Par Jean-Philippe Magnen
EELV
LE PLUS. Faut-il avoir peur du saumon norvégien ? Selon diverses associations de défense de l'environnement, son élevage intensif entraînerait la pollution des fjords et serait néfaste pour la santé. À l’invitation des Verts norvégiens, Jean-Philippe Magnen, vice-président du Conseil régional Pays-de-la-Loire, s'est rendu à Borgen. Il réclame un modèle alimentaire alternatif pour l’Europe.
Édité par Sébastien Billard Auteur parrainé par Mélissa BounouaLe saumon d’élevage est la deuxième source de revenus de la Norvège (SIPA).
La production mondiale de saumons d’élevage a dépassé en 2013 la barre des deux millions de tonnes. Le saumon est en train de devenir un produit alimentaire banal, consommé par tous, et plus seulement les jours de fête.
Mais comment ce produit de luxe a-t-il pu se généraliser dans nos assiettes ? Quel est le revers de la médaille d’une telle démocratisation de la consommation ?
Pour comprendre, à l’invitation des Verts norvégiens, je me suis rendu à Bergen, ville à l’origine des révélations qui dérangent l’industrie norvégienne du saumon.
Des fjords contaminés à cause de l'élevage intensif
Si le saumon d’élevage constitue la deuxième source de revenus de la Norvège (6,6 milliards d’euros en 2012, juste derrière le pétrole), c’est d’abord grâce à l’aquaculture intensive.
Concentration des animaux dans des espaces réduits, recours aux pesticides et aux antibiotiques pour lutter contre la prolifération de parasites et les épidémies, importation de matières premières à bas coût pour nourrir les cheptels, exportation d’une partie de la production... Toutes les recettes de l’agrobusiness sont là ! De l’écloserie à la découpe, la chaîne de production du saumon d’élevage a subi une industrialisation impressionnante.
Mais ce succès économique cache un pendant bien moins glorieux. Tout comme en Bretagne l’élevage intensif de porcs a entraîné la pollution des nappes phréatiques et la prolifération d’algues vertes toxiques, l’accumulation, sur de petits espaces, des excréments de centaines de milliers de poissons (certaines cages atteignent le million) et l’utilisation de pesticides et d’antibiotiques entraînent la pollution des fjords.
C’est en effet plus de 1,6 tonne de diflubenzuron, pesticide interdit en France, qui a été déversée en 2012 en Norvège pour lutter contre le seul pou de mer !
D’autre part, les éleveurs ont introduit dans l’alimentation du saumon, pourtant carnivore, une part croissante d’aliments végétaux (soja, maïs…), l’exposant ainsi à des pesticides issus de l’agriculture intensive tels que l’endosulfane ou les polluants organiques persistants (POP), pourtant prohibés en Europe depuis 1986.
La Norvège joue avec la santé de la population
La France étant le premier importateur mondial de saumons norvégiens (103.417 tonnes en 2012), l’enjeu sanitaire n’est pas à prendre à la légère. Ces substances peuvent perturber le système hormonal et immunitaire et s'avérer cancérigènes. Elles comportent surtout un risque pour les enfants et les diabétiques, ou encore les femmes enceintes.
Les autorités françaises, via l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), ont même alerté l’opinion, en expliquant que la surconsommation de saumon (plus de deux fois par semaine), réputée "prévenir des risques cardiovasculaires", "ne compense pas les incertitudes sur les risques toxicologiques".
Par leur inaction persistante, le gouvernement norvégien et son industrie jouent donc avec la santé de la population. Il existe pourtant des alternatives, expérimentées actuellement au Danemark et en Norvège, comme le développement d’une aquaculture en circuit fermé qui établit une barrière entre le saumon d’élevage et l’environnement marin.
Cela pourrait permettre de réduire certains des impacts environnementaux associés aux systèmes en filets ouverts, telles les échappées de saumon et les épidémies de poux de mer. Les directives européennes, si elles sont respectées, sont aussi des garde-fous efficaces pour protéger les consommateurs (notamment la directive "eau").
Les limites du modèle productiviste
Plus qu’un risque sanitaire, la crise du saumon norvégien est donc un symbole de plus des limites inhérentes au modèle productiviste et libéral actuel. Qui, certes, assure la rente des multinationales, mais au détriment de la santé des consommateurs et du respect de l’environnement.
Nous, écologistes, défendons un modèle alimentaire alternatif pour l’Europe. Un modèle qui garantisse la souveraineté alimentaire de l’Europe et des autres régions du monde, la qualité des produits, la protection des travailleurs de la terre comme de la mer, ainsi que le renouvellement des ressources naturelles.
Il s’agit dès aujourd’hui, pour l’Union Européenne comme pour la Norvège, d’encourager une transition commune de leurs modèles d’élevage industriel. Pour sortir enfin du XXème siècle…