Le 2 mai 2012, face à son concurrent du second tour, le candidat François
Hollande lâchait une longue tirade, dont ces quelques mots : « Je veux être (…) un Président qui ne veut pas être Président de tout, chef de tout et en définitive, responsable de rien.
Moi, Président de la République, je ne serai pas le chef de la majorité (…). Moi, Président de la République, je ne traiterai pas mon Premier Ministre de collaborateur. (…) Moi, Président de la
République, je ferai en sorte que mon comportement soit en chaque instant exemplaire. (…) Moi, Président de la République, j’essaierai d’avoir de la hauteur de vue pour fixer les grandes
orientations, les grandes impulsions, mais en même temps, je ne m’occuperai pas de tout (…). ».
Qu’il est difficile de rester en accord avec ses promesses électorales ! Nul doute que la fameuse tirade lors de son
débat avec le Président sortant Nicolas Sarkozy va lui revenir en pleines dents lors du solde de tout compte, au printemps 2017. François Hollande n’a pas vraiment varié la pratique présidentielle de ses prédécesseurs malgré les
quelques velléités initiales professées sans doute sincèrement.
Réinitialisation du logiciel
En quelques jours, pour réduire au maximum l’impact politique du désastre électoral qu’il a subi aux élections municipales, François Hollande a complètement reformaté l’architecture de son quinquennat, de fond en comble, si bien qu’on
pourrait se demander pourquoi il a perdu deux ans dans cette errance présidentielle.
1. Changement de Premier Ministre, avec un Jean-Marc Ayrault remercié comme un simple
domestique et un Manuel Valls qui, dès sa prestation dans le journal de 20 heures sur TF1 le 2 avril 2014, a rappelé à plusieurs reprises qu’il ne
faisait qu’appliquer la politique du Président de la République, considération qu’il a reformulée à de multiples reprises le 8 avril 2014 dans son
discours de politique générale : « …proposé par le Président de la République » ; « Le Président de la République avait indiqué, le 14 janvier, que… » ; « …comme l’avait dit le
Président de la République le 14 janvier dernier » ; « …et c’est la volonté du Président de la République » ;
« C’est la grande priorité établie par le Président de la République. » ; etc.
2. Mais aussi changement du Secrétaire Général de l’Élysée avec le départ de Pierre-René Lemas et l’arrivée d’un autre camarade de la
promotion Voltaire, Jean-Pierre Jouyet, ancien ministre de Nicolas Sarkozy et surtout, ancien directeur
adjoint de cabinet de Lionel Jospin à Matignon à une époque où le conseiller en communication n’était
autre que …Manuel Valls. C’est la première fois qu’un ancien ministre accède à cette fonction stratégique, car en général, c’est plutôt l’inverse qui s’opère, le Secrétaire Général de l’Élysée
est souvent nommé ministre par la suite. Ce fut le cas de Michel Jobert, Édouard Balladur, Jean François-Poncet, Pierre
Bérégovoy, Jean-Louis Bianco, Hubert Védrine, Dominique de
Villepin, Philippe Bas et Claude Guéant.
Au gouvernement et à l’Élysée, c’est donc bien la promotion Voltaire qui assure beaucoup de responsabilités.
François Hollande refusait le népotisme supposé de son prédécesseur, mais lui l’a largement dépassé : Jean-Pierre Jouyet, Pierre-René Lemas, Sylvie Hubac (directrice de cabinet à l’Élysée),
Michel Sapin, Ségolène Royal etc. À eux, il faut rajouter les apparatchiks du Parti socialiste.
3. En enfin, dans le même temps, le même jour que la finalisation de la composition du gouvernement, le 9 avril 2014, changement du
premier secrétaire du Parti socialiste qui ne pouvait être que téléguidé par l’Élysée (« Je ne serai pas le chef de la majorité. ») avec
l’éviction d’Harlem Désir (très contesté dans ce poste) et la désignation de Jean-Christophe Cambadélis.
Un tandem 18/58
C’est donc bien le Président de la République qui s’est mis en première ligne et on peut imaginer que cette
configuration tiendra au moins jusqu’en mars 2015 (élections régionales et départementales), un échec électoral aux européennes du 25 mai 2014
(dans moins de six semaines) étant bien trop tôt pour l’imputer au nouveau gouvernement.
Le tandem va d’ailleurs beaucoup tanguer entre François Hollande et Manuel Valls, en raison de leur
psychologie très différente, d’un départ dans l’opinion publique très différent (18% d’opinions favorables pour François Hollande, 58% pour Manuel Valls, un écart historique !), et par
quelques mesures discrètes très précises comme, par exemple, la mise sous la tutelle de l’Élysée du Secrétariat général aux Affaires européennes (SGAE) qui était auparavant sous la tutelle de
Matignon, une configuration similaire à celle d’une période de cohabitation.
