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Gastro-enterites et "gastros"

Publié le 05 avril 2014 par Dominique Le Houézec

GASTRO-ENTERITES ET Croisant une femme et ses trois enfants, je demande comment ça va. Elle me répond «Nous sommes en pleine  gastro». Les enfants paraissent en pleine forme, ils jouent pendant que nous parlons et rien, à première vue, ne fait penser qu’ils sont malades. Les gastro-entérites peuvent être modérées ou intenses et parfois même mortelles. Mais parle-t-on de la même chose lorsque l’on parle de "gastro" et de  gastro-entérite ? Et qu’est ce qu’une gastro entérite ?


Le dictionnaire Garnier-Delamare des termes techniques de médecine (1967) dit qu'il s'agit d'un «Inflammation des muqueuses gastrique et intestinale». Il ne nous dit pas si c’est d’origine bactérienne ou virale. Il ne dit pas non plus si cela peut être grave. Il ne décrit aucun des symptômes, la définition tient en six mots. Dans le Petit Robert (1983), la définition « Inflammation simultanée des muqueuses de l’estomac et de l’intestin grêle » est un peu plus longue (deux mots de plus: simultanée et grêle) et plus précise puisque l’on apprend que ce n’est pas l’intestin en général et sans autre précision, comme cela est suggéré par le dictionnaire des termes techniques, mais l’intestin grêle. Mais on ne sait toujours pas quels sont les causes, quelles sont les symptômes, quel est le pronostic.
Ces deux définitions sont extraites d’éditions anciennes (1967 pour le premier et 1983 pour le second). En 2012, la 31éme édition du Garnier-Delamare est beaucoup plus copieuse: aux six mots de l’édition 1967 « Inflammation des muqueuses  gastrique et intestinale », elle ajoute di-huit mots « D’origine le plus souvent bactérienne ou virale, les gastro-entérites provoquent des nausées ou des vomissements et de la diarrhée ». C’est un effort considérable qui mérite d’être salué: le nombre de mots de la définition a été multiplié par quatre mais on    ne sait toujours pas grand chose.
GASTRO-ENTERITES ET En 1967, lorsque le Garnier-Delamare disait «Inflammation des muqueuses  gastrique et intestinale », la très grande majorité des diarrhées étaient traitées  par antibiotiques par la très grande majorité des médecins. Pour des raisons multiples et interreliées, ignorance, manque d’ intérêt, pression publicitaire des  laboratoires pharmaceutiques et surtout idéologie du «qui peut le plus, peut le moins » (les antibiotiques peuvent guérir une septicémie, ils peuvent donc guérir une maladie moins grave), idéologie du « ça ne peut pas faire de mal et ça évite  les surinfections », idéologie de l’absence de pensée et d’évaluation… pour toutes ces raisons, les antibiotiques étaient donc très largement prescrits.
En 2012 et aujourd’hui, la situation est moins catastrophique. Pourtant beaucoup de parents et de médecins ignorent que la réhydratation par voie orale peut être très efficace, même devant des déshydratations sévères. Beaucoup ignorent que plusieurs médicaments couramment prescrits sont sans intérêt, plusieurs ignorent que les régimes classiques, les privations de lait sont très discutables, plusieurs ignorent l’intérêt du zinc et des prébiotiques. Et tout cela pour des raisons multiples et interreliées: ignorance, désintérêt, absence de journaux médicaux  libres et indépendants de l’industrie pharmaceutique...
Le message qui est donné aux étudiants en médecine et futurs médecins à propos du traitement des gastro-entérites est heureusement désormais plus centré sur le rôle essentiel de la réhydratation et les solutés adéquats. Ceci a été initié et propagé grâce aux actions de l'OMS destinés initialement aux pays du Tiers-Monde. Le remboursement de ces produits leur a aussi donné un peu plus de lettres de noblesse, les faisant entrer dans la catégorie des produits thérapeutiques. 
GASTRO-ENTERITES ET Cependant beaucoup de médecins se laissent parasiter par les publicités des magazines médicaux, les belles promesses des visiteur(euse)s médicaux(les), les EPU aux orateurs nourris de conflits d’intérêts plus ou moins discrets. Ils imaginent psychologiquement difficile de laisser repartir des parents avec une ordonnance "légère" ne mentionnant que ces seuls sachets de poudre accompagnés de conseils de surveillance. 

Les parents tolèrent difficilement de leur côté la persistance, la pérennisation de symptômes (vomissements, selles liquides ou différentes du transit habituel) sans que l'on puisse leur concéder un traitement symptomatique (anti-émétique et/ou anti-diarrhéique) un peu magique. Combien d'appels ne reçoit-on pas car les selles restent molles ou plus fréquentes au décours de tels épisodes de "gastro". Soit on prend le temps d'expliquer l'absence de gravité de situations de quasi-guérison de l'infection digestive initiale, soit on prescrit le médicament ad-hoc, c'est plus rapide et cela donne l'impression aux parents de faire quelque chose d'utile en achetant un médicament souvent non remboursé mais qu'ils imaginent hâter la guérison de leur enfant. 
Lorsqu’un étudiant en médecine lit la définition du Garnier Delamare 2012, il sait qu’elle est incomplète ou il peut facilement le savoir. Il sait qu’il y a des  gastro-entérites à rotavirus. Il sait qu’il existe même un vaccin contre le rotavirus et que ce vaccin est utilisé de façon systématique aux USA. Il sait ou il peut facilement savoir que  le vaccin est plus largement diffusé là où les populations sont solvables ou rendues solvables par les systèmes d’assurance maladie plus que dans les pays où les morts sont nombreuses et où il pourrait être réellement utile. Mais l’étudiant en médecine accepte sans broncher cette définition. Il sait que la  paix est à ce prix: accepter la somnolence, l’irresponsabilité, l’absence d’information sérieuse. D’autant plus que les gens dans leur ensemble ont eux aussi accès à toutes ces données. Il leur serait facile de découvrir que les définitions sont très approximatives et que les débats sont médiocres.
Mais pour des raisons multiples et intereliées, que je vous laisse imaginer, ni les   étudiants en médecine, ni les médecins, ni la population en général ne sont profondément intéressés par une politique de santé publique sérieuse, qui impliquerait, entre autres, un effort de définitions précises.

Jean-Pierre LELLOUCHE



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