Un homme d’État est un homme qui veut avant tout agir selon l’intérêt général. Dominique Baudis, bien que jamais
ministre, promis à une belle destinée nationale, aura été un homme d’État dans sa ville de Toulouse et dans sa région Midi-Pyrénées. Un homme localement d’État.
C’est avec une grande émotion que l’annonce de la disparition de Dominique Baudis a été accueillie ce jeudi 10 avril 2014 en fin de matinée. La lutte contre la maladie implacable, des
opérations, une dernière hospitalisation depuis quelques jours au Val-de-Grâce, à Paris. Le premier Défenseur
des droits est mort quatre jours avant son 67e anniversaire.
Même émotion unanimement ressentie dans toute la classe politique, parmi ses amis de l’ex-UDF, évidemment,
comme François Bayrou, Philippe Douste-Blazy, Jean-Luc
Moudenc (actuel député-maire de Toulouse), Pierre Méhaignerie, François Sauvadet, Gérard Longuet (qui fut
son camarade de promo à Science Po), mais aussi le Président François Hollande (au Mexique), le Premier Ministre Manuel Valls, le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll, le président de l’UMP Jean-François Copé, l’ancien président du CSA Hervé Bourges, l’actuel président de l’Institut du monde arabe (et ancien ministre)
Jack Lang, le journaliste Patrick Poivre d’Arvor, et tant d’autres.
Même émotion, et même sentiment d’inachevé dans un destin politique en pointillé que lors de la brutale
disparition de Philippe Séguin il y a quatre ans, le 7 janvier 2010. Comme ce dernier, Dominique Baudis
recevra les honneurs de la République aux Invalides au début de la semaine prochaine.
Assez discret depuis plusieurs années, Dominique Baudis était avant tout un homme des médias, et l’hommage si
intense qui lui est rendu doit sans doute une part au fait qu’il a fait partie du sérail, grand reporter puis présentateur du journal de 20 heures.
Je me souviens aussi de ses présentations de la séance des questions au gouvernement du mercredi après-midi,
pendant deux heures, au cours desquelles, contrairement à ses successeurs présentateurs, on pouvait sentir une réelle passion et un réel respect car il ne se permettait jamais parler au-dessus
d’un discours. Lorsqu’un parlementaire parlait dans l’hémicycle, il se taisait, par respect pour les parlementaires et les téléspectateurs (aujourd’hui, un présentateur se croit obligé de
commenter ce que dit le parlementaire, comme si le téléspectateur n’était pas capable de comprendre tout seul).
Parce qu’il était un centriste engagé, c’est-à-dire, avant tout, un démocrate européen engagé, j’ai eu l’occasion de le rencontrer à de nombreuses reprises à la fin des années 1980 et dans les années 1990. Il faisait partie, au sein
du mouvement centriste, des "3 B", la nouvelle génération : Baudis, Bayrou, Bosson. Troisième
génération de la formation initiée par Jean Lecanuet et André Diligent et reprise ensuite par Pierre
Méhaignerie, Bernard Stasi et Jacques Barrot.
Il a pris la succession de son père Pierre Baudis à la mairie de Toulouse. Il a été élu en mars 1983 avec
d’autres jeunes maires (Annecy, Grenoble, etc.) et cette "bande" de jeunes élus de l’opposition, véritables espoirs d’une nouvelle génération, passés par les élections européennes en juin 1984
puis par le Palais-Bourbon en mars 1986, a été révoltée de l’échec présidentiel de mai 1988. Le diagnostic, c’était qu’il fallait un renouvellement complet de la classe politique.
Cela a abouti à la démarche des Douze rénovateurs au printemps 1989, avec notamment Dominique Baudis, Michel Noir (député-maire de Lyon), Philippe Séguin, François
Bayrou et François Fillon. À la télévision, un soir, Dominique Baudis a eu l’audace (unique dans sa carrière) de demander à l’ancien Président de
la République Valéry Giscard d’Estaing, alors président de l’UDF et en piste pour diriger une liste aux
européennes quelques semaines plus tard, de se retirer, de prendre sa retraite et de laisser la nouvelle génération occuper le terrain.
Cette aventure n’a eu aucun lendemain. Les divergences de fond et de stratégie entre Philippe Séguin et
Dominique Baudis firent capoter la constitution d’une liste des rénovateurs qui a terminé en liste centriste dirigée par Simone Veil (avec pour numéro deux, un autre nouveau maire, Jean-Louis Borloo),
en compétition avec une liste RPR-PR dirigée par …Valéry Giscard d’Estaing et Alain Juppé.
Dominique Baudis avait cependant obtenu aux élections européennes de juin 1994 ce qu’il n’aurait jamais
espéré en juin 1989, l’unité de la majorité d’alors, UDF-RPR, en dirigeant lui-même la liste commune. Ce fut sa seule campagne nationale (à l’époque, la proportionnelle était appliquée à l’échelon national) qui lui permit d’obtenir la première place avec près de 26% des suffrages.