Un nouveau premier secrétaire du PS
Proche de Dominique
Strauss-Kahn et de Martine Aubry, qui est très silencieuse dans cette séquence postmunicipale,
Jean-Christophe Cambadélis (62 ans) a obtenu ce 9 avril 2014 son bâton de maréchal, chef du PS. Il faut insister sur le fait que ce poste est rêvé par les militants de longue date, et même des
personnalités aussi indépendantes que Michel Rocard ou Laurent Fabius ont été fières d'occuper le poste. En revanche, il n’est pas sûr du tout que Jean-Christophe Cambadélis
y fasse de vieux os. En effet, le fait que le très proche de François Hollande, l’actuel Ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll, soit désormais le porte-parole du gouvernement lui donne un
rôle politique de plus en plus important qui pourrait naturellement le porter à la tête du PS dans quelques mois, lors du prochain congrès.
Jean-Christophe Cambadélis fait partie du militantisme étudiant d’extrême gauche très actif à l’époque des
années 1970-1980, aux côtés de Julien Dray, Jean-Marie Le Guen, Jean-Luc Mélenchon, Isabelle Thomas …et Harlem Désir. Un documentaire sur LCP qui
évoquait leur jeunesse ainsi que celle de jeunes gaullistes (Nicolas Sarkozy, Patrick Devedjian, Patrick Balkany, Roger Karoutchi etc.) permet de retracer la trame politique du nouveau leader du
PS et notamment sa passion pour l’histoire politique, ce qui n’était pas forcément le cas de son prédécesseur direct.
Président de l’UNEF-ID de 1980 à 1984, Jean-Christophe Cambadélis a rejoint le PS en avril 1986 et emporta
dès juin 1988 avec le soutien de Lionel Jospin la circonscription d’un député PS sortant (Alain Billon) évincé de la candidature. Après un échec en mars 1993, il a retrouvé son siège de député en
juin 1997 jusqu’à maintenant. Il fut condamné le 28 janvier 2000 pour recel d’abus de biens sociaux à 5 mois de prison avec sursis et 100 000 francs d’amende par le tribunal correctionnel de
Paris, et le 2 juin 2006 pour recel d’abus de confiance à 6 mois de prison avec sursis et 20 000 euros d’amende par le tribunal correctionnel de Paris. Il aurait pu être désigné à la tête du
PS déjà en 1997 (à la place de François Hollande) puis en 2012 (à la place d’Harlem Désir).
Nouveau, resserré et paritaire ?
Je veux revenir sur la nomination des quatorze secrétaires d’État du gouvernement Valls. En tout, il y a donc trente et un membres du gouvernement, ce qui n’est pas si resserré que la promesse d’origine.
Il y a finalement peu de renouvellement. Beaucoup de ministres sortants se retrouvent dans ce gouvernement,
mais il y a un peu plus de nouveaux arrivants que dans les nominations du 2 avril 2014 avec neuf nouveaux secrétaires d’État dont Laurence Rossignol (56 ans), sénatrice de Compiègne depuis 2011,
journaliste, et Christian Eckert (58 ans), député de Meurthe-et-Moselle depuis 2007, agrégé de mathématiques et rapporteur général du budget à l’Assemblée Nationale. J’en évoquerai quelques
autres juste en dessous.
Quant à la parité, si elle est effectivement bien respectée en terme quantitatif, ce qui, rappelons-le, est
une bonne chose et nouveau depuis 2012, les femmes n’occupent cependant pas des postes très importants. De tous les ministères importants, qu’ils soient régaliens ou en rapport avec les priorités
présidentielles (Défense, Intérieur, Affaires étrangères, Justice, Économie, Finances, Éducation nationale, Travail), seulement une femme est présente (Christiane Taubira), deux si on inclut l’Écologie avec Ségolène Royal.
D’ailleurs, il y a une certaine hypocrisie au PS à parler sans arrêt de parité, où effectivement elle est
réalisée arithmétiquement mais certainement pas politiquement. Il suffisait de voir le nombre de têtes de liste femmes sur les listes municipales du PS en mars 2014, ou encore le nombre de femmes
socialistes parmi les présidents de conseils généraux ou régionaux.
Je vais maintenant évoquer quelques nouveaux secrétaires
d’État.
