de « permettre une meilleure connaissance et compréhension des équilibres politiques nationaux et d’apporter un éclairage aux citoyens sur l’offre politique qui a lieu à un moment donné de notre histoire », parce que, comprenez-vous, le citoyen, mammifère mou un peu con à l’orifice fiscal heureusement dilaté, a besoin de ce genre de classification pour effectuer un choix éclairé.

peekaboo facepalm

Et, peut-être que plus tard, lorsqu’on fera un petit bilan historique et qu’on demandera des comptes, cette nuance évitera à certains de se cacher derrière leur petit doigt pour échapper à la sanction méritée ? Hum, je m’égare. Disons qu’il s’agit peut-être, en amalgamant des listes sans étiquettes et sans tendance à l’un ou l’autre bord, de tempérer quelque peu le clivage (pourtant déjà assez artificiel) entre la gauche socialiste et la droite socialiste en créant des différences subtiles ? Peut-être s’agit-il de faire une espèce de profil de l’électeur, ou de taxonomie de la politique française ? Peu importe, au final, la raison intrinsèque : c’est en tout cas un exercice aussi ridicule que vain et probablement délétère.

Ridicule parce qu’il est particulièrement grotesque de vouloir à tout prix catégoriser des idées, des concepts, ou des programmes politiques dont tout indique qu’ils sont un mélange plus ou moins habile de chacune des vagues tendances politiques du pays, coincé entre un progressisme rapidement débridé, envahissant et sans concession d’un côté et, de l’autre, un conservatisme arc-bouté sur des principes poussiéreux ou dépassés. D’ailleurs, pour qu’une liste n’arrive pas à rentrer dans les canons pourtant déjà fort mollassons de la droite ou de la gauche parlementaire, c’est simplement qu’elle se réclame d’une partie du programme fadasse de la droite et d’une autre partie du programme vaseux de la gauche, entraînant une impossibilité de classement définitif, à moins d’introduire la nuance « Fourre-tout » qui serait amusante mais finalement inutile.

L’exercice, en plus d’être ridicule, est aussi vain en ce qu’il ne permettra en rien d’améliorer la représentation politique nationale. Avec un taux d’abstention qui continue d’augmenter, force est de constater que, nuance ou pas, une majorité d’électeurs a clairement envoyé paître les candidats, et qu’il apparaît difficile d’apporter un parti, une étiquette ou même une nuance à ce gros « Démerdez-vous sans moi » que ces inscrits non-votants ou ces non-inscrits envoient joyeusement à tous ces politiciens. En clair : youpi, grâce à la nuance, on va pouvoir introduire une délicate pastélisation des quelques moutons qui votent encore. C’est, proprement, stupéfiant d’inutilité.

point clouseau

Enfin, toute cette gentille mise en fiches bristol des listes politiques du pays, avec de petits œillets blancs pour qu’elles ne s’abîment pas dans les multiples classeurs des agences de renseignement, toute cette caractérisation minutieuse et, pour tout dire, un tantinet fastidieuse, qu’on imaginerait presque appliquée à la plume chargée d’encre violette, ça nous ramène non pas aux heures les plus sombres du fichage politique détendu de l’avant-guerre, mais plus simplement aux plus parfaitement connes occupations qu’on distribue à des sous-fifres pour en justifier l’existence, et qui ne font au final qu’agacer un peu plus la population qui paie pour ces navrantes trivialités. Classifier les listes électorales en nuances, c’est un travail qui va occuper un peu les préfets, mais qui va surtout irriter ceux qui seront classifiés (la plupart du temps, bêtement et au mauvais endroit), ceux qui voulaient voter pour cette liste (et qui trouveront peut-être, sans doute même, que non, ce n’est pas une liste de nuance droitière, ou gauchère, ou que sais-je encore). Voilà qui va encore améliorer grandement à la fois le sentiment de fichage général, et celui de défiance vis-à-vis des institutions de la République qui en avait bien besoin. Vraiment, bien joué, Manuel !

Et le pire est qu’avec l’introduction de cette nouveauté artificielle de « nuance », on a simplement affiné la graduation entre l’étatisme de gauche et l’étatisme de droite : rares sont en effet les listes qui seraient difficiles à nuancer parce que … vraiment libérales. En effet, malgré le parti, l’étiquette et, maintenant, la nuance, une liste électorale dont le programme proposerait le retour à la responsabilité des individus, l’abandon de l’intervention de l’État à tout propos et hors de propos, qui, en somme, définirait des bornes strictes et serrées aux personnes élues, une telle liste resterait proprement inclassable en France.

Ces élections n’ont pas encore eu lieu mais chaque jour qui passe et chaque détail de la procédure électorale qu’on découvre ajoute au mol ennui qu’elles suscitent. Finalement, avec ou sans nuance, ce pays est foutu.


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