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« Les toxicomanes sur le divan. Nouvelles pratiques, nouveaux défis » Interview des auteurs et spécialistes : Amal Hachet et de Pascal Hachet

Publié le 16 avril 2014 par Hizine2t @HizineMag
« Les toxicomanes sur le divan. Nouvelles pratiques, nouveaux défis » Interview des auteurs et spécialistes : Amal Hachet et de Pascal Hachet
"Les toxicomanes sur le divan - Nouvelles pratiques, nouveaux défis"D'Amal Hachet et Pascal HachetAux Editions In Press
Amal Hachet et Pascal Hachet, deux thérapeutes pas comme les autres. Rencontre.
HI-zine.fr : Amal Hachet et Pascal Hachet, merci de nous accueillir. Dans un travail de psychanalyse, qu’est-ce qui différencie un patient lambda d’un patient toxicomane ?

Amal et Pascal Hachet : L’un comme l’autre sont dotés d’un « appareil à penser » et sont – selon l’expression de Lacan – des « sujets de l’inconscient ». A ce titre, le toxicomane est un homo sapiens comme les autres : il n’arrive pas de la planète Mars ! 
Par contre, dans la rencontre psychothérapique, on constate que les toxicomanes ont moins tendance à interroger leurs difficultés - qui les vouent à s’appuyer sur un produit plutôt que sur autrui - que ne le font d’autres patients. Cette particularité n’est pas le fait d’une intelligence « déficiente » ; elle est due au fait que ces personnes attribuent l’essentiel de leurs difficultés à la dépendance physique créée par l’héroïne et, de façon corrélative, au syndrome de manque qui survient en cas d’arrêt brutal ou de diminution marquée de la consommation de ce produit. 

Un toxicomane qui se présente dans un centre de soins dit rarement « Je suis angoissé ou déprimé. Je voudrais en parler pour comprendre ce qui m’arrive et aller mieux » mais très souvent « J’en ai assez de prendre de l’héroïne uniquement pour ne pas me retrouver en manque. Je voudrais un médicament pour ne pas « être en chien ». 
Face à cette réalité physiologique, le médecin de l’équipe prescrit un traitement de substitution aux opiacés, destiné à  « duper » le corps et, donc, à minorer l’acte d’intoxication mais rien d’autre. C’est souvent dans la foulée de cette réponse pharmacothérapique qu’un travail psychothérapique peut commencer : en effet, l’expression de la crainte - toujours démesurée par rapport à la réalité de la souffrance « encourue » - d’être terrassé par la douleur corporelle du manque fournit au psychologue un levier pour accompagner le toxicomane vers la « découverte » ou la « redécouverte », la verbalisation et la déconstruction des angoisses et des terreurs qui, de manière comme souterraine, exacerbent sa peur d’être en manque.  

On pourrait donc dire que chez le toxicomane l’état d’intoxication vient en renfort d’une capacité à « refouler » (à oublier, à ne plus se souvenir) moins efficace que chez les sujets qui ne misent pas sur les effets d’une substance psychoactive pour faire face à leurs tourments psychiques. 
HI-zine.fr : Il est de bon ton, dans l’inconscient collectif (populaire ?), de dire « qu’il ne faut jamais faire confiance à un junky ». En tant que thérapeutes, comment appréhendez-vous le mensonge ou la simulation éventuel ?

Pascal Hachet : Cette représentation stigmatisante doit être fortement nuancée. Certes, de nombreux toxicomanes taisent ou minimisent ou nient leur consommation auprès de leur entourage (parents, conjoint), surtout lorsque celui-ci se fait harcelant et intolérant. 

Certes, des toxicomanes pratiquent une délinquance utilitaire (vol), plus ou moins régulière selon leurs besoins et destinée à financer le coût important d’une consommation d’héroïne ou de cocaïne (voire de cannabis en cas d’usage intensif). 

Certes, certains patients sous traitement de substitution à l’héroïne et, à ce titre, soumis à des tests urinaires dans nos centres de soins « trafiquent » leur urine (ils empruntent celle d’un proche qui ne consomme aucun produit) pour faire croire qu’ils sont « cleans » et, donc, dissimuler une consommation d’héroïne persistante. 
Il n’en demeure pas moins que ces comportements ne sont pas retrouvés chez tous les sujets « addicts » ni tout le temps. Un patient peut très bien avoir trop peur des conséquences d’une rupture avec sa béquille chimique bricolée pour tirer d’entrée de jeu une croix sur cette dernière. 