Harlem Désir aux Affaires européennes
La nomination la plus polémique est évidemment celle du premier secrétaire du PS Harlem Désir (54 ans), député européen depuis 1999, et ancien président fondateur de SOS-Racisme de 1984 à 1992. Membre du
Conseil Économique et Social de 1989 à 1994 et de 1997 à 1999, proche de Bertrand Delanoë, il a été
condamné le 17 décembre 1998 pour recel d’abus de biens sociaux à 18 mois de prison avec sursis et 30 000 francs d’amende par le tribunal correctionnel de Lille.
Je suis bien incapable de dire si Harlem Désir sera un bon ou un mauvais Secrétaire d’État aux Affaires
européennes et je propose d’observer ses actes à partir de maintenant, mais sa nomination a de quoi être très contestable pour plusieurs raisons.
D’abord, c’est un mépris total aux affaires européennes, et cela à quelques semaines des élections
européennes, dans une société en véritable perte de repère sur la construction européenne. Son portefeuille
apparaît ainsi plus un lot de consolation (considéré comme très négligeable) pour l’évincer de la tête du PS et permettre à un autre de prendre la place. Le principe de Peter appliqué au plus
haut niveau de l’État.
Ensuite, le fait (comme précédemment) qu’il soit mis sous la tutelle du Quai d’Orsay montre encore un véritable problème de prise de conscience que les affaires européennes ne sont pas étrangères à la France. Au contraire, ce sont des
affaires intérieures, elles devraient être sous la tutelle de Matignon, ou d’un ministère économique, certainement plus des Affaires étrangères.
Enfin, mais ce n’est pas nouveau, le titulaire des Affaires européennes est une véritable Arlésienne. Depuis
vingt-deux mois, c’est déjà le troisième à ce poste. Qui serait capable de citer son prédécesseur direct ? C’est même un motif de plaisanterie à Bruxelles, où l’on blague sur l’instabilité
des postes ministériels (c’est le cas aussi aux Finances, à part Christine Lagarde). Poste inauguré par
Maurice Faure (qui vient de disparaître) juste avant l’arrivée
de De Gaulle en mai 1958, ce n’est que le 11 septembre 1978 qu’il y a un titulaire systématique (juste avant les premières élections européennes) et depuis dix ans, il n’y a eu pas moins de
11 titulaires !
Par ailleurs, son passé judiciaire laisse de côté la promesse d’exemplarité de François Hollande et sa
position à propos de l’expulsion de Leonarda a laissé un goût amer sur sa loyauté.
André Vallini à la Réforme territoriale
Au contraire de l’arrivée d’Harlem Désir, j’applaudis des deux mains la nomination du sénateur André Vallini
(57 ans) au gouvernement. Positionné depuis deux ans pour être le Garde des Sceaux, je regrette même qu’il n’ait qu’un strapontin alors que cet homme raisonnable connaît très bien les dossiers de
la justice et des collectivités locales. Il avait même présidé la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Outreau (de décembre 2005 à avril 2006).
Élu local brillant en Isère, maire de Tullins de 1986 à 2001, président du Conseil général de l’Isère depuis
2001 (conseiller général depuis 1992), député de 1997 à 2011 puis sénateur depuis 2011, André Vallini avait été nommé le 22 octobre 2008 par Nicolas Sarkozy, avec l’ancien Premier Ministre
socialiste Pierre Mauroy, parmi les membre du Comité Balladur sur la réforme des collectivités locales (Y siégeaient également Jean-Claude
Casanova, Jacques Julliard, Dominique Perben et Gérard Longuet).
On pourra seulement s’interroger sur sa tutelle auprès de Marylise Lebranchu qui était en train de préparer
une réforme qui n’allait pas du tout dans le sens d’aujourd’hui, après une première réforme qui avait abrogé la diminution du nombre d’élus
(devenus conseillers territoriaux). André Vallini aurait dû être le ministre responsable de la nouvelle réforme, sa ministre de tutelle n’ayant plus aucune crédibilité dans la révolution très
ambitieuse que Manuel Valls veut engager dans ce domaine (en particulier dans la suppression des conseils départementaux qui, à mon sens, ne peut se réaliser qu’avec un président de conseil
général).
Axelle Lemaire au Numérique
Jeune mère de famille et députée socialiste depuis juin 2012 dans la circonscription d’Europe du Nord, Axelle
Lemaire (39 ans) avait refusé d’entrer au gouvernement en 2012 pour s’occuper de ses enfants. Elle aurait eu la responsabilité des Français de l’étranger (qu’elle est elle-même). Née au Québec,
ayant passé une partie de son enfance au Canada puis à Montpellier, diplômée de l’IEP de Paris, avocate, elle habitait à Londres depuis 2002 et a intégré le secrétariat national du PS en
2012.
