Est-ce qu’un groupe de fans passionnés suffisent au maintien d’une concession dans la NFL d’aujourd’hui.
Ralph Wilson, le seul propriétaire qu’ont connu les Bills depuis leurs débuts dans la AFL dans les années soixante, s’est éteint plus tôt cette semaine. Tout le gratin de la grosse ligue sera réuni ce week-end pour rendre un dernier hommage à celui que ses collègues surnommaient « la conscience de la ligue ». Contrairement à ce qu’on voit souvent dans ces situations, la propriété des Bills n’a pas été transférée aux héritiers de Wilson. Le processus pour l’offrir aux plus offrants débutera prochainement. Est-ce que ça veut dire que l’équipe quittera Buffalo? Voyons voir.
Premièrement, il faut savoir qu’en plus d’être très laide, Buffalo n’est pas très grosse. En fait, à l’exception de la sympathique anomalie que constitue Green Bay, la région urbaine de Buffalo (qui comprend entre autres les municipalités de Niagara Falls au sud et au nord de la frontière), est la moins populeuse de la NFL . Plus de gens habitent la région de la capitale fédérale (Ottawa-Gatineau) que celle des Bills et des Sabres, ça vous donne une idée. De plus, la ville est raide pauvre (plus de 30 % des gens vivent sous le seuil de la pauvreté) et compte peu de sièges sociaux privés (l’état de New York et le gouvernement américain sont les 2 principaux employeurs). Non, non, je ne suis pas en train de vous décrire le modèle économique québécois, mais plutôt une autre ville industrielle du nord-est des USA qui en arrache, à l’instar de Cleveland ou Détroit par exemple.
Pour en rajouter, le Ralph Wilson Stadium n’est plus très jeune, et la construction d’un nouveau terrain de jeu fera assurément partie des conditions du maintien de l’équipe dans le nord de l’état de New York. Les changements de stade ne sont pas que cosmétiques, c’est aussi une affaire de gros sous. Les nouveaux joujoux des propriétaires sont des machines à générer des revenus, et selon cet intéressant article de Forbes, alors que l'ode à la démesure de Jerry Jones à Dallas rapporte 125 millions de billets verts annuellement uniquement en commandites, la vieille baraque d’Orchard Park peine à en rapporter 20.
Apparté intéressant, l’article nous apprend que c’est à San Diego que la bière est la plus chère dans la NFL. Vous devrez payer 9 $ votre petite mousse au Qualcomm Stadium. Alerte au sarcasme : malheureusement pour eux, les Chargers ne sont pas la propriété d’un magnat de la bière qui peut profiter de l’effet de synergie pour abreuver ses partisans à prix raisonnable.
Toujours est-il que Forbes établit la valeur des Bisons à 870 millions, une somme qu’il faudra pratiquement doubler pour ériger un nouveau stade. Certains financiers de Chicken Wings City ont les proches profondes, notamment le nouveau propriétaire des Sabres, mais investir entre 1,7 et 2 Milliards de dollars dans ce marché ET générer un rendement qui justifie la transaction sera très difficile.
Assez de négativisme toutefois, car la ville compte sur un atout de taille : ses partisans. Je ne sais pas si ça veut encore dire quelque chose dans cette ligue ultra-corporative où tout se mesure désormais en salons privés et en revenus générés, mais tous ceux qui ont eu le bonheur d’aller voir un match à Buffalo gardent un excellent souvenir de l’ambiance et de la passion des amateurs. A condition bien sûr d’avoir survécu aux fameux tailgate de Buffalo! L’équipe de football fait partie intégrante de la ville et malgré la décennie de misère sur le terrain, les billets continuent de s’écouler relativement facilement. Imaginez si on offrait du vrai football!!! De plus, l’équipe a toujours été régionalisée et la récente série de matchs à Toronto, même si elle s’est avérée un flop monumental, a contribué à attirer significativement plus d’Ontariens aux parties locales à Buffalo. La clef de la voûte du maintien de l’équipe dans son marché actuel passe probablement par un accroissement de la clientèle (notamment corporative), de la riche métropole Canadienne.
De plus, le bail liant la formation au stade prévoit une pénalité exorbitante de 400 millions en cas de déménagement. Cette clause est valide jusqu’en 2020 et garantit à toutes fins utiles le maintien à court terme de l’équipe à Buffalo. Ça donne aussi le temps aux investisseurs locaux de s’organiser. De toute manière, dans un sens ou dans l’autre, ne vous attendez pas à un dénouement rapide de cette saga. Il faudra d’abord régler la succession de M. Wilson avant de débuter le processus de vente et on imagine qu’après avoir accepté un propriétaire mis sous enquête pour fraude quelques mois plus tard à Cleveland, la NFL imposera un strict examen à quiconque voudra rejoindre son cercle des riches et puissants. Tout cela pour dire que la formation ne devrait pas être vendue avant 2015 et un fonds en fiducie administrera l’équipe entre temps.
Si ce n’est pas Buffalo, où aller?
Los Angeles :Évidemment, il s’agit de la grande favorite. Quand on y pense, c’est illogique que la 2e cité des USA n’ait pas de football professionnel. Dans une ligue de plus en plus corporative, les dollars de Tinseltown deviennent de plus en plus difficiles à ignorer. Si les coûts d’acquisition d’une franchise et de la construction d’un stade sont exorbitants pour Buffalo, plusieurs dans le sud de la Californie peuvent les assumer et les rentabiliser. Par contre, si on entend parler de la construction d’un édifice depuis des années là-bas, le projet fini toujours par tomber. Sauf qu’on peut facilement imaginer que les obstacles actuels seront tassés du chemin si les possibilités d’accueillir une franchise prennent de l’ampleur.
Londres :Roger Goodell aime bien la capitale anglaise et tous les matchs disputés à Wembley, peu importe à quel point ils sont nuls compétitivement, se sont vendus rapidement. La ligue ne fait que commencer à s’abreuver dans l’immense potentiel monétaire britannique et européen plus globalement. La question est cependant de savoir jusqu’à quel point une franchise permanente sur un continent où le football qui se joue avec les mains ne sera toujours qu’un sport marginal pourrait générer de l’intérêt et de l’argent neuf. Il faudra que la réponse soit « beaucoup, beaucoup, beaucoup » pour convaincre tous les sceptiques notamment l’association des joueurs.
Toronto : La famille Rogers possède les capitaux et l’intérêt nécessaires pour se payer une franchise de la plus grosse ligue sportive du monde. Toutefois, les récents déboires de la série de matchs des Bills dans la ville reine ont refroidi quelques ardeurs et montré les limites de l’intérêt d’une masse critique de Canadiens pour le football à 4 essais. De plus, même si Toronto aime bien se comporter comme une ville américaine, la venue de la NFL au Canada ne se ferait pas sans heurts et un précédent existe où le gouvernement Canadien a bloqué l’arrivée d’une ligue du sud de la frontière pour protéger la CFL.
Montréal :Ben non, c’tune joke! Mais avouez que ce serait le fun!!!!
Nous y voilà donc. Tous les ingrédients sont en place pour un combat inégal. D’un côté, la NFL, la grosse argent et les corporations. De l’autre, la passion et la loyauté de fans en or. Si l’histoire était scénarisée dans un studio d’Hollywood, le cœur gagnerait et Buffalo conserverait son club. Malheureusement, la business de la NFL ne donne plus dans la magie et les bons sentiments. Je souhaite ardemment le maintien des Bills à Buffalo, mais les gens de la place ont tout un défi devant eux s’ils souhaitent conserver leur concession.