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Max | Sea Bird

Publié le 13 avril 2014 par Aragon

sea-bird-300x26488.jpgGilles est juché en haut de son échelle double comme un jockey sur son cheval. Il monte tout en haut, l'enjambe et passe le rouleau dans une position bizarre qui rappelle un peu le style des hommes du cheval. Quand il descend de son échelle, c'est comme s'il déchaussait les étriers, faut dire qu'avant d'être artiste peintre en bâtiment Gilles a été jockey professionnel en Europe et dans d'autres pays du monde pendant vingt ans. L'âge est fatal aux chevaux et aux jockey, exception faite pour Mister Piggott.

Il chevauchait son échelle pour faire le plafond dans ma cuisine l'autre jour, moi je m'attelais aux murs, basse besogne, pendant que lui rayonnait dans les hauteurs. Quand soudain, prononcé par mon pote, un nom est tombé dans la conversation équine que nous menions bâtons rompus : Sea Bird.

Je vais la faire brève, j'ai déjà parlé sur ce blogue de mon amour passionnel, immodéré, pour les chevaux. Tous les chevaux, les vrais et les faux, les légendaires ceux d'Alexandre-le-Grand, des Nez-percés ou de l'émir Abd-el-Khader, les hors du commun : les chevaux de course. En course, ma prédilection va pour les courses de plat. Je ne dédaigne pas le trot attelé mais le plat est le plat principal de ma vie de passionné de cheval. Sea Bird, je l'ai vu courir en 1965 et gagner entre autre cette année-là, le Derby d'Epsom et "l'Arc".

Sea Bird c'est Sea Bird, à jamais Sea Bird dans mon coeur. On me dira Ribot, on me dira Nijinsky, on me dira Sassafras, on me dira Anilin, Apex Hanover, Tidalium Pelo et Ourasi au trot attelé. Mais le galop, le plat, les deux mille quatre cents mètres d'Epsom et de Longchamp !!! Faut simplement voir pour se faire une idée du phénomène les cent derniers mètres du Derby d'Epsom 1965, faut voir Sea Bird dans ses oeuvres. Ce n'était pas un cheval c'était une oeuvre d'art, c'était un Stradivarius, c'était, si je colle une âme à l'objet, un Casals ou un Horowitz, c'était, comme ces gens-là, un moment d'éternité que ce cheval...

Et voilà que Gilles qui était loupiot au moment des faits me parle de Sea Bird ce jour-là du haut de son échelle. À ma façon de réagir il a vu qu'il se passait quelque chose en moi. J'ai essayé de lui dire à lui l'homme de l'art, le jockey pro qui a galopé avec Yves Saint-Martin et Mister Lester Piggott himself, j'ai essayé de lui bredouiller qu'entre Sea Bird et moi, y'avait comme une vieille histoire d'amour. Mais, rien, si peu a pu passer. Qui se souvient de Sea Bird ?

Ne pas faire de sa vie un souvenir, memorandum, funérarium. Ne pas ériger de stèles, ni empeser, ni mettre sous cadre noir d'éternité, personne ne vaut ça. C'est faire injure aux morts que de les statufier... Ne rendre aucune visite dans les cimetières, columbariums, aussi fleuris soient-ils. Non, rien de tout ça.

Garder sa vie, garder sa vie présente comme un champ de course à courir, y jeter toutes ses forces, garder aussi sa vie comme un chant, comme partition de Bach ou Liszt sous les yeux de Casals et Horowitz car une vie c'est beau comme du Bach ou du Liszt, garder aussi sa vie comme la grande piste de Longchamp vue à travers l'oeil éternel de Sea Bird qui la jauge dans la boîte de départ de "l'Arc". Après, la course est finie. D'autres chevaux et d'autres gens viendront...


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