De façon corrélative, on observe que l’abstinence s’installe lorsque le patient s’aperçoit que le traitement de substitution d’une part supprime le manque, d’autre part tient aussi assez bien à distance (du moins dans un premier temps) l’envie de consommer. Au total, le mensonge ne saurait donc être le propre de l’homo addictus.
HI-zine.fr : Dans votre ouvrage, il est question de « vieux » et de jeunes toxicomanes. Quels sont les points communs et divergents les plus significatifs de ces deux populations ? 

Amal et Pascal Hachet : Quel que soit leur âge, les toxicomanes partagent d’une part leur compulsion à s’intoxiquer malgré leur connaissance des risques, entre autres sanitaires et judiciaires, attachés à ce comportement, d’autre part l’impossibilité ou, du moins, la grande difficulté à choisir de consommer ou non des produits.
Le « Je sais bien que, mais c’est plus fort que moi. Je ne peux pas m’en empêcher » est la signature de l’addiction vécue et dite. Par contre, les toxicomanes les plus « âgés » (disons 35-55 ans) ont fait partiellement le deuil de la croyance en une drogue-panacée qui gommerait toutes les difficultés de l’existence. 

Sur le plan clinique, leur motivation à accéder à la douleur qui sous-tend leur addiction et, à cet effet, à s’appuyer sur les aspects affectif et signifiant de leur parole et de celle d’un « psy » sont plus manifestes que chez la plupart des jeunes toxicodépendants. Ici, la survenue de la « crise du milieu de la vie » vers la quarantaine - qui concerne chaque individu et se traduit d’abord par un premier et auto-dépréciatif bilan de ce que l’on a accompli - engendre des prises de conscience dérangeantes qui sont propices à l’engagement dans un « travail sur soi ». 

Mais ce type de remise en question peut aussi se produire chez un adolescent ou un jeune adulte, par exemple lors d’un éloignement concret (pour l’amour et le métier) vis-à-vis des parents. Chez les personnes qui entretiennent un rapport problématique avec un produit, se lancer dans la vie professionnelle et / ou de couple met brutalement en saillance la difficulté à être autonome sans être contraint de « confier » la gestion du mal-être aux effets de cette substance. 

Les psychologues ne sont donc pas contraints d’attendre que les toxicomanes aient quinze ou vingt ans d’intoxication au compteur pour exercer leur « art » auprès de ces personnes !  
HI-zine.fr : Parmi les cas proposés se trouvent des toxicomanes incarcérés. La prison est un lieu particulier qui met n’importe quel individu sous influence. On le voit nettement, tant sur les détenus que le personnel soignant. En quoi une aide psychanalytique est-elle un facteur salutaire ou aggravant pour un détenu ? 
Amal Hachet : Au cours d’une incarcération, il existe une « phase » particulièrement propice au remaniement des « causes » psychodynamiques de l’addiction : la période qui est comprise entre l’adaptation au milieu carcéral et celle de la préparation à la sortie.
C’est lors de cette phase de « croisière » de l’incarcération que le détenu toxicomane - mais cela vaut pour l’ensemble des personnes incarcérées qui rencontrent un psychologue - est le plus enclin à accueillir sa souffrance et à la mettre au travail avec un psychologue. Par contre, le déploiement de cette « fenêtre » (au sens astronomique du terme) psychothérapeutique se heurte au défaut d’articulation parfois marqué entre le personnel de surveillance et le personnel soignant. 

Dans le détail, si l’aide psychanalytique n’aggrave pas la problématique des détenus, la levée des défenses psychiques et, donc, l’émergence de l’angoisse, provoquées par ce travail doivent composer avec les aléas du cadre carcéral : un patient mis à vif par l’introspection et le phénomène de transfert doit avoir la garantie du maintien du cadre de sa prise en charge : ainsi, ne pas être « oublié » par les surveillants au moment de ses rendez-vous avec le psychologue, ne pas subir un changement d’établissement pénitentiaire sans préavis, etc. 
HI-zine.fr : Les différents portraits présentent exclusivement des hommes. Quid des femmes toxicomanes ? Et des femmes toxicomanes en prison ? 

Amal et Pascal Hachet : C’est un fait. Sur le plan épidémiologique, les toxicomanies se déclinent plutôt au masculin, dans une proportion de trois quarts d’hommes pour un quart de femmes. 

Ce déséquilibre dans le sex ratio est retrouvé dès l’adolescence, qui est la période princeps des expérimentations de substances psychoactives (exception faite du tabac, dont une proportion identique – 50 % - de jeunes ont fait l’expérience à l’âge de 15 ans), donc bien en amont d’une éventuelle dépendance ou même d’un usage régulier (je pense en particulier aux fumeurs non festifs de cannabis ou aux buveurs excessifs d’alcool). 