Entre temps, il avait raté l’occasion historique : au congrès du Centre des démocrates sociaux (CDS) en
octobre 1991 à Angoulême, il avait finalement renoncé à conquérir à la hussarde la présidence du parti contre l’ancienne garde. Il s’était contenté d’une simple "présidence exécutive" qui n’était
qu’un titre parmi d’autres. Il aurait pris la présidence du CDS en 1991, il aurait été forcément en piste pour être le candidat de l’UDF en 1995 après le passage dans un grand ministère.
Finalement, l’UDF n’a eu aucun candidat à l’élection présidentielle de 1995 et a dû juste compter les coups entre Jacques Chirac et Édouard Balladur.
La carrière électorale de Dominique Baudis fut toutefois très brillante, et à ma connaissance, il n’a connu
aucun échec électoral personnel : maire de Toulouse de mars 1983 à janvier 2001, conseiller général de mars 1985 à 1990, président du Conseil régional de Midi-Pyrénées de mars 1986 à juin
1988, député européen de juin 1984 à juin 1988, de juin 1994 à octobre 1997 et de juin 2009 à juin 2011, député de Haute-Garonne en mars 1986 (laissant le siège à son père), puis de juin 1988 à
mai 1994 et de juin 1997 à janvier 2001. Il avait commencé en se faisant élire conseiller municipal de Boulogne-Billancourt en mars 1971 sur la liste menée par Georges Gorse.
Après avoir négocié un changement de trajectoire en passant du journalisme vers la politique au début des
années 1980, Dominique Baudis effectua un autre changement de piste en lâchant la politique pour des fonctions plus administratives ou indépendantes : président du Conseil supérieur de
l’audiovisuel (CSA) de janvier 2001 à janvier 2007, où il lança la télévision numérique terrestre (TNT), puis, en concurrence sur le poste avec Hervé Bourges (son prédécesseur à la présidence du
CSA), il fut nommé président de l’Institut du monde arabe de février 2007 à juin 2011 (Jack Lang lui a ensuite succédé). Il esquissa ensuite un court retour dans la vie politique en dirigeant une
liste aux européennes de juin 2009.
Court car le 22 juin 2011, nommé par le Président Nicolas
Sarkozy, Dominique Baudis inaugura la toute nouvelle fonction de Défenseur des droits créée par la réforme
des institutions du 23 juillet 2008.
Chaque année dans un rapport, encore le 2 septembre 2013, Dominique Baudis pointait du doigt la rudesse de
l’administration française face aux citoyens qu’il essayait de soutenir de son mieux pour éviter des injustices : « Pour des familles qui sont
sur le fil, le moindre incident provoque une chute dont elles ne se relèvent pas, ne sachant pas à qui s’adresser. J’ai le souvenir de cette grand-mère qui, du jour au lendemain, a perdu tous ses
droits, pension de retraite, couverture sociale… parce qu’une dame, née le même jour qu’elle et qui portait les mêmes nom et prénom, était décédée : l’administration avait confondu les deux
identités. Cette femme, seule pour démêler sa situation, sans famille, s’est retrouvée devant un véritable mur. Les plateformes téléphoniques, les services externalisés, les délégations de
service public ont rendu l’administration encore plus abstraite, plus inaccessible, plus violente. » ("Journal du Dimanche" du 1er septembre 2013).
Car l’injustice, il avait conscience de ce qu’elle pouvait être. Odieusement calomnié dans l’affaire Patrice
Alègre (révélant les rumeurs qui couraient contre lui dans le journal de 20 heures de TF1 le 18 mai
2003), Dominique Baudis a gardé tout le restant de sa vie une réelle blessure que sa mise hors de cause officielle n’a jamais pu refermer. C’est ce qui lui a permis aussi de se mettre à la place
des citoyens injustement (mal)traités par l’administration. Espérons que son successeur mettra le même talent au service des citoyens.
Dominique Baudis (1947-2014) et Philippe Séguin (1943-2010), les deux leaders des Rénovateurs de 1989, l’un centriste, l’autre gaulliste, chacun ancien présidentiable plein d’avenir, chacun avec
une carrière nationale en deçà de sa potentialité, chacun tirant les oreilles de l’administration pour l’un (comme Défenseur des droits), de l’État et du gouvernement pour l’autre (comme premier
Président de la Cour des Comptes), chacun disparu brutalement, trop brutalement, à 66 ans, sont aujourd’hui encensés par la classe politique, dans un large consensus émotionnel.
J’adresse mes condoléances à la famille et les proches de Dominique Baudis après ce douloureux calvaire
contre la maladie.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (10 avril
2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Dominique Baudis, bientôt premier Défenseur
des Droits (4 juin 2011).
Dominique Baudis, ex-jeune loup de la politique française (15 juin 2011).
La rumeur dans le milieu
politique.
Les
Rénovateurs (1).
Les
Rénovateurs (2).
La
famille centriste.
François Bayrou.
Jean-Louis
Borloo.
Philippe Séguin.
Bernard Stasi.