Hollande et son premier ministre ont pris l’habitude de ne tendre que l’oreille droite. Pierre Gattaz l’a compris mieux que personne.
Cette fois l’offensive est massive, coordonnée. Non content de triompher sur presque tous les fronts, le président du Medef, Pierre Gattaz, s’est donc prononcé hier pour l’instauration d’un «salaire transitoire inférieur au Smic». Ne voyons là aucune provocation, prenons l’affaire au sérieux. Si le patron des patrons prend le risque de ressortir de la boîte à outils du patronat la vieille idée d’un Smic version Balladur (CIP) ou Villepin (CPE), allant au-delà des seuls jeunes désormais, c’est bien parce qu’il se sent soulevé par les courants d’air porteurs de l’Élysée et de Matignon! Conforme à sa stratégie d’aller plus vite, plus haut et plus fort, Pierre Gattaz veut appliquer à l’économie française la célèbre devise olympique et ne plus se contenter du pacte de responsabilité, qu’il a applaudi des deux mains. Il lui faut maintenant ouvrir la dernière trappe aux bas salaires et casser les derniers vestiges du droit du travail, afin, dit-il, de «faire sauter des verrous» pour «créer 1 million d’emplois en cinq ans».
Les arguments sont archiconnus et assénés chaque jour à longueur d’ondes et d’antennes. Le niveau «élevé du Smic» serait «une marche d’escalier» insurmontable pour les entreprises. M. Gattaz propose ainsi de «sortir de la doctrine et du dogme». On croit rêver…
Depuis quelques jours, ils étaient nombreux à camper le jeu de rôle de l’atomisation du Smic. Trois économistes d’abord, Philippe Aghion, Gilbert Cette et Élie Cohen, auteurs d’une espèce de bible actualisée du social-libéralisme, tous reçus, mardi dernier, à l’Élysée. Pascal Lamy ensuite, l’ancien directeur de l’OMC, personnalité «proche des socialistes» selon la novlangue actuelle, qui vient lui aussi de plaider pour la création de «petits boulots» rémunérés en deçà du salaire minimum. Point commun de ces penseurs de l’harmonisation sociale par le très très bas: le modèle allemand pardi, dont la doctrine en matière de «droits» sociaux est devenue la norme plus ou moins ouvertement référencée sous les lambris de nos principaux acteurs socialistes. Hollande et son premier ministre ont pris l’habitude de ne tendre que l’oreille droite. Pierre Gattaz l’a compris mieux que personne.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 16 avril 2014.]