Comment expliquer cette différence ? Il semble que chez les hommes l’expression de la souffrance psychique passe plus souvent par le corps (passages à l’acte et sensations corporelles douloureuses qu’il s’agit d’évacuer à tout prix) que par l’activité de penser (qui existe dans leur « boîte à outils » mentale mais dont ils font un usage moins spontané). 

Les tentatives pour remédier au mal-être adolescent ou adulte prennent donc davantage la forme de conduites à risques excessives, de mises en danger d’autrui et de soi-même, parmi lesquelles la consommation – addictive ou non – de substances psychoactives.
La sous-représentation des femmes toxicomanes parmi les personnes incarcérées est à l’avenant de ces réalités statistiques et psychologiques. 
HI-zine.fr : A la lecture de ces portraits transparaît presque un certain attachement, voire une « certaine tendresse », pour les patients.  En tant que thérapeute, quelles sont les conséquences personnelles et professionnelles d’avoir pour patient un toxicomane, libre ou incarcéré ?

Amal et Pascal Hachet : Une chose est sûre : on ne peut pas prétendre « soigner » un toxicomane si on tient son comportement d’intoxication pour une provocation ou un « vice » qui le relègue au statut de crapule incurable ou de hors-la-loi. Cette posture éthique vaut d’ailleurs pour l’ensemble des soignants : psychologues, médecins, éducateurs. 

A l’inverse, envisager les toxicomanes comme de pures victimes de « la société » et, en particulier, de la sévérité hexagonale en matière de législation sur les stupéfiants relèverait de l’angélisme inefficient. Il s’agit de construire avec ces personnes une « alliance thérapeutique » à la fois solide et souple. 

Ce partenariat est indispensable pour accompagner un toxicomane dans ses efforts pour remettre en question la partie de son fonctionnement psychique qui, en l’état, a absolument besoin des effets d’un produit pour penser, ressentir, être en relation et agir. Ni la moralisation ni la compassion aveugle ne sont propices au développement de cette alliance de travail. 

Le psychothérapeutique nourrit certes un « amour » de principe pour ses patients : leur souffrance suscite en lui de l’empathie, de la curiosité et le désir de les voir évoluer ; mais il met strictement cet attachement au service de la capacité de la personne à diversifier ses appuis intrapsychiques et relationnels au gré de la verbalisation – souvent ardue – et de la mise en perspective des terreurs infantiles et/ ou actuelles qui, bien souvent, ont fait le lit de la stratégie addictive. 
HI-zine.fr : Pour finir : je suis parente ou proche d’une personne toxicomane. Quelle est la meilleure attitude à avoir pour l’accompagner à envisager une psychothérapie ?

Amal et Pascal Hachet : Ou, du moins, quelle est la moins mauvaise ? Il faut s’efforcer de combiner de la fermeté « éducative » (en couple, refuser que les ressources du ménage servent à acheter du produit ou, si l’on est parent, refuser de donner de l’argent à cet effet et proscrire la présence et la consommation du produit à la maison) et une offre d’écoute, sur le mode « Tu as manifestement un problème avec une drogue. Explique-moi ce qui se passe ». Voilà pour le canevas global.

Dans le détail et sous réserve de ne pas répondre à la violence éventuelle par la violence, parents et conjoints ont le droit de s’autoriser à « péter un plomb » pour exprimer leur déconvenue,  voire leur « ras-le-bol » et leur détresse si la situation se prolonge.  

Par contre, lorsque cet entourage sent qu’il a atteint ses limites dans ce qu’il peut supporter du comportement d’intoxication, il est indispensable de s’adresser à une équipe soignante ; et l’intéressé doit toujours être informé de cette démarche, à laquelle il est bien évidemment convié. 
Amal Hachet et Pascal Hachet, merci.

Interview Téri Trisolini


Article HI-zine.fr : "Les toxicomanes sur le divan - Nouvelles pratiques, nouveaux défis"D'Amal Hachet et Pascal HachetAux Editions In Press
Les auteurs : 
Amal Hachet est psychologue clinicienne, expert près la Cour d’appel de Paris, maître de conférences (HDR) en psychopathologie clinique et criminologique à l’Université de Poitiers. Elle a une longue expérience dans l’Unité de Consultations et de Soins Ambulatoires (UCSA) d’une maison d’arrêt. Elle est l’auteur de Clinique de l’enfant. Psychothérapie et évaluation, Armand Colin, 2011.
Pascal Hachet est psychologue clinicien, docteur en psychanalyse. Il a une longue pratique dans deux Centres de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA). Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont Psychologue dans un service d’aide aux toxicomanes, Érès, 2002 ; Histoires de fumeurs de joints. Un psy à l’écoute des jeunes, éditions In Press, 2005.

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