Tant de travail, mais pour un résultat impressionnant
Puis, avides de réalisme, nos deux
compères sont partis refaire en voiture le trajet qu'ils imaginaient
pour leur héros : de Toulouse à la Toscane. La plus belle
inspiration ne vient-elle pas parfois des détails du vécu ?
Comme tout cela ne suffisait pas,
Lupano a voulu intégrer une composante supplémentaire, un aspect
militant, social. Il le pose chez Antoine, ancien syndiqué qui
s'oppose aux méthodes du grand laboratoire pharmaceutique où il
travaille mais aussi chez Pierrot, anarchiste qui continue ses
petites actions visant à perturber le système. Pour l'engagement
anar de ce dernier, Lupano a pensé à Robert Dehoux, anarchiste convaincu et débordant d'humour, qui eut la sage idée
de bloquer un jour, avec ses collègues, toutes les agences bancaires
de sa ville à l'aide... d'une boîte d'allumettes. L'homme,
également auteur, nous a quitté en 2008.
Au travers de cette BD, explorant
toutes ces possibilités, Lupano et Cauuet nous parlent de sujets qui
les préoccupent, les interpellent ou les énervent. Ils évoquent le
conflit des générations, la censure bête et grâce à tout cela,
ils parviennent à créer l'empathie du lecteur pour le vieux trio,
nous poussant à nous demander « Et moi, quel vieux grincheux
vais-je devenir ? »
Mais le constat d'échec que font ces
trois hommes n'ayant pu changer le monde n'est-il pas un message
profondément pessimiste ? Et bien non, car il ne s'agit point d'un
bilan. Le combat continue et Lupano rappelle que le plus important
n'est pas de perdre ou de gagner, c'est de résister, de refuser !
Si le tome un des aventures des vieux
fourneaux sort en avril, le second tome est prévu pour octobre et le
tome trois, et bien, le tome trois, Lupano est actuellement sur le
scénario. Leur idée consiste à réaliser une série
feuilletonnante à épisodes bouclés. Espérons que l'on n'a pas
fini de rire et pleurer avec ces Pieds Nickelés Senior.
Toutefois, avant d'arriver à la
version finale de l'album, il y eut un cap difficile à passer :
celui de la couverture. Au départ, Caueet a travaillé sur un dessin
montrant les personnages levant les poings. Mais une série baptisée
les Vieux Fourneaux avec des hommes dressant un poing revendicateur,
voire revanchard, risquait de créer une confusion, faisant croire
que la BD traitait d'une usine de sidérurgie en crise. Lupano et
Cauuet était dans une impasse. Pour en sortir, ils ont alors demandé
un regard extérieur, celui de Philippe Ravon, directeur artistique chez Dargaud. Ce dernier, très réactif,
leur fit plusieurs propositions artistiques, dont une couverture
orange et une couverture jaune. L'orange sert pour l'édition
spéciale et la jaune pour l'édition que vous trouverez en
librairie. Ce qui leur a plu, c'est le double niveau de lecture de
ces propositions. De loin, on voit des silhouettes noires se découper
sur fond jaune – ou orange, selon la couverture-. Et de près, on
voit distinctement les personnages dessinées.
Une couverture à double sens
Et puis, à leurs yeux, cela renvoyait
assez bien aux affiches de pub des années soixante ou à celles de
Jacques Tati. L'album était finalisé, et prêt à être distribué dans les
bacs.
Mais du coup, se pose une dernière
question : Pourquoi ce terme de Vieux Fourneaux ?
Sourire et réponse de Lupano, tout
simplement à cause de la chanson de Brassens « Le temps nefait rien à l'affaire » où il utilise l'expression de vieux fourneaux, parmi d'autres,
pour parler des vieux.
Ces vieux fourneaux évoquait également
pour Lupano les fourneaux de Florange, allumés depuis leur création
et qui, une fois éteints, ne pourraient plus être relancés. Une
symbolique forte, qui recoupe le destin de ces trois héros ainsi que
leurs combats.
Ces trois vieux grognons qui font de
cette BD une œuvre touchante et juste. Quand vous aurez fini de lire
ce premier tome, pensez à aller partager le temps des vieux
fourneaux qui vous entourent. Peut-être parce que c'est l'occasion
de découvrir que parmi eux, vous avez un Pierrot, un Antoine ou un
Mimile. Et surtout parce que ceux qui restent, passés un certain
âge, ne restent jamais suffisamment longtemps.
Une fois n'est pas coutume, je laisse
le mot de la fin à Robert Dehoux :
« Nous ne sommes vraiment pas
faits pour vivre comme nous. »
Zéda se promène sur les sentiers du Sud avec les trois vieux fourneaux
David
