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Les rêves cybernétiques de Francis Valéry.

Publié le 13 février 2013 par Bernard Deson
Les rêves cybernétiques de Francis Valéry.

Au premier abord, Francis Valéry me fait penser à Balzac. Un physique puissant entre le catcheur (celui qui joue le méchant) et l'ogre de conte de fées (pour adultes). Comme l'auteur de la Comédie Humaine, il a produit une bibliographie exténuante: plus de soixante-dix ouvrages (romans, recueils de nouvelles, essais, livres pour la jeunesse) ainsi que plusieurs centaines d'articles. Outre sa propre maison d'édition fondée en 1977 et dont il s'occupe seul, il a également travaillé pour de nombreux éditeurs (Gallimard, Denoël, Fleuve Noir, Robert Laffont, Julliard, J'ai Lu) comme directeur de collection, traducteur, préfacier, ou si besoin comme ghost writer, en particulier dans le domaine du fantastique et de la science-fiction. Il a par ailleurs créé et dirigé plusieurs revues. Musicien, il composeet interprète un répertoire qui oscille entre le rock alternatifet le jazz. Il est à l'origine, dans les années 1970-1990, de nombreuses formations de rock comme Réverbère et Nighshift et a collaboré avec des musiciens de jazznotamment Joseph Ganter. Un génie protéiforme associé à une énorme capacité de travail !

En ce mois de mai 1979, c'est Michel Jeury qui me l'a chaudement recommandé : " Francis est l'homme de la situation : il écrit vite et bien et ton projet va l'intéresser ". Nous avons convenu de nous retrouver en début d'après-midi rue Bouffard dans un appartement situé au-dessus d'un magasin d'Antiquités. Après m'avoir demandé des nouvelles de Jeury, il évoque le concert de la veille avec le groupe derock alternatif Réverbère. La nuit a du être courte car son visage a les traits marqués. " Alors, c'est quoi le concept de ta revue ? Un fanzine ? Il y en a beaucoup qui paraissent en ce moment. " Nous convenons que sa participation au premier numéro de Germes de barbarie consistera en un article sur le rock urbain. Je lui donne carte blanche. Une dizaine de jours plus tard, je reçois cinq feuillets avec ce titre qui n'en finit pas : " Notes pour une étude Science-fiction et Musique ou quand le rock urbain devance la SF politique ". Un sujet très ciblé qui me laisse perplexe dans un premier temps. A la seconde lecture, je valide car à l'image de Francis Valéry cesmusiciens mutants sont parvenus à tirer le meilleur d'une ville qui n'aliène pas.

Les rêves cybernétiques de Francis Valéry.

