Avec Loutre, on ne vit plus dans le péché, vu qu’on a un papier de mariage. C’est un certificat avec un tampon très officiel qui explique que maintenant si tu veux tout plaquer pour partir à Vatomandry, ou changer de sexe et devenir montreur d’ours, ou prendre ta carte à l’UMP et voter pour Jean-François Copé en 2017, tu peux pas le faire sans demander l’avis de ton mari ou de ta femme, vu que tu es marié pour le meilleur et pour le pire (pour Vatomandry ou le changement de sexe, y’a peut-être de l’espoir, mais pour le reste, c’est mort à mon avis).
Pour nous récompenser d’avoir franchi cette étape très importante dans notre vie (sur une échelle de l’importance, je dirais que ça se trouve entre mon opération des végétations avec le docteur Pilchard et la fois où j’ai cru que j’avais un cancer de la peau mais qu’en fait c’était un panaris infecté), nos amis nous ont fait un cadeau merveilleux pour qu’on puisse se fabriquer des souvenirs qu’on va chérir toute notre vie: deux jours et une nuit de rêve dans un manoir de riches, avec un dîner dans un restaurant au bord de la mer (et aussi une entrée au musée du Moyen-Âge à Dol-de-Bretagne, 5376 habitants et un menhir, où François-René de Chateaubriand a vécu quand il était petit, et c’est dommage que le menhir ne soit pas accidentellement tombé sur lui parce que ça m’aurait évité de lire Les mémoires d’outre-tombe quand j’étais en Seconde) (Les mémoires d’outre-tombe c’est un livre gros comme les Pages Jaunes et à peu près aussi stimulant) (le mieux c’est d’enchaîner après avec Vie de Henri Brulard, histoire d’être bien certain de ne pas louper ton suicide).
Alors on a pris la voiture pour aller jusqu’au manoir, et c’était très bucolique et pittoresque, avec toutes ces vaches qui ruminaient le long des chemins, ces vautours aigles rapaces qui tournoyaient dans le ciel bleu et ces dizaines de petits hérissons écrasés sur la route.
Au bout d’une heure, on a vu le manoir apparaître, et c’était vraiment très impressionnant, avec des tours de guet comme dans Ivanhoé, des dizaines de fenêtres comme dans Les trois mousquetaires et une dame bien habillée et bien coiffée qui nous attendait dans la cour comme dans Parties fines bourgeoises en Sologne.
La dame s’appelait Cyprienne (avec deux particules après, mais j’ai oublié ce qu’il y avait entre les particules), elle parlait comme Marielle Le Quesnoy et elle souriait comme Xavière Tibéri (ça m’a donné envie d’appeler la police mais j’ai pas osé, rapport à Loutre qui était aux anges et qui n’arrêtait pas de répéter "Ah! C’est divin! Ah! C’est divin!").
Elle nous a montré toute sa très grande maison, où il y avait des armures vides dans les coins et des cheminées assez grandes pour y rôtir Guy Carlier, et des rideaux avec des jolis dessins (Loutre m’a expliqué que c’étaient des armoiries, un truc de nobles comme au Puy du Fou, où on s’était beaucoup amusés avec les spectacles de méchants Sarrasins et de gentils chrétiens conduits par Saint Goitre et bénis par Sainte Fistule).
Après, on a découvert notre chambre, qui faisait à peu près la taille de mon appartement quand j’habitais à Paris, et où il y avait aussi une très grande cheminée, un lit assez grand pour quatre personnes de taille normale ou bien six nains, et une salle de bain décorée comme dans La Maison France 5 (qui est l’émission préférée de Loutre après La parenthèse inattendue, mais moi ces soirs-là je regarde plutôt Walking Dead ou Hannibal), avec une baignoire où on aurait pu faire tremper Guy Carlier.
Quand la dame est partie, Loutre a commencé à péter un câble en tournant partout dans la pièce:
- Lucette, bon sang, regarde cette déco !
- Putain y’a une télé Sony Bravia 50 pouces! j’ai dit.
- Et cet enduit béton ciré! De toute beauté!
- Putain y’a une enceinte pour iPod Bose à 600 euros! j’ai fait.
- Et cette cabine de balnéothérapie! Bain à remous! Massage!
- Putain y’a des enceintes dans ta balnéo et une prise USB pour mon téléphone!
- Et au mur…mais…mais…Mon Dieu, c’est un Petrus Christus reproduit avec une finesse de génie!
- Bah putain, on dirait un mongolien lépreux avec un strabisme divergent…
- Mais tu vas arrêter de dire "putain" à chaque phrase, putain! C’est de L’ART, bordel! Et lâche cet iPhone de merde!
- Attends, je prends des photos, les copains ne vont jamais croire qu’on a dormi chez la Famille Addams…
Quand Loutre a eu terminé de piétiner mon téléphone (c’est pas grave parce que depuis que je vis avec Loutre, j’ai acheté une coque très solide en forme de R2D2, alors mon téléphone ne se casse jamais), on a décidé d’aller manger au bord de la mer.