Le départ de Fleur Pellerin de ce poste ministériel a attristé beaucoup de monde et il serait raisonnable
qu’une ministre de la République ne continue plus de séjourner dans un pays étranger…
Ségolène Neuville aux Personnes handicapées et à la lutte contre l’exclusion
Un gouvernement avec deux Ségolène c’est possible, c’est maintenant ! Médecin chargée des maladies
infectieuses et tropicales à l’hôpital de Perpignan, conseillère générale depuis mars 2011, députée des Pyrénées-Orientales depuis juin 2012, Ségolène Neuville (43 ans) siégeait à la commission
des affaires sociales à l’Assemblée Nationale jusqu’à sa nomination au gouvernement.
Pourvu qu’elle puisse faire avancer dans les dossiers pour faciliter la vie dans la cité des personnes qui
ont un handicap. La France est encore très en retard par rapport à des pays du nord de l’Europe sur ce sujet essentiel pour plusieurs millions de personnes. C’est d’autant plus important que tout
le monde peut se retrouver, un jour, provisoirement ou définitivement, dans un état de handicap. La capacité de la société à s’adapter pour permettre à tous de vivre de façon autonome est aussi
l’un des meilleurs marqueurs de …l’évolution d’une civilisation.
Jean-Marie Le Guen aux Relations avec le Parlement
Beaucoup plus politique que les autres secrétaires d’État, Jean-Marie Le Guen (61 ans) entre enfin au
gouvernement. Je dis "enfin" car ce proche de Dominique Strauss-Kahn attendait ce moment depuis longtemps, même si l’on peut se demander si ce n’est pas un lot de consolation après le désastre
municipal qui l’aurait empêché de devenir le premier président du Grand Paris.
Médecin spécialisé en économie de la santé, Jean-Marie Le Guen, originaire du militantisme d’extrême gauche,
a commencé sa carrière au sein de l’UNEF-ID dont il fut longtemps salarié (ce qui lui a valu une mise en examen le 6 juin 2000 pour détournement de fonds publics, en d’autres termes, pour un
emploi fictif présumé, par le parquet de Paris suivie d’un non-lieu).
Responsable des socialistes parisiens de 1987 à 2000, il fut élu conseiller de Paris de 1989 à 2001 et de
2008 à 2014 (adjoint au maire, il avait eu quelques velléités de se présenter contre Anne Hidalgo à la mairie de Paris en 2014), conseiller régional de 1992 à 1997, député de Paris de 1988 à 1992
(comme suppléant de Paul Quilès, nommé ministre), puis depuis 1997, comme titulaire élu sur son nom, et il a présidé les hôpitaux de Paris de 2008 à 2010.
Enfin, après l’affaire DSK, Jean-Marie Le Guen a soutenu la candidature de François Hollande et fut chargé,
pour sa campagne présidentielle, des affaires sur la santé.
Vous aviez dit réduire le train de vie de l’État ?
Les ministres précédents ont accordé en 2013 à leurs 449 collaborateurs directs (sur 565) plus de 12 millions
d’euros de "primes de cabinet" (ISP : "indemnités pour sujétions particulières" mises en place par Lionel Jospin en 2001), soit en moyenne des revenus complémentaires (en plus du salaire) de
2 500 à 3 500 euros par mois (selon l’annexe sur les personnels affectés dans les cabinets ministériels du projet de loi de finance 2014).
Les ministres les plus gourmands ont été Anne-Marie Escoffier, Aurélie Filippetti, Sylvia Pinel, Manuel Valls, Cécile Duflot, Marylise Lebranchu, Bernard Cazeneuve, Vincent Peillon, Nicole Bricq… tandis que Michel Sapin, désormais responsable
des Comptes publics, a été le plus "pingre" avec seulement 670 euros de prime mensuelle pour ses collaborateurs.
Le courage sera-t-il au rendez-vous ?
La nouvelle équipe du quinquennat de François Hollande est donc arrivée au bout de vingt-deux mois, avec peu
de différences avec l’ancienne. Souhaitons qu’elle aura plus de courage et de sens de l’intérêt général pour réformer réellement la France et lui redonner un destin industriel qu’elle n’a fait
que perdre depuis ces dernières années. Et espérons qu’il y aura moins de largesse chez les gouvernants actuels que dans le gouvernement Ayrault.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (14 avril
2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Les 14 secrétaire d’État nommés le 9 avril 2014.
Communication ou révolution ?
Le discours de politique générale de Manuel Valls du 8 avril
2014.
La montagne accouche d’une
souris.
Les 16 ministres nommés le 2 avril
2014.
Manuel Valls nommé Premier Ministre le 31 mars
2014.
Le désastre municipal du 30 mars 2014.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/moi-je-ne-serai-pas-le-chef-de-la-150713