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Maroc : « L’exception politique » durera-t-elle longtemps ?

Publié le 16 avril 2014 par Unmondelibre
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A la croisée des chemins entre l’Afrique et l’Europe, le Maroc s’est toujours distingué comme un pays de brassage culturel sur plusieurs civilisations. Une autre particularité, cette fois politique, caractérise le pays, celle d’être un « pays-modèle » de changement pacifique en Afrique. Une exception, qui s’est encore consolidée après « le printemps arabe », comparativement à ses voisins, le Maroc a traversé « l’orage », sans violence et sans chaos politique. Quelles sont les raisons de cette « exception marocaine » ? Et continuera-t-elle à l’être dans l’avenir ?

Au Maroc, le système politique est issu de la structuration des conflits de pouvoir après l’indépendance. L’institution royale a constitué et continue de constituer la clé de voute du système politique. La monarchie a permis une stabilité politique, et ceci en raison tout d’abord de sa légitimité historique. Le Maroc est le seul pays d’Afrique du Nord qui ait connu un régime de protectorat, à la différence du régime de la colonisation directe opéré dans les autres pays. Le colonisateur a trouvé au Maroc un État déjà structuré, en raison du système du Makhzen et du rôle du Sultan dans la fondation de l’Etat marocain. La légitimité populaire est un autre atout de la monarchie. La communion entre le peuple et le Roi Mohamed V lors de son exil est un exemple concret. L’acte de l’exil effectué par le protectorat français était révélateur du lien solide qui unit le peuple marocain au trône Alaoui. L’attachement populaire à la figure de libérateur et de commandeur des croyants a consolidé davantage le sentiment national et religieux des Marocains. Enfin, l’institution monarchie se caractérise par un sens de l’adaptation très élevé. L’alternance politique, en 1999, est révélatrice dans ce sens. Le défunt Roi Hassan II a pu inclure l’opposition à l’exercice du pouvoir en formant le premier gouvernement d’alternance d’Abderhman Youssfi. Cela a permis une transition politique pacifique et consensuelle.

Par la suite, le Maroc s’est engagé dans des réformes politiques de grande envergure. La création du Conseil Constitutionnel, celui du Conseil Consultatif des Droits de l’Homme, et qui sera aujourd’hui le Conseil National des Droits de l’Homme, les tribunaux administratifs, l’Instance Equité et Réconciliation, la réforme du Code la Famille,l’Initiative Nationale du Développement Humain, (INDH) : des réformes saluées au niveau régional et international sur le chemin de la démocratie transitionnelle. Ce sont autant de mesures qui ont préparé le terrain à une succession souple du pouvoir, mais surtout qui ont anticipé sur les attentes de la population en matière des droits et de libertés. Cette ouverture anticipée  a été un gage pour le Maroc sur le chemin de la stabilité politique. Toutefois les attentats du 16 mai 2003 ont donné lieu au retour d’une politique sécuritaire restrictive des libertés publiques et civiles. Les écarts de la pauvreté, la dégradation des conditions de vie, et la crise économique qui a touché le monde et le Maroc en 2008, ont été autant de facteurs pour déclencher une crise politique sur l’ensemble de la région arabe, sous la bannière du « printemps arabe ».

Des bouleversements qui vont sans doute toucher un régime et un pays tel que le Maroc. La réaction à ces changements va être proactive. Le discours du 9 mars 2011,  annonçant la reforme de la Constitution en juillet de la même année, était un acte visant à contenir, tout prix, le mécontentement populaire avec des promesses alléchantes. Cependant, étant élaboré à la hâte, il n’a fait qu’apporter quelques ajustements mineurs pour traverser la conjoncture difficile, loin d’une réelle volonté du changement de système.

La réforme était donc au niveau de l’esprit et du cadre général de la Constitution. Mais fondamentalement, le Roi conserve ses prérogatives majeures tout en devant partager l’exercice des fonctions exécutives et législatives avec le chef du gouvernement. Le rôle des autres acteurs politiques, à savoir, les partis politiques, la société civile, l’opposition, les instantes indépendantes, est dorénavant probant. Ils sont désormais des institutions constitutionnalisées. Cependant, le Roi demeure la pierre angulaire dans l’architecture institutionnelle marocaine. Une réelle séparation des pouvoirs, qui est la condition essentielle d’un régime démocratique, fait toujours défaut. Les traits d’une monarchie exécutive marquent toujours les constantes du régime.

Tout d’abord, le chef du gouvernement qui dispose c’est vrai, de plus de pouvoirs en matière de nomination et de coordination de l’action gouvernementale, reste dépendant par rapport au souverain. Les questions stratégiques, telles que sécuritaires, diplomatiques ou de défense sont toujours de la compétence première du Roi. Ce dernier préside le Conseil Supérieur des Oulémas, de ce fait, le domaine religieux est de sa compétence exclusive. Ceci relève du caractère spécifique de la Commanderie des croyants au Maroc. Ensuite, le domaine de la loi est toujours restreint. Malgré une relative extension (article 9 à 50), le Parlement pourrait être toujours dissout par le souverain.

Enfin, en présidant le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, le Roi cumule les trois pouvoirs au sein du système politique marocain. Une réelle indépendance du pouvoir judicaire n’est toujours pas garantie. Au-delà de la séparation des pouvoirs, le cumul du pouvoir politique et économique continue d’endiguer l’espoir d’une réelle démocratie marocaine. L’économie de rente, la corruption ancrée, la cooptation et la propagande de l’Etat, la répression continue des mouvements pacifiques, sont autant de risques qui piétinent l’expérience politique marocaine au sein de son espace.

A vrai dire, si l’Etat marocain n’était pas en mesure de répondre aux attentes de la société, que ce soit en termes de création de richesses et surtout de justice sociale, ce que l’on appelle « le modèle démocratique marocain », il perdrait de sa force de résistance. C’est de la réelle volonté de changement, aussi bien de la part de la monarchie, des acteurs politiques et des acteurs économiques, ainsi qu’une action cohérente avec cette volonté, que dépendra l’affirmation ou l’infirmation d’une prétendue spécificité, ou exceptionnalité marocaine en Afrique du Nord.

Siham Mengad, Doctorante en Droit international et Sciences politiques au GERPAD, Université de Fès (Maroc) - 16 avril 2014


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