Voici un extrait de l'article en question : Depuis quelques temps, on parle beaucoup des rapports entre Science-fiction et musique. Et la plupart du temps, on écrit bien sûr n'importe quoi.[...] Quand il s'agit d'écrire l'histoire, on s'en sort toujours mieux que lorsqu'il faut décortiquer le présent et anticiper sur les futurs probables. On a fort bien décrit l'introduction de textes se rattachant à la SF dans la rock-musik (Pink Floyd, Hendrix, puis des quantités d'autres), parallèlement à l'introduction de sons nouveaux, évoquant des situations que l'on a qualifiées de science fictionnelles : voix robotisées (fuzz + écho, puis phazzing, avec l'évolution des techniques), son spatiaux (premiers synthés, vulgaires générateurs basse fréquence un peu bricolés), ou envol de soucoupes volantes (la fin de " Axis bold as love " de Hendrix, par exemple, travaillé à la Leslie électronique)...Cela est une chose. Le présent en est une autre. Je me garderai bien de parler du futur. [...] La vogue extraordinaire des instruments tout électronique (subventionnés par E.D.F.) a fait que ceux-ci ont baissé de prix dans des proportions incroyables, et que, par voie de conséquence, n'importe quel tripatouilleur de claviers a pu entasser à la place de son Hammond deux claviers + pédalier, une montagne de synthétiseurs, surmontés de diverses diableries électroniques et autres séquenceurs. Ces instruments ont eu une double influence sur la musique. D'une part, ils ont permis à des musiciens de valeur d'enrichir leurs possibilités sonores, de remodeler des instruments classiques : guitare, basse, batterie, voire certains instruments de percussion.D'autre part, on vu se former une kyrielle de groupes plus lamentables les uns que les autres, uniquement préoccupés de tripoter des petits boutons ou de mettre en branle des séquenceurs, histoire d'aller boire une bière tranquillement dans les loges. Le problème, c'est que les médias, notamment les revues de SF, entretiennent dans le public l'idée que la musique de SF, c'est ça, je veux dire Space, Didier Marouani, Jean-Michel Jarre, c'est-à-dire ces ringards, matraqués par des producteurs parisiens, déguisés en clowns galactiques (on a vu Space jouer en scaphandres presque aussi ridicules que ceux des Bogdanoff, pire que les Spoutniks en 1960 !), qui se produisent pour le 14 juillet, place de la Concorde ou composent ( ?) les indicatifs des émissions TV. Désolé de contredire mes confrères, mais ça c'est à la musique de SF ce que le space-opera des années trente est à la littérature de SF contemporaine. [...] La SF d'aujourd'hui, musicale, elle se trouve dans le feu Punk-rock et l'actuel Rock Urbain, mongolien, politique et non parisien. [...]Le mouvement Punk - mort et enterré -a exprimé un refus excessivement violent de tout un monde de pensée, à travers une musique violente et primaire. Certes, les musiciens de punk n'ont jamais été foutus de jouer correctement, pour la bonne raison qu'il ne s'agissait pas de musiciens mais avant tout d'intellectuels ayant trouvé ce moyen pour s'exprimer, l'outrage aux bonnes mœurs se remarque, surtout dans un pays comme l'Angleterre.Ce que l'on a connu en France n'a strictement rien à voir avec le Punk d'origine, extrêmement localisé (Londres et New-York) et ayant évolué dans un laps de temps très court, quelques mois, pas plus. Le reste n'a été qu'une récupération par le star-system.[...] Enfin, dernière comparaison, ont subsisté du mouvement Punk, et ont évolué, quelques rares groupes, comme le Clash, c'est-à-dire les gens doués au départ ou ceux bénéficiant à la base d'une solide formation musicale : la technique, le métier en quelque sorte. N'est-ce pas la même chose en SF ? Tirent actuellement leur épingle du jeu les gens répondant à cette double qualification technique/métier, comme Pélot, Jeury, Marlson, Andrevon, Douay, là bien avant " Ici et maintenant ", ainsi que les rares jeunes réellement doués, Ligny, Brussolo, Vernay, Favarel, Wintrebert et quelques autres. Le reste sera certainement de bien courte vie.[...] J'ai parlé, au début de cette étude, du rock urbain, mongolien, politique et non parisien... Ces qualificatifs s'appliquent à des groupes de province, produisant une musique violente (mais appuyée sur une solide technique et sur un passé musical important des musiciens), véhiculant des textes politiques extrêmement virulents.Toute une génération de musiciens a grandi dans les grandes villes de province, produisant donc une musique originale et neuve.De plus, point de comparaison avec la SF politique, ces gens ont une conscience politique aigüe et une attitude conforme à leurs discours. [...] A la fuite préférons l'Action directe. Il faut recoloniser la Ville, refuser de consommer, vivre sur ses déchets, incroyablement riches ! La Ville est véritablement le Territoire Humain, forme de supra-entité, vivante, consciente et agissante. [...] L'angoisse urbaine, ça n'existe pas. Il y a des gens angoissés partout. La Ville n'a jamais été un générateur d'angoisse, bien au contraire elle la dévore et s'en nourrit ! Pour ma part, rien n'est plus beau qu'une Méga-Cité, toute en béton, acier, verre polarisé, asphalte-bitume, néon... Ceux qui sont mal dans leur peau en ville n'ont pas à en dégoûter les autres. Qu'ils s'adaptent ou se retirent au vert. Dernière constatation : ceux qui écrivent de la SF politique vivent le plus souvent au vert et au soleil, ils peuvent ainsi fantasmer tranquillement sur la violence urbaine. [...]

Les rêves cybernétiques de Francis Valéry.

Quelques mois plus tard, après la parution du numéro, je recevais cette courte missive de Francis Valéry: " Salut, heureusement que je garde toujours les enveloppes timbrées qu'on m'envoie ça me permet de retrouver des adresses que je croyais paumées! Jeury me phone hier et m'apprend qu'il a lu mon article dans Germes de barbarie ce qui sous-entend donc que GdB a fini par paraître, c'est bien. Comme tu ne m'avais pas répondu (pour accord ou refus) je pensais que le projet était tombé à l'eau. A ta dernière visite, il y a un siècle, tu étais plus que pessimiste pour cause de nombreux et variés retards. Tu penses à m'en faire passer un exemplaire? Ici, gros travail. Je viens de corriger mon second roman et de le réexpédier. Ma revue Opzone passe professionnelle, mensuellement, à 25.000 exemplaires en kiosque, d'où un surcroît assez considérable de travail. Jeury est dans la rédaction, bien sûr.Tiens-moi au courant de tes projets. "


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