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Année Strauss: reprise de Salomé à l'opéra de Munich
Publié le 28 mars 2014 par Luc-Henri Roger @munichandcoLe Bayerische Staatsoper a repris la Salomé de Richard Strauss dans la mise en scène de 2006 du cinéaste américain William Friedkin avec les décors aussi beaux qu'efficaces de Hans Schavernoch, qui utilisent au mieux les ressources du plateau mobile de l'opéra de Munich. Sans jamais se départir de l'unité de lieu, Friedkin et Schavernoch introduisent un mouvement subtil du décor, un péristyle de marbre blanc dont les lignes de fuite et la hauteur se modifient au fil de l'action. Dans le mur, une simple crevasse permet la communication avec la prison-citerne de Jochanaan. Les piliers du péristyle sont nus, le décor sobre et dépouillé met en valeur les protagonistes de l'action : il s'agit de laisser les âmes se dévoiler, la mise en scène les met en pleine lumière, sans s'encombrer de bibelots qui évoqueraient le temps historique de l'action. Bien davantage qu'un récit biblique biblique, Salomé est un opéra qui nous entraîne dans les tréfonds les plus sordides de l'âme humaine. La tendance au dépouillement se retrouve aussi dans les costumes, plutôt traditionnels, n'était-ce la modernité de la petite robe noire de soirée, à la jupe doublement fendue, magnifiquement portée par l'athlétique Nadja Michael. L'évocation de la nuit lunaire se fait par une belle utilisation des lumières tout au long de l'opéra, le cours céleste de l'astre satellite est simplement suggéré par la modulation de reflets irisés sur les parois du péristyle. Une mise en scène qui rencontre la puissance cathartique de la musique de Strauss.
L'entrée en scène physique de Jochanaan est un moment clé de la mise ne scène. Du sol monte un énorme bloc de basalte au creux duquel est lové le prophète. C'est comme une montée de forces telluriques supranaturelles, la lave figée a la forme d'une aile peut-être angélique.
La danse des voiles reçoit avec Friedkin une dimension supplémentaire : Salomé ne réduit pas le seul Hérode à sa merci en lui concédant les charmes de son évolution lascive, chacun des voiles lui servira à soumettre aux pouvoirs de sa séduction tout ce qui vit dans le palais du tétrarque. Un danseur en collant noir porteur d'ailes noires aux plumes maléfiques et masqué d'une tête de mort double la danse de Salomé. Ce sont bien là les mondes qui s'affrontent dans une rencontre impossible : l'amour dément de Salomé qui s'est séparée de tout sens du réel au point de désirer supprimer une vie pour la folie d'un baiser nécrophile ne peut rejoindre l'amour divin d'un prophète qui s'est déjà détaché des illusions de la vie terrestre.
Le problème scénique de la mise à mort de Salomé est habilement résolu par l'arrivée d'une série de figurants entièrement vêtus de houppelandes noires qui viennent entourer Salomé qui se dissout dans leur encerclement funèbre.
Nadja Michael a le physique d'un rôle qu'elle incarne avec une puissance intériorisée, elle dispose de la maturité et de l'endurance si nécessaires pour développer toute l'ampleur et la progression tragiques du personnage de Salomé, avec un magnifique soprano dramatique qui peut atteindre les notes les plus basses du mezzo. Alan Held apporte toute son expertise du rôle de Jochanaan qu'il chante pour la troisième fois à Munich, avec une intelligence analytique de la musique de Strauss et une parfaite connivence avec l'excellent orchestre bavarois dirigé par Asher Fisch: ce chanteur a de rares qualités d'écoute, ce qui donne la si belle synchronicité de sa performance. L'Hérode d'Andreas Conrad reçoit des applaudissements très nourris. Gabriele Schnaut donne une Herodias convaincante, avec un beau jeu d'actrice, mettant sa maturité au service d'une Hérodiade fatiguée par les outrages subis et installée dans un rôle de matrone douairière. A signaler aussi l'excellent ténor lyrique de Joseph Kaiser dans le rôle de Narraboth, avec une voix limpide, une grande clarté de tons et une expressivité amoureuse poignante.
Prochaines représentations: les 29 mars et 2 avril. Quelques places restantes pour le 2 avril.
Crédit photographique: Wilfried Hösl