Comme le dîner aussi faisait partie du cadeau, on a pas vraiment pu choisir ce qu’on voulait, mais Loutre a dit que c’était pas grave parce que le restaurant était vraiment très classe, avec des bougies et tout, et aussi plein de gens très bien habillés et de serveurs en costumes. Et c’est vrai que c’était très luxueux, ce homard posé sur des glaçons et ces crevettes qui me regardaient avec leur œil mort. Il y avait aussi des palourdes et des bulots, et toutes sortes de choses molles et élastiques qui ont un goût de vomi, et pour faire plaisir à Loutre, j’ai tout mangé.
Quand on a quitté les urgences, vers trois heures du matin, Loutre n’arrêtait pas de gueuler, à cause de mon allergie dont j’avais oublié de lui parler, en disant que j’étais vraiment irresponsable, que je grandirais jamais, que j’avais fait exprès pour gâcher la soirée et que j’étais vraiment impossible, impossible, impossible (trois fois). Moi j’avais du mal à l’écouter parce qu’en gonflant, mon cou avait un peu pris la place de mes oreilles, et que je me concentrais beaucoup sur les boutons qui me démangeaient sur tout le corps.
En rentrant au manoir, Loutre m’a fait couler un bain dans la balnéo en disant que je ressemblais un peu à Guy Carlier qu’aurait attrapé la varicelle et la chtouille, et que l’eau chaude allait sûrement me faire du bien. Et c’était vrai, tous les longs morceaux de peau qui sont tombés ça m’a beaucoup soulagée, surtout que Loutre arrivait pas trop à comprendre comment ça fonctionnait, le tableau de commande de la balnéo, qui était un truc avec plein de voyants et de couleurs, et du coup il y a avait des grosses bulles bouillantes qui m’éclataient un peu dans la figure, et ensuite des jets d’eau glacée, et après des vagues très rapides qui faisaient déborder la baignoire, et quand Loutre a voulu arrêter tout le truc en hurlant des insultes sexuelles et des choses à propos de nécrophilie, les enceintes se sont allumées très, très fort et on a entendu un présentateur de radio qui demandait des choses à un adolescent au téléphone (heureusement il y avait des parasites dans la radio, alors on entendait seulement un mot sur trois, sinon ça aurait donné des phrases très sales vu que ça faisait "shhhhhhhh….PREPUCE…..shhhhhhhhh…..FELLATION ? …….shhhhhhhh…..TES BOURSES?").
Pendant que je me séchais avec du papier toilette (rapport au fait que Loutre n’avait pas voulu me passer une serviette, en disant que j’allais la contaminer avec ma peau de rescapée de Tchernobyl), Cyprienne a frappé très fort à la porte, et quand elle est entrée, elle avait pas trop l’air contente. Moi je suis restée dans les toilettes avec mes bubons qui continuaient à éclater, mais j’ai entendu Loutre qui s’excusait beaucoup à cause du bruit, et Cyprienne qui parlait d’appeler la police et de porter plainte, vu qu’on n’avait pas le droit de tourner des films pornographiques au manoir clandestinement, et puis elle a vu toute l’eau qui avait débordé de la baignoire et qui avait bien trempé la moquette médiévale, et elle a crié que c’était un scandale et elle a demandé ce qu’on venait de faire au juste, et moi j’ai voulu la rassurer alors je suis sortie des toilettes et j’ai essayé de lui expliquer le coup des palourdes et des crevettes mortes, mais elle a fait une tête comme Guy Carlier le jour où on lui a posé son anneau gastrique, elle a les yeux qui sont devenus blancs et puis elle s’est évanouie.
Comme on avait passé le reste de la nuit dans la voiture au bord d’une petite route très jolie et très fréquentée par les crapauds en migration et aussi en rut, on avait pas beaucoup dormi, mais le lendemain on voulait quand même visiter le musée du Moyen-Âge.
Le musée du Moyen-Âge, c’est très chouette, ça t’explique tout ce que tu dois savoir si un jour tu veux construire une cathédrale dans ton jardin, avec des dessins très compliqués et plein de calculs mathématiques.
Loutre, ça l’intéressait beaucoup toutes ces histoires d’ogives, de toises, d’archipendules et de cordes à 13 nœuds (j’ai pas pu m’empêcher de glousser "prépuce", et Loutre m’a regardée comme si je venais de faire une déclaration d’amour à Francis Heaulme).
Moi, ça me parlait moyen, surtout que j’avais déjà lu Les piliers de la terre de Ken Follet, et en plus j’ai déjà vu Les visiteurs plein de fois, alors bon, le vieux français et les habits sales remplis de poux, je connaissais, hein.
Après le musée, on a terminé par la visite de la cathédrale, et c’est là que tout est parti un peu en cacahuète pour de bon.
Mais je tiens à dire que si Loutre ne m’avait pas appelée en ricanant pour me montrer l’affiche sur un des piliers près de l’autel où le curé qui ressemblait à Guy Carlier était en train de dire des choses en latin devant des vieilles dames très tristes, je me serais pas mise à braire sans pouvoir m’arrêter, j’aurais pas fait pipi dans ma culotte, mes boutons rouges se seraient pas remis à couler, j’aurais pas renversé la chaise de la dame avec la coiffe bretonne, et elle serait pas tombée sur son coccyx en faisant trébucher sa voisine, qui ne se serait pas cassé le col du fémur.
Tu vas voir qu’on va encore dire que c’est ma faute.
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